Heure de réveil : 15h02 (oui je dors en journée)

Je viens de finir le docu Netflix “Woodstock 99” et j’ai pris une claque d’anthologie mais aussi une des pièces du puzzle qui manquait à ma profonde colère intergénérationnelle.

Avant propos : #notallboomers et heureusement.

Si tu ne connais pas le truc, il y a eu Woodstock en 1969, Flower Power, un festival de pure anthologie contestataire hippie avec notamment Hendrix qui, à sa simple évocation, fait se dresser les poils de mes bras. Ok, ça, normalement, tu connais. J’ai vu plusieurs fois la VHS du film et, entre 1995 et 2005, tu m’aurais demandé “si tu pouvais te téléporter à un endroit à un moment, même pour y rester toute la vie ensuite” ça aurait été Woodstock. Et je dis ça absolument sérieusement. 2005 a marqué une chose : mon arrivée dans le monde du travail en CDI. Bizarrement.

Ma culture musicale n’est vraiment pas extraordinaire, chaotique comme je suis, je me laisse guider par les sonorités et mon besoin du moment. En 1999, je maîtrisais 90% des paroles de chansons de Bob Marley, 50% des Gladiadors, chœurs compris. J’avais pourtant, et je suis encore, profondément, marquée par Rage Against The Machine, System of a Down, Korn, Nirvana et toute la scène rock et metal mainstream de l’époque. Tu m’envoies du Red Hot Chili Peppers, j’oublie tout et je me laisse couler dans mes jeans trop larges et mes doc Martens en headbangand en mode No Future (et sous substances, oui).

Alors tu penses bien que la scène de 1969, je suis un peu larguée. Mais c’était pas ça. C’était vraiment pas ça le truc, même si la musique.

Je voulais aller en mai 68 ou à Woodstock pour me battre pour la liberté, pour l’équité, pour la paix, pour des idéaux qui n’ont jamais cessé de m’animer et qui me maintiennent en vie. Le mouvement de la jeunesse, que ce soit en France, aux States ou dans pas mal d’autres pays qu’on oublie, était phénoménal. La lutte pour les droits des personnes racisées a tout pété (fin de la ségrégation raciale : 1968), les femmes se sont dressées contre le patriarcat, les minorités se sont unies et, ouais, j’aurais voulu être là.

Sauf que…

Sauf que les personnes de 68 et 69, ce sont nos parents.

🦑🦑🦑

Les mêmes qui te demandent si tu as une épargne retraite, les mêmes qui disent “dommage” quand la société se dégrade, les mêmes qui votent à droite ou socdem pour surtout ne rien changer pour euxlles. Ta retraite ? Rien à battre.

Depuis mon entrée du monde du travail, j’ai compris. Tout ça, c’était du flan. On nous vendait une place de bureau durant 25 ans, je me retrouvais seule en sale de réunion face à un manager qui me hurlait dessus ou m’humiliait publiquement car je n’arnaquais pas assez de clients. J’ai failli plusieurs fois crever au boulot, crever de stress, de frustration, de tristesse et de dépit.

Je suis née en 1982. Mon père est né en 1937, ma mère en 1953. J’ai été en partie élevée par ma Mamie qui est née en 1926. On va dire que c’est un beau panel.

J’ai bénéficié de la pilule au Planning Familial. J’ai payé une prestation de soins (qui m’a été remboursée) pour la toute première fois après mes 20 ans. J’ai touché les APL et le chômage facilement. A l’époque, on m’imprimait mes offres d’emploi à la Mission Locale avec une machine à tickets de caisse. J’ai bénéficié d’une école gratuite, d’une éducation que je pense de bonne qualité. Je n’ai pas souffert de la faim.

Au collège, j’ai découvert les inégalités. Il y a aussi eu l’assassinat de ma copine de classe qui m’a plongée dans beaucoup de questionnements liés à la violence, bien sûr, mais aussi à l’immigration : nous étions en banlieue de Nancy, j’ai entendu des commentaires racistes qui m’ont marquée à vie. Les parents de la perpétratrice étaient Kurdes. J’estimais que déjà, fuir son pays, être accueilli-es dans des immeubles dégueulasses, non entretenus, et en plus se faire traiter comme de la merde, c’était suffisant. Largement suffisant. Ça m’a retournée, à vie. La violence de la mort, la violence de l’exclusion.

J’ai vite compris, par la suite. La grande Arnaque. “Bosse bien à l’école et tu auras un bon travail”. J’ai réalisé que bosser ou pas ne changeait strictement rien alors j’en foutais pas une.

J’ai appris beaucoup trop jeune que de toutes façons, j’étais un corps, une proie, que j’allais me faire exploiter toute ma vie pour pas un rond, la marginalité ou le pavillon avec un chien. Je ne voulais certainement pas du second, alors j’ai dit allez vous faire foutre.

En 1992, RATM chantait :

Killing in the name of…
Some of those that work forces, are the same that burn crosses [x4]

Ugh!
Killing in the name of…
Killing in the name of…

Now you do what they told ya [x4] And now you do what they told ya [x5] But now you do what they told ya!
Well now you do what they told ya!

Those who died are justified
For wearing the badge, they’re the chosen whites
You justify those that died
By wearing the badge, they’re the chosen whites
Those who died are justified
For wearing the badge, they’re the chosen whites
You justify those that died
By wearing the badge, they’re the chosen whites

Some of those that work forces, are the same that burn crosses [x4]

Ugh!
Killing in the name of…
Killing in the name of…

Now you do what they told ya [x4] And now you do what they told ya
(Now you’re under control) And now you do what they told ya [x7]

Those who died are justified
For wearing the badge, they’re the chosen whites
You justify those that died
By wearing the badge, they’re the chosen whites
Those who died are justified
For wearing the badge, they’re the chosen whites
You justify those that died
By wearing the badge, they’re the chosen whites
Come on!

Ugh!
Yeah!
Come on!
Ugh!

Fuck you, I won’t do what you tell me [x16] Motherfucker!
Ugh!

On avait la Haine, comme le film sorti en 1995.

 

“Jusqu’ici, tout va bien, jusqu’ici tout va bien , jusqu’ici tout va bien, l’important, c’est pas la chute, c’est l’atterrissage”

Et quel atterrissage…

Bosser ? Bosser pour quoi ? Porter vos pantalons en velours côtelé à la con et vos sous-pulls de merde ? “Mets une cagoule sinon t’auras froid, tes chaussures sont sales et tes cheveux aussi, personne voudra de toi, espèce de déchet, reprends-toi, trouve-toi un job et achète toi une putain de maison, marie-toi avec un connard et fais 2,1 gosse au lieu de chouiner ta race en te victimisant. Victime de quoi ? Nous on en a chié, nous on était là en 1968 à cramer des bagnoles pour que tes darons t’emmènent à la mer chaque été alors ferme ta gueule et reprends-toi, cesse cette rébellion inepte, de toutes façons tu ne sais pas réfléchir. T’as lu Sartre ? Bourdieu ? Tu vois, tu sais rien, alors ferme bien ta gueule, nous, on sait. On était là en 69, pauvre meuf.”

Moi j’étais là en 2005, et je suis là en 2023, plus féroce que jamais. Les rapports de pouvoirs s’effritent et tu paniques, alors tu deviens violent car le pouvoir est de ton côté. C’est ce que tu crois.

 

🔥🔥🔥

Et on s’est mangé cette contradiction en pleine poire, tandis que les personnes qui nous faisaient la leçon faisaient voter des lois qui raboteraient petit à petit notre vie et nous placeraient ici, maintenant, dans un 2023 où NOUS avons des enfants à notre tour, et où NOUS ne voulons plus de ce système qui ne profite qu’à une petite partie.

On nous disait d’un côté qu’on avait une chance inouïe de vivre en France, le Pays des Droits de l’Homme. Un pays pur et propre, où la justice régnait. Sauf si tu te faisais violer, sauf si tu te faisais ratonner, sauf si tu étais juste noir-e au mauvais endroit au mauvais moment. Sauf si tu clamsais dans une tente dans une décharge sur le bas côté de la A86.

La dissonance m’est apparue très très rapidement.

On disait protéger les enfants ? On a institutionnalisé la protection des pédocriminels et renforcé la culture du viol (article en cours sur cette institutionnalisation de la mise à disposition du corps des enfants, notamment des jeunes filles, tkt).

Vous avez eu, en 1969, la “libération sexuelle”, on a eu la culture du viol et les #metoo. C’est ça, en fait. Il s’est passé des choses fondamentalement bien, et on a récupéré…ce qui n’avait pas été cramé. Et vous avez le seum quand on réclame des droits fondamentaux pour lesquels ont doit continuer à se taire en attendant.

Et faut qu’on soit reconnaissant-es, bien sûr. Ohlàlà trop chouette, les narcisses qui reprennent en février et les étés à 40°C, merci beaucoup, fallait pas. Trop bien, la casse du service public, merci, c’est cool, j’avoue. 9 mois de délai pour avoir un rendez-vous avec une neuropsychiatre qui n’est pas d’obédience psychanalytique (merci aussi pour ça, au fait, cf. Dolto et l’inceste, sans déconner, on a tellement facilité la pédocriminalité avec ce genre de personne, bravo, pleurez pour vos gosses, maintenant.), un système de transports public tellement pété que les gens reprennent la voiture, ah non, faut une vignette Crit’Air <2 pour entrer à Paris, maintenant, et des places de stationnement à 80 balles, range ta Twingo et regarde C8, regarde la télévision qu’on a construit avec ta thune, regarde la propagande qui te pousse à baver pour de la thune et des bagnoles de luxe à Dubaï tout en étant absorbé-e par les réseaux sociaux, histoire d’oublier Lulu qui crève de froid sous un carton au pied de ton immeuble.

 

🍄🍄🍄

En 1999, j’étais révoltée de tout. Tu m’aurais proposé d’aller tout défoncer à Woodstock ? J’y aurai été.

On est sensés adoucir ses convictions politiques avec le temps, j’ai affiné la critique. Car au delà de la hargne, j’ai envie de chialer et désormais, l’enjeu n’est pas le même : j’ai un fils, un fils pour lequel je me battrai jusqu’à la mort.

Je suis née en 1982. J’ai pas toutes les subtilités que le Monde Diplo peut offrir, mais à partir de 1983 la roue a tourné. Si jamais le tournant de 83 t’intéresse, le Monde Diplomatique a fait une superbe infographie, réservée aux abonné-es, mais que je te colle ici (faut cliquer pour agrandir si ça s’affiche en petit, si ça ne fonctionne pas tu peux me contacter)

On vivait avant une société étatiquement violente, on est entré-es dans un néolibéralisme insidieux où public et privé se confondent, un système pernicieux qui vient bouffer toutes les sphères de nos vies.

Et heu…j’ai eu le droit de vote en 2000, perso. Tu sais quoi ? J’ai pas voté aux présidentielles de la honte, celles du second tour droitiste/facho, et on m’a bien fait comprendre que c’était la jeunesse désengagée qui était responsable de la montée du FN. Vous m’en direz tant.

Le truc, c’est que maintenant, j’ai un peu plus d’expérience de vie et je vois à peu près comment ça se passe, j’ai 40 piges, faut pas essayer de me la faire à l’envers. Moi aussi, j’ai un enfant. Mes potes aussi, parfois, en ont. On a bossé, on bosse, on a été abandonné-es par le système et on s’est démerdé-es comme on a pu. Va pas nous dire qu’il faut avoir de la gratitude. Normalement, tu te félicites quand tu laisses à ta descendance un monde meilleur, et c’est carrément pas ce qui se profile. Ni pour nous, ni pour vos petits enfants que vous “adorez”. Si je n’ai aucun doute sur l’amour filial qui vous anime, je vous sens vachement plus hypocrites sur le reste.

A écouter cette génération : “tout ça, c’est nous”. Parce qu’en 1936, vous étiez déjà né-es. Parce que durant les stades révolutionnaires précédents aussi. Et aujourd’hui, vous voulez nous empêcher de faire notre propre révolution. Vous chialez sur un Fouquet’s cramé alors que 20 000 migrant-es meurent en mer. Vous vous gargarisez de la liberté d’expression lorsque Charlie Hebdo fait une planche à gerber sur le petit Aylan, mort en mer, tête dans le sable, qui serait devenu un violeur en France. J’ai absolument pas envie de coller ces trucs ici donc tu prends tes doigts, tu vas sur Google et tu fais “Aylan Charlie Hebdo”. Oh ce lol avec la mort haha.

L’avion de Christophe de Margerie (PDG Total) se crashe Dassaut fait le Grand Saut en Hélico, on est immondes à trouver ça amusant. Dégueulasses. Indécent-es. Générations de chiennes de la casse. Vous avez pas de face.

🍥🍥🍥

Et quand on lutte ? Quand on parle politique et monde meilleur ? “Idéalistes, c’est pas du tout réalistes, vos merdes”. Disent ceuxlles qui dessinaient des fleurs partout sur leur corps en chantant la vie sous acide 30 ans avant le gâchis de 1999.

Donc je sais pas. Faut se montrer plein-es de gratitude, les yeux, mouillés, la main sur le cœur, merci pour ce monde, vraiment.

Woodstock 1999 c’est tout ça. Toute cette jeunesse désabusée qui réalise qu’elle a été flouée, qu’on a juste pris leur thunes en les laissant sans chiottes, sans eau potable, sans abri, mais très très gratifiée de ces concerts d’anthologie.

Le Summer of Love Hippie était une communion, une liberté retrouvée. La version 99 n’est que pur appât du gain mal organisé. A la fin du festival, inflation oblige, la bouteille d’eau était à 12$ (21,68$ au 10 février 2023). Là où les ressources étaient partagées et les lieux à peu près respectés, on se retrouve avec de l’eau à 20 balles. Là où les femmes nues étaient scandaleuses, elles étaient au moins un tout petit peu plus respectées. Liberté sexuelle, culture du viol. Largue 150 000 ados testostéronés, biberonnés au no future, sans aucune éducation ni culture, et t’obtiens une foule de violeurs potentiels en 99.

C’est tout ça qui est pas compris, tout ça qui fait que maintenant, mon souhait espace-temps est le Woodstock de 99. Je veux crier la rage qui m’animait à 17 ans. Cette impression d’impuissance, ces larmes ravalées en voyant les infos, ces promesses qui ne s’avèrent être que du vent. Les institutions ? Les mêmes qui font des enquêtes approfondies pour radier le plus d’allocataires de la CAF possible ? Les mêmes qui radient les chômeurses à la pelleteuse ? Les mêmes qui rendent la moindre démarche ubuesque ou confondante de bêtise ? Comment expliquer que dans le Val de Marne la MDPH délivre les reconnaissances RQTH en 4 à 6 mois avec le dossier de 21 pages contre 14 mois au simple renouvellement en “procédure accélérée” ?

Comment expliquer que mon ancien directeur travaille encore alors qu’il a instillé des idées suicidaires liées au travail chez deux de ses salarié-es et convaincu 13 autres de livrer une déclaration à la justice ? Pourquoi laisser la violence au pouvoir ? Pour nous “redresser” ? Nous faire comprendre qu’il faut laisser tomber les bisounours et devenir adulte ? Se montrer raisonnables, allez, ça suffit.

⭐⭐⭐

Mais aller vous faire foutre, en fait.

Ce que vous captez pas, c’est qu’on est là, et qu’on est genre heu…plein ? Les choses, on les changera, par la force s’il le faut et visiblement on est au stade où il le faut.

Ça peut râler contre le “wokisme” que personne ne sait définir sans se griller (“Je suis anti-antifa”), je préfère lutter et donner de moi-même pour péter le système, quoi qu’il y ait après. On assumera ce qu’il y a après, on s’en chargera et j’espère qu’on cramera nos idoles ET les nazis. C’est à nous de jouer, là, vous avez assez fait de conneries comme ça.

Et TOI.

Oui, TOI, qui a 25 ans, qui te replie sur ton conservatisme en devenant macroniste réaliste, si t’aime les choses en -iste, je peux te suggérer plein de pistes dont la découverte te ferait le plus grand bien. Jouer le jeu contre son camp en courbant l’échine est le meilleur moyen de crever vite, Jean-Engherant. Alors réfléchis, et vite : c’est maintenant qu’il faut réaliser l’arnaque, pas dans 10 ans, dans 10 ans ça sera trop tard.

Juste pour finir : on peut nous taxer de génération individualiste, c’est une idée reçue totalement imbécile. Le jour venant, on sera là, ensemble, et on va tout cramer.

Sur ce, je vais me remettre une petite playlist Vaporwave, histoire de me remettre dans des années 80 fictives mais avec un son bien plus quali qu’avec mon vieux Walkman.