11 janvier 2021 [Grossophobie télévisuelle – exploitation]

Heure de réveil : 4h10 (appel de la bouffe)
Teasing : Chuis pas fraîche.

On a plus l’habitude d’avoir une vie sociale, même si, bon, à 5 autres adultes avec un couvre-feu à 20h on est loin des 2 jours de folie chez les teufeurs. Même niveau substances on était à la ramasse.

Je viens d’effacer 2 gros paragraphes parce que je viens de me rappeler de quoi je voulais te parler, et on va y aller tout de suite.

Aujourd’hui, la grossophobie avec le scandale que je vais découvrir avec toi au sujet d’opérations de chirurgie bariatrique et de passage télé. Le meilleur combo possible.

Je précise avant toutes choses que j’ai subi une sleeve en 2010, j’ai perdu 60kg. Oui, le poids d’une personne. Une petite personne, mais, hey, une personne.

J’ai fait un article “technique” en 2014 sur le sujet avec plein d’infos de première main, donc, sur les différentes méthodes, le protocole tel qu’il était en 2010 et mon expérience perso¹

Je pense que ça peut être utile de le lire, oui, même si t’es pas concerné-e.

🦑🦑🦑

J’ai accompagné plusieurs personnes en “parcours bariatrique” et très franchement, ça me fout en rogne, tout ça, ce truc, là, avec cette émission télé à gerber.

“Tollé sur Twitter, pétition et tribune indignées accueillent “Opération renaissance”, une nouvelle téléréalité sur M6 qui montrera dès lundi le parcours de dix personnes obèses, candidates à la chirurgie bariatrique pour réduire leur estomac.”

J’avais prévenu 🤢

Je n’ai pas lu les autres billets, articles sur le sujet, parce que je sais que ça va aussi un peu me faire du mal.

JE SUIS UNE TRAÎTRESSE A LA CAUSE tu sais ?

J’ai cédé, j’ai pas réussi le training body positivism.
J’accepte le physique des autres sans souci, mais j’ai pas pu accepter ma prise de poids. Et je me trouve toujours grosse, en plus, la meuf elle a RIEN appris, tsé.

Pire, j’ai du subir 3 opérations de reconstruction (poitrine, ventre, bras) parce que ma peau avait tellement morflé que la sécu a pris en charge sans ciller.

Tu vois la meuf, dans quelques années, elle fera ptet même de la chirurgie esthétique, on sait pas. Je ne présume plus de rien.

👾👾👾

Est-ce que j’ai échoué ou réussi ?

En terme de perte sèche de poids et d’apparence qui me permet de m’asseoir tranquillement dans le bus sans subir les regards indignés des gens qui ne supportent pas que je prenne 1,25 siège, j’ai réussi.

Je racontais aussi comment un jour d’entretien d’embauche post-op j’ai vu que les gens me regardaient à nouveau, ça m’a collé une angoisse de ouf, j’étais sûre d’avoir un truc sur la gueule sur tout le chemin. En fait, non, j’étais juste une meuf bien habillée et bien maquillée (enfin tout est relatif) qui prenait le bus, et plus “la grosse, là” qui fait chier. J’ai réalisé une fois à la maison quand j’ai scruté mon visage pour voir si mon liner m’avait pas fait une grosse trace de coulure. Aucune trace. Evidemment.

En terme de recherche d’emploi, d’ailleurs, wow. Rien à voir…plus facile de trouver en ayant la reconnaissance travailleuse handicapée qu’en étant obèse. Là, c’est aussi une info de première main.

Et les médecins ?
“J’ai subi une sleeve j’ai déjà perdu du poids” ça neutralise absolument TOUTE tentative de te prescrire un régime. Systématiquement je lis dans le regard “Ah ouais, je peux difficilement lui demander de perdre plus…” et on le lâche la grappe même si forcément, faut que je fasse du sport.

Genre j’ai une spondylarthrite ankylosante, les deux genoux très abîmes, une fibromyalgie ET la dépression chevillée à l’âme, je vais me mettre à faire du jogging 🤣

Niveau fringues, aussi. Pas tout à fait car je fais encore un bon 44, à la limite de l’incompréhensible pour les marques de prêt-à-porter françaises.

🐹🐹🐹

Et d’un autre côté, je suis perçue comme une traîtresse.

Je ne lis plus les commentaires, même sur les groupes féministes, quand il s’agit de chirurgie bariatrique, j’évite également les articles militants sur le sujet, parce que je suis une traîtresse et t’inquiète qu’on me le rappelle bien bien.

Les termes utilisés pour définir les personnes qui se font opérer, vous devriez en avoir honte, les gentes, mais honte façon costaud.

Est-ce que j’aime le body positivism ?

Franchement, pas tout le temps.

Le coup de “ACCEPTE-TOI” m’a fait énormément, énormément de mal. Beaucoup.

C’est comme dire à une personne dépressive “VA MIEUX”. J’aimerais bien. Je te jure que j’aimerais bien.

J’aime bien les galeries body-positives, sauf que mon corps n’a jamais, jamais, jamais ressemblé à ça.
La cellulite, j’ai commencé à 15 ans, déjà.
J’ai eu un enfant, mais j’avais déjà des vergetures assez impressionnantes sur les bras, le ventre, les seins, les cuisses.

On ajoute à ça 1,5m de cicatrices, surtout celle de la nécrose suite à la réduction mammaire, relativement petite en comparaison mais beaucoup plus impactante psychologiquement. Ouais, c’était “pas si grave” mais ça a été très difficile, long, pénible et traumatique que de perdre une partie de soi.

En plus, je veux dire, c’est pas comme si mon corps m’aimait particulièrement bien en retour. J’ai mal, toujours, quelque part, je suis à mobilité limitée, je peux me tuer un coude en faisant de la mayonnaise (c’était en 2002, j’ai toujours mal de temps en temps).

Donc les meufs grosses magnifiques souriantes super belles ah oui j’ai déjà dit sublimes, bref.

Pas moi.

🦋🦋🦋

 

C’est très, très, beaucoup plus compliqué que “accepte-toi” en réalité, et quand on me dit que c’est dommage, de m’être accrochée à ma “minceur” (je suis toujours pas mince hein) parce que [truc random]. Meuf. Tu me connais pas. Mes problèmes de corps ça remonte à un passé traumatique dans lequel la bouffe était mon seul amour.

Si la chirurgie a eu un avantage, c’est bien celui de “reset” mes TCA (Troubles du Comportement Alimentaire) et ça m’a beaucoup aidée là dessus. C’est pas le but de l’opé, mais ça peut arriver.

Bref.

J’adore regarder ces meufs, parce qu’elles sont belles, oui, mais elle ne représentent pas tout le monde. Ce sont des mannequins, quand même, c’est quelque part nous imposer les mêmes injonctions, non ?

Quand une personne mince regarde un mannequin mince, elle ressent certainement quelque chose qui se rapproche de ce que je ressens en voyant des mannequins grande taille radieuses à la plage alors que je suis voûtée devant mon PC avec un gilet moche et un pyjama à trous.

Je suis désolée, mais c’est une injonction au même titre, en fait…

ACCEPTE-TOI

On commence à voir des vergetures chez les marques de culottes menstruelles ou de collants. Des mannequins grande taille à la peau imparfaite, pas lisses, je me reconnais tout de suite mieux et je me dis “ouais, elle est classe, t’as raison”. Mais c’est pas encore celles qu’on met en valeur car

“Tellement inspirantes ♥ ”

Tu vois, c’est vraiment pas si simple, le body-positivism et ça permet discretos de mettre bien la pression dans les moindres recoins. C’est un concept génial mais appliqué avec les pieds.

Et surtout quand une nana mince me dit “accepte-toi rhooo” c’est pas des pulsions de joie et de câlins qui me viennent en tête, si tu vois ce que je veux dire.

 

🐧🐧🐧

 

Alors qu’il y a des personnes qui ont besoin, envie, de passer par la case chirurgie, en fait. C’est le genre de décision qui impacte toute ta vie et qui peut-être psychologiquement très éprouvante, mais c’est la décision qu’on a prise, les autres traîtresses et moi.

Et c’est une décision qui entraîne un parcours long, compliqué, éprouvant moralement et physiquement. Pour te donner une idée, en post-op, durant 18 mois, j’ai dû noter mes apports alimentaires pour me forcer à atteindre 300 puis 600kcal/jour.
La perte de poids a été spectaculaire, en 4 mois j’avais déjà perdu 25kg mais ça s’est vraiiiiment pas fait par magie dans le bien-être, non.

J’étais prévenue, et je préviens les ami-es qui viennent me poser des questions (car j’y réponds bien volontiers) pour une future opé : c’est chaud sa mère.

L’opé en elle-même, dans mon cas, a duré 7h. J’ai été hospitalisée 7 jours dont 5 sans manger ni boire. C’était le protocole en 2010 en tout cas. Je vois des personnes ressortir au bout de 3 jours, ça me fait bader, genre vraiment.

Si tu veux les détails j’en parle dans mon article de blog que je mentionne plus haut (j’ai vraiment pas la foi de refaire encore tout le récit, j’avoue), mais ouais ça douille, faut pas se mentir.

J’ai aussi eu des aversions alimentaires aussi violentes qu’incongrues. Je fais du dumping, comme avec un by-pass.
Mon estomac est trop réduit pour correctement digérer le sucre, mais le sucre qui entre dans mon estomac déclenche le même taux d’insuline en réponse du pancréas, et après une hype au sucre je me retrouve, littéralement, en PLS à me jurer que je ne mangerai plus jamais de ma vie.

La chirurgie bariatrique, faut être préparé-e.

Avec 11 ans de recul et toutes les complications, tu sais quoi ?
Je le referais.
Et je le referais encore, et encore, dans chaque réalité alternative qui m’est accessible, car l’opération m’a sauvé la vie, en fait. Vraiment. Je le pense encore maintenant, après avoir fait pas mal de chemin niveau vision de mon corps.

Hey, j’ai arrêté de me voir en taille 54 dans le miroir cette année.

 

🦆🦆🦆

Ah, j’oubliais : cette émission de M6 est pas au summum de la surmerde mais franchement pas si loin du podium.

Oui.

Là dessus, on est d’accord.

Je connais les questionnement et le parcours quand tu te lances là dedans, c’est tout sauf amusant. J’ai, comme je disais en haut, accompagné plusieurs personnes que j’ai pu, ou pas, envoyer à mon chirurgien (Pr Catheline, Delafontaine, 93, ce mec est adorablissime).

DONC SI TU VEUX le concept de ce truc, je pense que je connais pas mal et je visualise d’avance là où les participant-es vont pleurer, parce qu’on pleure toustes aux mêmes étapes.

Et ça me dégoûte tellement qu’on se fasse du truc sur de l’angoisse existentielle que je pense que si je croisais Karine Lemarchand je lui ferais mon regard méchant et tout.

La décision est difficile, personnelle, et doit se faire en toute connaissance de cause. C’est pour ça que quand on vient me voir avec des questions sur le sujet, je parle pas mal des inconvénients, de la douleur, des opérations, sans rien omettre, parce que c’est à considérer.

Le fait de faire ça à la télé biaise le truc. Aucun-e participant-e ne va dire en milieu d’émission “en fait c’est pas pour moi” même s’iel a des doutes. Parce que t’es à la télé.

Bon, le côté voyeuriste… 🙄😑🥱
Est-ce nécessaire d’approfondir ?
Vraiment ?

🐰🐰🐰

Comme d’hab y’a du gris, du noir et du blanc parce qu’on ne voit pas les couleurs.

J’admire les personnes qui se sentent belles dans leur surpoids. J’aurais aimé réussir, j’ai tenté des trucs, j’ai tout tenté en fait. Mais j’ai échoué, lamentablement.

Mais je n’ai pas choisi la “solution de facilité”, par pitié.
Le parcours, l’opération, les suites opératoires, la vie après, les problèmes psy que le changement brutal de physionomie entraînent (bah ouais), c’est loin d’être une solution de facilité.

A un moment j’aimerais bien qu’on me foute la paix.

Là je me sens mal partout, en vrai.

Je n’ai plus le droit de m’exprimer sur la grossophobie car je fais un 44 (On a déjà tenté de me faire fermer ma gueule en me demandant ma taille, oui).

Mais j’ai pas droit de cité chez les meufs “normales” non plus. On me tolère tout juste.

Je n’ai pas le droit de parler de chir bariatrique parce que j’incite les gentes, tsé.

Je n’ai pas le droit de dire que je me trouve grosse. Mein gott ça c’est le gros “no-no”. Je viens de le dire, merde.

Je ne trouve pas les autres grosses. Je ME trouve grosse. J’ai bien le droit. Mais de toutes façons je me trouve aussi insignifiante et prétentieuse, tu vas faire quoi ? M’envoyer en analyse ? 🤷‍♀️

Pis j’aimerais bien qu’on arrête de me dire “oh c’est dommage” parce que je me suis arrêtée à 44 et que c’est très bien comme ça.
J’ai encore les regards apitoyés des vendeuses chez [insérer ici enseigne de prêt-à-porter] bien gravés dans ma propre rétine.

J’aimerais qu’on arrête de m’envoyer de la pub pour des régimes, aussi, j’ai arrêté y’a un moment maintenant, et sans eux, je n’en serais pas là (pas merci).

J’ai juste besoin de trouver ma place entre deux eaux, comme d’habitude c’est impossible alors on fait avec des solutions intermédiaires. Je parle peu de mon expérience de la grossophobie même si j’ai des anecdotes bien moches. Je ne me sens pas légitime à le faire.

🐌🐌🐌

Alors je profite des interstices.
Je profite de cette actu pour vendre ma soupe, oui, si tu veux.

Juste, je voulais dire ça : la réalité n’est strictement jamais aussi simple que la binarité, bon sang, on le sait, ça pourtant !

Je comprends qu’une personne qui fait du 44 ne ressente pas la même chose qu’en 54, t’inquiètes, j’ai testé pour toi. On parle plutôt de “body-shaming” (honte du corps) que de grossophobie dans ce cas, et je le rappelle gentiment aussi 🙂

Et j’en ai ma claque de lire des “conseils d’ami’e’s” sur la perte de poids, les conseils bienveillants qui disent juste ‘tes grosse fais quelque chose arrête le sucre” (Pour rappel, les personnes les plus calées en terme de diététique, c’est bien les meufs mises au régime dès leur plus jeune âge, pas Jean-Nuisible qui a la science infuse sur tous les sujets avec son Bac+5 en informatique de gestion.).

J’ai aussi bien conscience que mon billet ne vas pas dans une direction précise. Justement parce que je suis entre deux eaux. J’ai droit aux confidences des meufs à base de “J’ai mangé comme une grosse” ou “Je vais encore me mettre au régime” ou “Han machine elle a pris du cul pendant ses vacances !!!” parce que je suis à la limite mais je passe à peu près dans la catégorie “chubby” (ronde) et que je ne suis plus dans la case “obésité”.

Les conversations entre collègues de travail sur le poids c’est quand même quelque chose. J’ai eu les deux côtés de la barrière, l’hypocrisie est ultime.

 

🦎🦎🦎

 

La seule chose dont je suis sûre et certaine c’est que M6 et Karine Lemarchand peuvent bien aller se faire cuire le cul.

Vous êtes à gerber. A gerber. Vous me rendez malade de votre opportunisme malfaisant qui s’en fout de ceuxlles qu’il laisse sur le carreau.

C’est quoi, la prochaine ? “Opération FIV” ? Vous allez suivre le calvaire de couples lesbiens pour avoir des enfants ? Et ça sera chouette ? Et on gagne quoi ? 50 000 balles pour un autre enfant, c’est ça ?

La gerbe intégrale, sérieux, mais allez vous rhabiller et rachetez-vous une décence et une dignité, merde !

1. https://aucreuxdemoname.fr/blog/vis-ma-vie-la-chirurgie-bariatrique/ [↩]