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TW : décès, suicide (non liés, sans description)

J’attends le coup de fil qui m’annoncera le décès de mon père. Mes sœurs et ses ex femmes ont déjà suffisamment donné, alors j’ai demandé à ce que ce soit moi. Je lui ai e-envoyé un courrier, hier, lui disant que je l’aimais, pour qu’il ne parte pas en se sentant plus seul qu’il ne l’est. Puis je lui ai trouvé un livre de Franquin, qu’il n’a sûrement pas, même si c’est le passionné de BD le plus intense que je n’ai jamais vu.

Cet ouvrage offre l’opportunité de découvrir pour la première fois les dessins de Franquin réalisés à l’attention de ses proches. Quand on est un dessinateur de renom pris par la création et le rythme des publications qui se suivent, le temps manque pour courir les magasins à la recherche d’hypothétiques cadeaux et présents pour ses proches. Franquin avait trouvé la solution. À la fois aisée, pratique et ô combien personnelle, la trace sur le papier de « voeux » et autres « bons pour » est devenue pratique courante dans la famille Franquin. Bouquets croqués, présents dessinés étaient offerts dans l’attente que les cadeaux se matérialisent plus tard… Les dessins que l’on retrouve n’ont jamais eu pour vocation d’être publiés un jour.Conçus et imaginés pour les anniversaires ou les fêtes comme la Saint Valentin, ils ont cette saveur des dessins rares que l’on découvre avec curiosité. C’est un privilège que de pouvoir admirer ces dessins inédits couvrant une période allant des années 1950 aux années 1990. On appréciera le travail du dessinateur multipliant les techniques, passant du pinceau à la plume, du Rotring au crayon ou encore utilisant un simple stylo. On sera aussi frappés par l’usage de la couleur et l’évolution du style de Franquin liée aux époques qu’il traverse. Modestement inaugurés par deux premiers « bons pour » destinés à ses beaux-parents, Franquin prendra vite goût à l’exercice en sophistiquant ses petits dessins devenant des petits bijoux de graphisme et d’inventivité. Ils vont aussi exprimer la profonde affection et la bienveillante générosité de l’auteur pour ses proches.

L’Enfant m’a demandé à ce que je lui envoie une peluche. J’ai choisi un petit renard. Le colis attend d’être récupéré dans ma boîte aux lettres, j’espère que ce ne sera pas trop tard. Mon père est en Lozère, le trajet en train est devenu un trajet en train, puis en bus, merci la fermeture des petites lignes.

La chose à laquelle je pensais négligemment est en train de se produire, et je suis pleine de sentiments contradictoires. Il n’a jamais appris à aimer et on ne peut pas choisir un moment traumatique de sa vie pour en faire de la psychanalyse de comptoir : tout était atroce. C’est un enfant de la guerre, un “sale boche” né à Hambourg en 1937, non désiré puis abandonné par sa mère qui n’a jamais voulu d’autre enfant. Je crois qu’elle voulait être libre et ne l’a jamais été. Elle a été arrêtée et mise en prison pour dissidence politique après que son père se soit fait assassiner par la Gestapo. Mon père a fini chez sa tante, en Alsace, il n’a été récupéré que parce que le nouveau conjoint de ma grand mère l’a exigé (je sais pas ce que tous ces connards ont pour se fixer autant sur les enfants), pour avoir une victime supplémentaire sous son toit. Dire que l’enfant qu’a été mon père a souffert est l’euphémisme de l’année.

Je sais qu’il est fier de certaines de ses filles, mais son fils est inexistant à ses yeux. C’est après le coming-out de mon frère et la réaction homophobe de mon père que je l’ai laissé. Avant, c’était sa psychophobie et la manière dont il a traité et instrumentalisé sa fille schizophrène qui m’avait fait couper les ponts. Ne restent que deux filles qui n’ont pas non plus été épargnées. Nos enfants ne l’intéressent pas. Il ne sait pas aimer, je sais qu’il le savait et qu’il souffrait lui aussi de cette incapacité. Faute de pouvoir le réparer, j’ai fui pour me préserver.

Et je me sens lâche devant cet épouvantable gâchis. Souvent, j’entendais une voix de petit garçon lorsqu’il parlait. Enfermé dans son traumatisme, il a rejeté parfois très violemment les mains tendues. N’empêche. J’aurais pu faire mieux, c’est dramatique. Mais faire mieux c’était se laisser manipuler, extraire de l’argent, entretenue par la haine. Il m’a appris à détester ma mère et mes grands-parents que j’ai longtemps vu comme des ennemi-es. Pour mes 21 ans, j’ai reçu des nouilles instantanées (parce qu’un “ami” m’avait volé beaucoup d’argent et que j’étais seule, sans bouffe) et un tube de Lexomil suivi d’un “Je n’ai jamais su t’aimer”.

Il m’a souvent parlé suicide. Il m’a montré le livre “Suicide, mode d’emploi” quand j’étais beaucoup trop jeune. Il ne se sera pas suicidé, et moi, j’attends l’appel final qui le confirmera.

La Juge aux Affaires Familiales a dégagé trois de ses enfants de l’obligation alimentaire pour “sévices psychologiques majeurs”. On l’a, pour ainsi dire, abandonné, nous aussi. Ma sœur restante est sous une emprise la plus totale. Totalement téléguidée, elle nous a souvent agressé-es car validée dans sa haine. Sa dernière victime a été sa propre fille qui n’a, heureusement, pas subi de dommage physique. Comment pardonner ça ?

On aime pas trop trop les enfants dans ce coin-là de ma vie. Ma grand-mère les détestait et l’a eu à regret, obligée de subir un mariage arrangé avec un fasciste pour ne pas subir le déshonneur. Mon père était trop cassé pour savoir faire. Nous avons grandi, demi-frères et demi-sœurs, dans une incertitude permanente. Je suis peu surprise que nous ayons toustes de gros troubles de l’attachement et une insécurité affective qui crève le plafond.

Est-ce qu’on doit tout pardonner ? Les dommages ont été terribles, les absences trop signifiantes. J’ai essayé, toute ma vie, de le réparer avant de fuir. La toxicité était trop immense pour que je ne fuie pas. Mais je lui dis que je l’aime, dans ma lettre, pour tenter de faire en sorte qu’il ne parte pas en se sentant seul. On ne peut pas désaimer quelqu’un facilement, aussi maltraitant soit-il.

Je sais que mon retrait de sa vie a été bénéfique pour moi. J’étais moi aussi sous emprise, prisonnière de ses mensonges et de sa réelle volonté de nuire à mes proches.

Mais la donne a changé, et j’attends l’appel. Les autres ont assez donné, c’est à mon tour, maintenant.

Je me sens comme une merde, une merde qui n’a jamais réussi à lui redonner un cœur, une merde qui a été lâche pour se protéger, elle. Pourtant, je sais que notre relation m’endommageait beaucoup trop. Moi aussi, j’ai eu une enfance “pas top” et une pathologie psychiatrique. Il m’a fait faire deux trois crises psychotiques, oui. Il savait que j’étais déjà suicidaire à 10 ans et me parlait de techniques pour se donner la mort.

Mais il m’a aussi donné le goût de la BD avec sa collection hallucinante, il m’a appris à dessiner en me donnant des idées et du matériel de qualité. Il m’a appris l’informatique sur son vieux Mac LCII et les suivants. Il était très fier que je devienne infographiste et m’a trouvé un stage en imprimerie près de chez lui. Je sais qu’il était fier de moi, il est peut-être fier de ce que j’ai construit. Mon courrier contient des photos de la famille qu’on a fondé, des photos de mes tatouages et de certains de mes plus beaux dessins. Encore maintenant, je veux qu’il soit fier de moi. Fier de mes travaux, de mon audace et de mes convictions politiques.

J’ai l’impression d’avoir 10 ans sauf qu’on ne revient pas en arrière si facilement.

L’adulte que je suis a appris à faire sans. Sans lui, sans son amour. Et je suis toujours là, je ne me suis pas foutue en l’air, j’ai construit une vie souvent bancale, mais c’est ma vie et je sais aimer, presque. On va dire que j’aime bizarrement : lorsque les choses deviennent intenses, je ne sais plus comment faire. J’aime mon fils plus que tout au monde, inconditionnellement. J’avais très peur de ne pas l’aimer, tu sais ? Comme l’impression d’avoir échappé à une malédiction.

Avec mon père, on a pas mal de points communs, dans les bonnes et mauvaises choses. Lui aussi fuit, se replie dans un endroit où personne ne peut l’atteindre, pas même les cris de ma mère qui l’appellent pour manger. Il a fui son fils, faute de savoir comment faire avec cet enfant différent. La majeure partie de sa vie a été recluse, silencieuse, dans une souffrance tue jusqu’à ce qu’elle devienne une arme pour apitoyer ses enfants. “Je vais crever seul” s’est avéré juste. Presque. J’espère que La Poste ne nous la fera pas à l’envers et que je ne louperai pas le coche encore une fois.

J’ai raté le coche pour sa Némésis, mon grand-père, son beau-père. J’attendais de pouvoir acheter mes billets de train Cannes – Nancy quand ma mère m’a appelée pour me dire qu’il était dans le coma et n’en sortirait sans doute pas. J’ai raté le dernier Noël de ma Mamie car l’Enfant faisait une sorte de rhume de hanche très très douloureux et qu’il était hors de question qu’on le coince 5h dans un siège auto. Je savais que je ne la reverrai pas, je n’ai pas pu passer de temps avec elle avant qu’elle disparaisse. Alors La Poste, stp, fais le job, envoie mon amour sous pli rapidement, je t’en supplie, c’est important.

Je suis toujours détruite, mais je ne veux pas qu’il se sente seul, je veux qu’il sache que chacun-e de ses enfant l’aime et l’a toujours aimé. On s’est protégés, car il le fallait, pour notre propre survie. Quand j’entends les récits sur ma sœur toujours sous emprise, j’ai la haine, oui, mais l’amour part pas si facilement. Je sais qu’il a un immense pouvoir de nuisance, que c’est un escroc, un manipulateur, quelqu’un qui, faute de savoir aimer, a appris à haïr.

Alors facteur, presse le pas, car l’amour n’attend pas. Allez. Fais le job plz.

PS : je n’arrive pas à me relire, je suis désolée pour les fautes restantes dans le texte, c’est encore trop dur, là.