Heures de réveil : trop puis 5h55

Comme je suis pas d’humeur a enchaîner des vannes, on va poursuivre la lecture de Silvia Frederici et du Capitalisme Patriarcal.

Ce matin : l’invention de la ménagère. Ce texte de 2016 contient des références historiques que je ne vais pas vérifier, on va faire confiance à Silvia Frederici. Silvia qui parle de “prostituées”, terme que je vais substituer par “Travailleuse du Sexe” ou TDS. Autre précision : il y a beaucoup de sarcasme dans ce texte. Si tu te demande si je suis devenue folle, déjà, oui, je suis folle, mais c’est sans doute du sarcasme.

Let’s PWN

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🐦 “A ce jour, beaucoup considèrent le travail domestique comme la vocation naturelle des femmes […]”
(p.125)

“Retourne à la cuisine me faire un sandwich” est encore une réplique qui tue selon Jean-Kévin, 16 ans. C’est une des réponses les plus fréquentes à toute tentative d’établissement d’un Nouvel Ordre Misandre. C’est également l’objet de beaucoup de “blagues” sexistes.

“Comment donner plus de liberté à une femme ?
– En agrandissant la cuisine”

“Quel est le féminin de “couché devant la télé” ?
– Debout devant l’évier”

“Pourquoi y a-t-il toujours une fenêtre dans la cuisine ?
– Parce que les femmes ont aussi le droit d’avoir leur point de vue.”

C’est bon, t’es suffisamment énervée ? Moi  oui, parce que j’ai dû m’enquiller une plâtrée de “blagues” abominables pour trouver ces trois là, j’ai un peu les yeux qui saignent.

La place des femmes serait donc à la maison et spécifiquement à la cuisine ou dans la chambre. LAULE.

Mais savais-tu que c’était une construction sociale relativement récente et due au capitalisme et à son besoin maladif de générer plus d’argent ? Selon Frederici, on est dans la dernière partie du XIXème siècle et au début du XXème lorsque la femme reçoit l’injonction de rester à la maison au lieu de travailler. Ça peut sembler contre-productif, mais pas du tout, et pour les raisons qu’on va voir plus bas.

“Je ramasse la merde et c’est ma joie”

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Alors, pourquoi enfermer les femmes au foyer et augmenter le salaire des hommes ? Parce que l’homme doit avoir suffisamment d’argent pour entretenir sa famille. Et si sa femme ne travaille pas, elle a tout le temps de faire les trucs super chiants comme récurer les toilettes et s’occuper des enfants. Bizarrement, les hommes étaient très en faveur du retrait des femmes des usines.

🐦 “Dans les dernières décennies du XIXème siècle, les syndicats ont commencé une campagne vigoureuse dans ce sens, convaincus que l’élimination de la concurrence des femmes et des enfants renforcerait le pouvoir de négociation des travailleurs”
(p.126)

La classe, hein ? Avec mauvais jeu de mots haha. Ha.

Les hommes étaient bien opé pour avoir la main sur l’argent, les capitalistes étaient bien opés pour avoir des travailleurs aux habits bien repassés, tope-là !

Le contexte, c’est que la situation des travailleurses était épouvantable et que plusieurs mouvements de travailleurs commençaient à prendre de l’ampleur. On voulait une vie meilleure, pas une espérance de vie de 30 ans dont 20 ans de labeur. Pour en savoir plus : La révolution de 1848 et le « droit au travail » sur le site The Conversation.

Pour le coup, les capitalistes ont bien géré : en faisant semblant de prendre en considération les demandes des travailleurses, ils ont réussi à faire taire les femmes, privées de l’accès au travail, tout en flattant les hommes qui devenaient seuls pourvoyeurs d’argents au foyer. On dévalorise les unes pour valoriser les autres et on répond au besoin de contrôle des femmes qui prenaient un peu trop la confiance en bossant et en fumant le cigare. Ces femmes ne faisaient surtout pas assez de bébés. En mauvaise santé, travaillant toute la journée, il était compliqué de gérer la marmaille autrement qu’en déléguant à d’autres femmes ou en faisant adopter leur progéniture (Les “baby farm”). Au vu de la mortalité infantile et travailleuse, ça coinçait, aussi. C’est pas en mourant en bas âge qu’on allait faire du travailleur, ah, ça, non !

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Je relie un peu ça au besoin d’avoir un fils qui travaillera à son tour pour s’occuper de ses parents tout en portant fièrement le nom de la famille.

Une femme qui travaille a moins le temps de développer son “amour maternel” et sa maison est dégueulasse, en plus. Elle ne raccommode pas, elle rachète, faute de temps. Sa bouffe est pas terrible car elle fait avec ce qu’elle peut. Et ça, ça ne va pas du tout.

🐧 “étant employée de huit heures du matin à cinq heures du soir, elles [les femmes] rentraient au foyer fatiguées et lasses et refusent de faire le moindre effort supplémentaire pour rendre la maison confortable […] lorsque le mari rentre, il trouve tout inconfortable, la maison sale, aucun repas préparé, les enfants pénibles et chamailleurs, l’épouse négligée et irritée et si foyer si désagréable que bien souvent, il se rend au pub et devient un ivrogne”
(Rapport de la Commission sur l’emploi des enfants – Royaume Uni – 1867)

Puis, surtout, il faut les contrôler, les bonnes femmes. En ayant la main sur l’argent, on les place sous tutelle, on se la refile de père en mari, comme un fardeau. Elle a bien de la chance, d’ailleurs, sache-le. Au moins, elle ne travaille pas, hein ? Pourquoi invisibiliser le travail domestique si ce n’est pour les convaincre qu’elles ne valent pas un clou ?

On oblige donc les femmes à se retirer de la vie publique en faveur du huis clos familial, pour que son mari ait une maison propre, bien rangée, et puisse se reposer correctement après un bon repas préparé avec amour et servitude. Parce que ces espèces de sorcières qui travaillent assurent leur propre subsistance, se donnent le droit de vivre à l’extérieur du foyer et n’ont pas forcément envie d’avoir des enfants. En supprimant l’indépendance financière, on supprime l’indépendance tout court. Ingénieux.

On s’est également rendu compte que les enfants qui travaillaient avaient tendance à mourir de manière précoce. Que faire si on ne les met pas à l’usine, dans les champs ou dans les mines ? On les laisse à la maison avec maman qui en prendra bien soin et on peut éventuellement les scolariser afin de leur inculquer des compétences intéressantes pour leur futur travail. Habile.

Moralité : chaque fois que le capitalisme te fait un cadeau, c’est pour mieux te la faire à l’envers. Tu ne t’en rends compte que trop tard.

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Pour extraire encore plus des travailleurs, il leur fallait des conditions de vie moins minables. On va dire que c’est un investissement gagnant du système : vends-toi tout entier, donne le maximum de toi-même et ta femme s’occupera de tout le reste. Tu n’as qu’à travailler, tu ne dois penser qu’à travailler, tu dois être loin des considérations domestiques futiles.

🐦 “[Alfred] Marshall soulignait également que c’était la mère qui avait « l’influence principale, et de beaucoup la plus puissante [sur les enfants] » pour la détermination de l’« habileté générale » au travail, définie de la manière suivante : « Être capable de penser à plusieurs choses à la fois, tenir chaque chose prête pour le moment où on en aura besoin, agir avec promptitude et se montrer plein de ressource lorsque quelque chose va mal, se plier rapidement aux modifications de détail à apporter dans un travail, être régulier et exact, avoir toujours une réserve d’énergie toute prête à l’occasion, voilà les qualités qui font un grand peuple industriel. Elles ne sont pas spéciales à un métier, mais sont nécessaires dans tous […]. »”
(p.135)

Est-ce que ça nous rappellerait pas les qualités dites “féminines” ? Multitâches, plus agiles, plus flexibles, créatives et imaginatives ? On nous dit “vous avez tellement de valeur” en nous valorisant uniquement sur des talents utilisables. T’es sensée être multitâches, donc on peut te donner plein de trucs à faire. Tu sais palier à l’urgence, alors on peut te refiler n’importe quel drama. Le coup de la réserve d’énergie toute prête, j’appelle ça le stress, parce que ma réserve d’énergie, comment dire…

Et on te fait croire que ce sont des qualités super utiles. Je ne dis pas que ce ne sont pas des qualités super utiles, je dis que si tu ne les as pas, tu es nulle. On compte sur ces talents essentiels et essentialistes pour nous obliger, via une valorisation factice, à obéir aux aléas qu’on nous jette en travers de la gueule. Tu parles de “qualités”, mon cul. Ce n’est pas une liste de qualités qui est énumérée, ici, c’est une litanie d’injonctions.

Tu as de l’influence sur tes enfants, c’est tellement cool ! Bon, c’est toi qui les fabrique, qui les accouche, qui les soigne, les nourrit, les habilles, mais c’est tellement cool ! En plus tu ne payes pas d’impôts là dessus, franchement, c’est un bon deal.

Non ?

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On ne nous a pas sorties de l’usine pour nous aider, non. C’est le fruit d’un calcul stratégique très payant, destiné à exploiter encore plus les travailleurses.

L’embrouille c’est que, quand on est retournées bosser, on a continuer à exiger de nous cette dévotion au foyer. Pile tu perds, face je gagne.

Frederici parle ici (en page 137) du système d’Éducation Nationale et de la mise en place des cours d’Arts Ménagers. Si tu as raté tous les épisodes précédents, sache que ma Mamie était professeure d’Arts Ménagers, que c’est un sujet qui m’intéresse, que je possède “La Fabrique des Filles” (non encore lu, je l’avais offert à ma Mamie et je l’ai récupéré après son décès, c’est encore un peu tôt) et que je compte bien en faire une fiche de lecture. J’ai été élevée dans ces valeurs là, je sais cuisiner, faire les courses, la comptabilité, repasser, coudre, broder, nettoyer ma maison du sol au plafond, activité qui me procure d’ailleurs beaucoup d’apaisement.

Je sais donc de première main en quoi ces cours consistaient et quel est leur but : que tu saches “tenir” ta maison. Elle serait sans doute pas mécontente de mon lieu de vie, j’étais une bonne élève.

Mon avis est que ces cours sont utiles. Désolée. J’aurais aimé qu’on retrouve ce type de cours à l’école, pour tout le monde (pas que pour les filles, donc). Apprendre aux garçons à entretenir une maison, via l’école, est une bonne idée si on veut cesser d’avoir des ingénieurs en aéronautiques soit disant perdus devant un lave-linge. Savoir tenir une comptabilité, j’en suis incapable mais je sais comment faire. Savoir laver son propre linge, s’occuper des enfants et tout le reste, ce serait appréciable pour les hommes aussi. Fin de l’aparté.

Le supermarché. Ou comment faire toutes tes courses au même endroit sans perdre de temps. Formidable invention pour nous dégager du temps destiné à faire les vitres.

D’ailleurs, Moulinex libère la femme en proposant des accessoires fort pratiques. Le réfrigérateur, le congélateur, le lave-linge, le lave-vaisselle, inventions réellement utiles mais destinées à nous lier au foyer pour de bon. Si tu as plus de temps devant toi, tu seras plus productive et on t’en demandera de plus en plus. On te demandera par exemple…de travailler de nouveau. Après tout, tu as le temps, maintenant.

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Et puis, on peut y voir plus clair entre la femme convenable et la femme de mauvaise vie. La femme convenable est à la maison, pas sur le trottoir. Celle qui est sur le trottoir peut, en revanche, être rééduquée afin d’exercer sa fonction première de Femme Convenable. On crée donc un clivage entre celles qui se pensent meilleures et celles qui se pensent libres (et le sont parfois). Les femmes au foyer ne s’abaissent pas à ce niveau fantasmé, même si leurs sœurs du trottoir gagnent mieux leur vie.

C’est à cette période (fin XIXème) qu’on a réellement commencer à dégrader le travail du sexe. Des règlementations sont posées, un hygiénisme forcené devient la normalité, on contrôle leur corps de fond en comble et, là aussi, c’est la win par la bande (haha)pour le capitalisme. Au prétexte de surveiller et contenir les Infections Sexuellement Transmissibles (IST), on contrôle de plus en plus les TDS, quitte à les surmédicaliser et les enfermer en institution. Il faut à tout prix restreindre leurs libertés et casser leurs avantages, des fois que les femmes au foyer se décident à changer de camp. Il fallait que leur condition soit plus avantageuse pour les dissuader de faire autre chose de leurs vies que des gosses et du ménage. Surtout, il fallait les dévaloriser pour inciter les autres à devenir des ménagères.

La servilité déguisée en respectabilité.

Au final, c’est l’homme, le mari, qui ramène quand même la thune et qui a le pouvoir d’aller le picoler ou pas.

C’est qui, le patron ?