Heure de réveil : 4h49 (chats)
(Validisme : discrimination envers les personnes malades et/ou en situation de handicap)
Pffffffffffffff j’me traîne, c’est rhaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa.
Hier, sur le chemin de retour de l’école, un de mes pieds m’a fait un sale truc et je suis bien contente d’avoir toujours ma canne dans mon sac.
Je sais que c’est mon corps qui crève de stress. La rentrée ne se passe pas très bien pour l’Enfant mais je n’ai pas envie d’en parler.
Etre en situation de handicap c’est d’avoir un sac suffisamment grand pour pouvoir contenir une canne pliante. Envisager de la prendre ou pas, la prendre pour rien plein de fois, et être bien contente de l’avoir au moment où ça merde.
C’est assez “marrant” mais quand je la sors dans la rue les gens captent pas. Elle marchait avec ses jambes. Elle marche pu. Pouf pouf. Je lis souvent l’incrédulité.
Une fois, mon genou a lâché à 50m du RER. J’ai sorti la canne, j’ai eu les regards courroucés de “Elle fait semblant rien que pour avoir une place assise”.
Je ne sais pas qui espère une place assise dans le RER A un matin de semaine à 8h12, canne ou pas, mais c’est pas le genre de choses qui se produit dans ma réalité. D’ailleurs on ne m’a proposé que deux ou trois fois une place dans les transports depuis que j’ai une canne (circa 2010). Deux fois j’étais en canne ET enceinte, donc on va dire que ça ne compte pas.
Genre je sors la canne juste pour le fun, parce que c’est tellement pratique de marcher avec une canne, tsé. Ou pour me faire plaindre. J’adore.
On dirait que ça contrarie les gens que je sois obligée de marcher avec une canne. Peut-être qu’iels se sentent coupables ? Mais coupables de quoi ? Je ne leur demande rien, je n’attends rien d’euxlles. Juste qu’on ne me bouscule pas, à la limite, et encore, ça c’est pas acquis.
Coupables d’aller bien ? Ça m’étonnerait.
Coupables de savoir d’avance que ça sera la guerre pour rentrer dans la rame du RER et qu’iels seront sans pitié avec moi ?
Coupables d’utiliser la technique du regard glissant pour me situer dans l’espace sans avoir à me regarder ?
Perso, lorsque je regarde une personne marcher avec difficulté j’envoie juste de la compassion. Une des mamans d’élève de l’école primaire a une jambe vraiment bien blessée, quand je la vois marcher j’ai juste de la compassion pour elle parce que je ne sais pas ce qui s’est passé mais ça doit être terrible.
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Ma maman a eu un gros problème au pied (c’est héréditaire, ton truc, au fait) et doit marcher avec une canne. Elle avait des difficultés de marche avant, mais c’est en ayant la canne qu’elle a compris le truc.
“C’est chiant, hein ?”
Ouais, c’est chiant.
Mon père a, lui, refusé la canne quand il s’est remis de la première d’une série de chutes liées à l’ami Parkinson. Il a tellement refusé le handicap qu’il s’est levé de son lit à l’hôpital et qu’il est tombé, se cassant le col du fémur. Quand on se parlait encore, il me disait que la canne c’était le dernier des trucs d’invalide qu’il refusait. Que c’était pour les vieux. Pas pour lui. J’avais déjà la canne pliante dans le sac depuis un moment, je n’ai rien dit. On était au téléphone, de toutes façons.
Même ma mamie ne supporte pas d’avoir à utiliser un déambulateur. Elle a 95 ans. Elle refuse absolument le truc. Pas elle. Elle refuse la maladie tout net, de toutes façons. Quand mon grand-père a été malade on va dire que ça n’a pas été la personne la plus soutenante du monde. Le cancer l’agaçait.
Je donne des exemples dans ma famille mais tu sais que tu en as dans ton entourage, des personnes qui ne veulent pas du handicap. Personne ne veut du handicap. Mais quand t’es malade, à un moment…faut admettre le truc. Ça m’a pris un moment pour investir dans une vraie canne.
La béquille ça faisait temporaire, tu vois ?
Une béquille, c’est quand tu t’es blessée et que tu sors de l’hôpital, une canne ça veut dire que tu as investi dans un objet indispensable à ta vie.
La mienne est jolie, c’est une canne noire avec des flammes inspirée par Dr House. C’est mieux qu’une béquille, esthétiquement, mais ça traumatise quand même les gens.
Le regard de la panique devant la maladie. Je comprends, j’ai parfois le même sentiment d’impuissance devant les maladies des autres. Je me sens coupable de ne rien pouvoir faire et ça peut entraîner un comportement de fuite : déni, refoulement, colère rentrée.
On fait aussi appel à la notion de deuil lorsqu’on se présente malade. La maladie fait forcément penser à la mort et la mort ça fait peur. Est-ce que la personne en canne a une maladie mortelle ? Qu’est-ce qui lui arrive ? Est-ce que ça pourrait m’arriver à moi aussi ?
C’est logique de ne pas vouloir voir ça. Moi non plus, j’aime pas les cannes. Honnêtement, je déteste ça. J’aimerais que tout le monde soit en bonne santé mais c’est pas comme ça que ça mar…boîte.
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“Mais tu es si jeune !” on m’a déjà dit.
Déjà c’était cool parce que je ne me sens pas du tout jeune. Donc merci. Ensuite…que dire ? “Ah ouais c’est pas de bol” ? “Oui j’ai préféré commencer jeune histoire de m’habituer aux douleurs du grand âge” ? “Non, c’est mon nunchaku pliant” ?
Je crois que le pire ce sont les proches qui s’éloignent parce que le truc est pas gérable. Ceuxlles qui ne comprennent pas que je ne peux pas prévoir du jour au lendemain comment je me sentirai. Ceuxlles qui râlent parce qu’il faut organiser les événements en pensant à l’accessibilité. Je ne suis ni stable, ni fiable, c’est un de mes problèmes majeurs. L’avantage c’est que ces personnes sont parties depuis un moment, déjà.
En ce moment, par exemple, le psy est désastreux. C’est causé en partie par la douleur constante. J’avoue, à un moment, ça fatigue. Donc mon psychisme s’effondre un peu plus, et le corps suit. Ces deux cons ont pas pigé que c’était pas une compétition.
Donc je suis là, invalide, je regarde mes possibilités et mes choix limités. J’ai plus envie de déranger alors je viens plus aux soirées (dommage). J’ai vraiment l’impression d’être un boulet alors qu’en fait je procède moi aussi de la même manière que mon père : ça me fait chier d’être à mobilité limitée, alors je fais comme si. Je n’ai pas envie d’être malade, alors je fais de mon mieux pour simuler la bonne santé.
C’est raté.
Lorsque je suis en compagnie d’une personne qui marche avec une canne, je suis prévenante. J’essaie de faire en sorte que le temps passé ensemble soit agréable, parce que j’ai envie de voir cette personne. Mais quand c’est moi qui suis en rade de genou, je m’engueule. Je ne sais pas de quoi je m’engueule. De la génétique ? De la pression atmosphérique qui fait n’importe quoi ? Des chats qui me réveillent ? Des jambes lourdes ?
Tu as raison, c’est n’importe quoi.
Mais je ne me sens pas encore tout à fait résignée, tu vois ? Parce que je n’utilise pas souvent la canne et puis peut-être qu’on va trouver un traitement qui fonctionnera quelques années ?
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Rhàlàlà c’était quand même pas mal quand le traitement fonctionnait. J’ai oublié quelques années à quoi ressemblait vraiment la spondylarthrite. Bah ça m’avait pas manqué.
C’est ASSEZ cruel d’aller mieux quelque temps puis de faire un échappement thérapeutique. Le sentiment que ça a provoqué en moi quand j’ai compris, je ne le souhaite à personne. Je suis désolée si tu l’as déjà déjà ressenti.
Je sais que je suis pleine de validisme. Du validisme réactionnel on va dire. Je ne veux pas avoir mal, je ne veux pas prendre des médicaments, je ne veux pas avoir tout le temps une canne dans mon sac. Ça me fait chier. J’ai pas envie. Alors peut-être que si je ferme les yeux un moment…ça va passer ?
…et oui, à chaque fois, j’y crois. Je me dis allez, si ça se trouve…puis non, évidemment.
Il faut que je travaille sur mon propre validisme, si ça se trouve…ah nan, là ça pourrait marcher.
Est-ce que c’est choquant, d’avoir le validisme intériorisé comme on peut avoir le sexisme intériorisé ? Pas tant que ça. J’ai connu beaucoup de malades qui refusaient en bloc leur pathologie. Qui prenaient leurs médicaments de mauvaise grâce. Qui ne voulaient juste pas être malades. Certain-es ne sont plus là, maintenant, mais iels n’ont pas lâché l’affaire jusqu’au bout.
Alors du coup, pas lâcher l’affaire c’est quoi ? En quoi c’est précieux ? Pas lâcher l’affaire c’est parfois ce qui nous sauve, mais d’un autre côté c’est refuser la maladie ou le handicap, du coup c’est quand même validiste.
C’est en ça que le validisme est subtil, je trouve. La misogynie intériorisée, elle dépend de facteurs sociaux et environnementaux mais elle est dans le pack de base des personnes assignées femmes à la naissance.
Est-ce qu’on peut tirer bénéfice de sa misogynie intériorisée ? Absolument. Ou, du moins, c’est ce qu’on croit (la posture de la rémora ou de la reine des abeilles n’est pas des plus saines mais elle entraîne des bénéfices). On se présente ainsi car on pense pouvoir profiter de ça : en étant “la meuf pas comme les autres” par exemple. Au final on ramasse mais on a joué le jeu un temps.
Ici, c’est plus compliqué. On a aussi les facteurs sociaux et environnementaux, mais il y a une variable en plus, et pas des plus simples à gérer : la pathologie, son suivi et son évolution.
Pire, le fait de ne pas se résigner est aidant, lorsqu’on est malade ou en situation de handicap. C’est le fait de se résigner qui est inquiétant. On se dit que la maladie ne gagnera pas et qu’on va se battre.
Mais est-ce du validisme intériorisé ? Peut-on vraiment parler de validisme intériorisé ?
J’en sais rien.
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Est-ce qu’on peut se résigner, aussi ? J’ai toujours pensé que la résignation c’était la mort alors que lutter contre soi-même n’est pas des plus efficaces.
Si on veut être honnête, rien n’est efficace. On gère comme on peut, avec les outils qu’on a. Moi je gère avec le refoulement et je serre les dents. Ce n’est pas une bonne stratégie, mais je n’en ai pas d’autre en stock.
Le validisme a ceci de particulier qu’il n’est pas stable dans le temps. Ma pathologie peut être parfaitement invisible pendant des mois si j’ai un traitement qui fonctionne.
Est-ce que je suis devenue valide en prenant le traitement ? Certes non, rien qu’à cause des effets secondaires. Mais je peux faire semblant de manière assez réaliste.
Lorsque je marche avec ma canne, je suis même peut-être en meilleure santé globale que lorsque je marche sur mes deux jambes.
Je marche en canne lorsque mon genou s’épanche, par exemple. Et heu…niveau douleurs, c’est désagréable mais ça passe. Ce porter de béquille n’est pas justifié par mon handicap si on s’en tient au cadre strict de la CPAM : mon genou s’épanche pour une autre raison que la spondylarthrite. Il est donc possible que je n’aie mal QUE à ce genou-là. (Non je déconne, j’ai toujours mal quelque part)
C’est sans fin.
En fait faut “juste” que j’arrive à être bienveillante avec moi comme j’essaie de l’être avec les autres.
Mais je pense quand même qu’il faut que je travaille sur la question de mon propre validisme avant d’envisager la suite. C’est important, parce que j’arrive à un point de rupture.