Heures de réveil : beaucoup trop, 7h25 (ankylose)
Je me sentais sans doute trop bien, fallait que le corps flanche. Je cherche un nom pour ma spondylarthrite mais elle est tellement multiformes que je l’appelle juste “ta gueule”. La douleur n’est pas encore trop intense mais je sais que ma poussée inflammatoire se dévoilera au fil de la journée. Donc en attendant, on se laisse pas abattre sur “Antidote” de Style of Eye et Magnus the Magnus et ça va le faire, je vais réussir à tenir la station assise plus de 30 mn. Et prendre mes médocs. Bien vu. Merci. Mais je t’en prie, des fois tu oublies et si tu démarres comme je le sens, tu les prendras pas avant 10h.
(Avant-avant propos : je suis un peu déprimée par cet article, je dévie un peu, je suis désolée si le texte te semble hors sujet par moments, les mots ont provoqué quelque chose en moi et je dois les écrire)
Si tu as raté des wagons, on parle d’un texte intitulé “Elle doit être folle”. Le texte en question de Jennifer L. Reimer : https://www.zinzinzine.net/elle-doit-etre-folle.html (chaque citation avec 🐦 correspond à ce texte)
TPH : trouble de la personnalité histrionique
TPB : trouble de la personnalité borderline
TPD : trouble de la personnalité dépendante
TPA : trouble de la personnalité antisociale
⚠⚠⚠ Je ne parle pas de la réalité du trouble tel qu’il est vécu mais bien du diagnostic effectué ⚠⚠⚠
⚠⚠⚠ Je ne suis pas non plus psy (et les précisions sont bienvenues) ⚠⚠⚠
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Normalement, aujourd’hui, c’est la fin de cette longue et passionnante série. Je ne dis pas ça car j’adore mon boulot, mais parce que la lecture, les recherches, les vérifications, les commentaires que tu m’as envoyés, tout ça a contribué à me rendre un peu moins bête et c’est cool.
Ce matin, on parle du “rétrécissement du spectre de la normalité” et j’avoue avoir hâte parce que j’ai encore des questions et, oh, ça correspond à ce dont on va parler ce matin. Magie. Non, j’ai réellement absolument rien préparé, comme chaque matin chaotique.
Qu’est-ce qui est normal ? Qu’est-ce qui ne l’est pas ? Est-ce que les gens chiants sont forcément malades ? Est-ce que les gens malades sont forcément chiants ?
Comment définir les 12 mm de normalité comportementale ? Oui, 12 mm c’est à peu près la marge de manœuvre qu’on a.
🐦 “La psychiatrie est tellement puissante que par sa simple utilisation du mot «trouble», toutes recherches portant sur le même phénomène par d’autres disciplines sont rendues triviales, discréditées, ou stoppées, entravant la possibilité d’une compréhension plus profonde, et limitant efficacement la pensée et le modelage de la pratique. Elle a utilisé son pouvoir pour pathologiser les comportements qui enfreignent les normes sociales, y compris les tentatives de défier les stéréotypes de genre, ainsi que les expressions de frustration, et les tentatives de résister à la subordination patriarcale. Expliquer des comportements «difficiles» ou «déviants» à l’aide du modèle médical, qui désigne la pathologie individuelle comme fautive – ici la «personnalité perturbée» – détourne toute attention du contexte social des relations de pouvoir genrées qui produisent probablement de tels comportements”
La dépolitisation par la psychiatrisation, en somme. J’adhère et je comprends le mystère derrière ma Théorie de la Collègue Unique qu’on va appeler TCU parce qu’il n’y a pas de raison que seuls les pros puissent faire des acronymes à la con.
J’ai fait pas mal de jobs différents, parce que je suis instable et que je m’ennuie assez vite. Une fois que j’ai les ficelles du truc, le challenge est mort et la routine s’installe. A chaque nouveau job, j’ai une collègue qui est identique à des collègues précédentes. Cette collègue, qu’on va appeler Cindy en référence à la dernière dont je me souviens du prénom, a les mêmes attributs : plutôt jolie, très routinière, a un chéri qu’elle appelle Mon Chéri comme les chocolats empoisonnés, elle s’efforce, et c’est perceptible, de se conformer tout en gardant son identité et tout en jugeant tout ce qui dépasse chez les autres. Elle est souvent blonde à balayage, parle de ses vacances, fait des selfie avec la bouche en canard, est toujours au régime ou “fait attention”, reste à la mode, se fait épiler les sourcils pendant la pause déjeuner, etc. Son but dans la vie est de se marier, d’avoir des enfants avec Mon Chéri, de s’acheter un petit pavillon avec un jardin pour le chien, et surtout, de rester mince toute sa vie. Mince et pas fripée.
Cindy m’a toujours fait un peu de peine, ou presque, parce qu’en général Cindy est de droite genre bien de droite avec les bons préjugés qui vont avec. ELLE est normale, ELLE. Et à peu de choses près, je la retrouve dans presque tous les bureaux que j’occupe. Je dis presque car quand j’ai bossé avec que des mecs, j’avais Gilbert, son pendant masculin qui fait des blagues salaces.
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L’image de Cindy (et celle de Gilbert) se confondent dans mes souvenirs. Une chose, cependant.
Une souffrance perceptible. Les yeux dans le vague, parfois. Une certaine mélancolie qui me fait dire que j’ai beau avoir le contexte pété que j’ai, j’ai au moins des perspectives de changement tandis qu’elle sera au même bureau dans 2 ans. Cindy s’emmerde à en crever dans sa vie mais a trop peur de sortir du cadre. Je le sens quand je lui parle. Elle me méprise autant qu’elle le peut, elle me le fait comprendre, mais je ne ressens pas de colère à son égard, juste une tristesse infinie.
J’aurais pu être Cindy, je pense. Si je n’avais pas connu la spondylarthrite, la dépression, la bipolarité, j’aurais pu être comme elle. J’ai failli rater le virage et on a encore des photos dossiers de moi en Normie. Non, c’est faux, d’accord, j’ai toujours été folle.
Mais moi aussi, j’ai essayé de toutes mes forces de me conformer et je connais la tristesse de ne pas réussir à être normale.
J’ai commencé à réellement vivre quand j’ai tout envoyé bouler. D’ailleurs je n’ai ni chien, ni jardin, ni pavillon. J’ai un mari adorable, un enfant adorable, deux chats et un appartement que je passe ma vie à décorer. J’ai atteint les objectifs de Cindy sans le savoir (ça explique peut-être l’hostilité palpable de ma dernière Cindy).
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…pardon, je viens de prendre une baffe virtuelle, là. J’ai jugé Cindy, j’aurais pas dû, j’aurais dû percevoir cette souffrance et je m’en veux. Un peu.
🐦 “Les prisons, les écoles, les asiles, les usines, et d’autres institutions sociales ont été de plus en plus concernées par l’efficacité, c’est pourquoi des techniques telles que la stricte réglementation du temps et la supervision panoptique ont été adoptées. Ces caractéristiques demandaient des sujets obéissant·es dont les corps pourraient, avec l’«entraînement» adéquat, être transformés avec succès en corps inconditionnellement dociles ; ainsi, les individus indociles ont rapidement été classé·es comme «anormale·aux», en se fondant sur le seul critère de leur incapacité à se conformer à des demandes institutionnelles (Foucault 1977).”
(Panoptique c’est la capacité de voir sans être vu-e, je viens de chercher la déf.)
La normalité serait donc le fait de répondre aux critères nécessaires à la construction d’une société sans aspérité. Savoir aller au boulot tous les jours, bien gérer son argent, avoir une vie sociale ni trop ni trop peu remplie, ne pas avoir recours à des drogues plus fortes que l’ibuprofène, ne pas avoir un caractère saillant, se maîtriser, dire bonjour à la boulangère et ne pas prendre 2kg de pain aux fruits dans une frénésie de pain aux fruits, ce genre de choses. Je suis désolée mais c’est trop bon, le pain aux fruits.
Être hétérosexuel-le, cisgenre, s’inscrire dans la binarité, suffisamment aimer le sexe pour produire des enfants sans trop aimer le sexe, ne pas crier, ne pas frapper ou faire de crise. Marcher dans la rue avec des chaussures, avoir le cheveu naturel ou blond, sans signe ostentatoire de déviance que des boucles d’oreilles, s’habiller dans les enseignes connues ouvertes dans le centre commercial du coin. Rester poli-e et souriant-e à tout prix même si le connard derrière nous à la caisse de chez IKEA nous roule dessus.
Faire le deuil de la normalité est excessivement difficile. (Wow, c’est pas du tout une surprise, mais ça me déprime réellement, tout ça, j’ai vraiment pris un coup inattendu, tellement de personnes prisonnières de ça…)
Dans quel but ?
Tu crois quoi, Bichette, on est dans un monde néolibéral, faut produire de la valeur et en recevoir une fraction toujours plus maigre. Les gens normaux vont au boulot quand moi je fais la maline avec mes handicaps. Iels produisent et je vais me faire un café au Xanax 🤷♀️
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🐦 “Le «test de personnalité», une rubrique présente depuis longtemps dans les magasines féminins, est une façon rapide et facile de déterminer si les habitudes, le style de vie et les relations de quelqu’un·e sont à la hauteur des standards de normalité, ou bien si un petit ajustement serait nécessaire, voire même un petit «traitement». Internet a donné à ces tests une autre ampleur, et de Pfizer, jusqu’aux personnes lambdas, en passant par les auteurices de développement personnel, tout le monde a développé des séries de questions que l’on peut utiliser pour s’auto-diagnostiquer. On peut voir cela comme une manifestation particulièrement extrême de gouvernementalité, puisque les individu·es évaluent volontairement leur vie et procèdent volontairement à des changements dans leurs comportements.”
Je te le dis tout de suite : je ne suis pas d’accord avec les propos sur l’auto-diagnostic, même si je les comprends au sens sociologique. L’auto-diag permet de se connaître et de retrouver nos pairs. Je pense à l’autisme, par exemple. C’est difficile, parfois, de faire la démarche de consulter 15 spécialistes pour être diagnostiqué-e. On est dans la défiance par rapport à la psychiatrie, qui nous le rend bien. L’auto-diag n’est pas qu’un support à une amélioration forcée. Il permet beaucoup plus que ça, si on se situe déjà hors du champ de la normalité. Je rappelle ici à quel point il est difficile d’obtenir un diagnostic. Pour moi, ça a attendu 37 ans, 37 ans sans savoir ce qu’il m’arrivait, sans comprendre pourquoi j’étais comme ça. Le diagnostic a été libérateur, j’ai eu les clés pour comprendre ma configuration, j’ai rencontré des personnes comme moi et c’était chouette.
J’ai ressenti le même soulagement lorsque j’ai eu le diagnostic de spondylarthrite ankylosante. Depuis mes 12 ans, j’avais des douleurs parfois très intenses, d’autant plus intenses que localisées un peu partout et sans explication (aka “tu mens pour pas aller à l’école ou au bureau”). Le diagnostic a été libérateur et j’ai pu rencontrer une communauté de pairs qui m’ont infiniment aidée à comprendre, car les médecins c’est “démerde toi avec tes AINS on se revoit dans 1 mois”. Je n’ai pas de signe à l’imagerie car j’ai une forme de la pathologie qui se voit très tardivement (version “enthésique”, 10% des cas, surtout des femmes), leur présence a été salvatrice. D’autant plus que j’étais au stade “s’enlever la vie” car les douleurs étaient devenues abominables.
Depuis quelques années, j’aide comme je le peux. J’aide des personnes victimes de violence, j’aide des personnes en errance thérapeutique, je réponds aux questions relatives à la chirurgie bariatrique, aux pleurs des victimes d’inceste et ma messagerie est toujours ouverte. L’aidance par les concerné-e est précieuse.
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Donc l’autodiag.
Je comprends le principe de ce qui est dit : on s’auto-diagnostique pour répondre aux critères souhaités, et là dessus je vais te renvoyer à “Happycratie” d’Eva Illouz, livre qui est dans ma pile “fiche de lecture pour le blog”. Répondre à l’injonction de pas faire de vagues en se psychiatrisant. Parce que le problème vient forcément de toi, n’est-ce pas ? Le monde actuel n’est pas anxiogène, le monde actuel fonctionne parfaitement bien, parfaitement bien si on trouve que les noyades de personnes exilées en mer sont normales et que la précarité galopante, soutenue par une fuite en avant mortifère et menée par des gouvernements autocrates sont de bonnes choses.
Mais, concernant les tests dans les magazines, je suis entièrement d’accord. Si tu savais combien de ces tests j’ai réalisés…et j’étais toujours trop ou trop peu, ce qui entraînait une certaine détresse chez moi. J’étais toujours à l’ouest, décalée, je ne me retrouvais pas souvent dans une des cases.
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🐦 “Tout au long de l’histoire, un changement social positif a été encouragé par le mécontentement individuel et collectif, servant de motivation pour améliorer le monde social. En assignant le mécontentement au domaine de l’anormal, et en localisant sa source dans une pathologie individuelle, son potentiel à inspirer l’action est écrasé. En outre, cela isole les individus les un·es des autres et étouffe tout dialogue, puisque les «ennuis» de quelqu’un·e sont transformés en raison d’avoir honte, et en quelque chose à laquelle l’on doit remédier par soi-même, avec l’aide de l’«expertise» offerte par les sciences psy.”
Je me souviens encore du regard de mon dernier psychiatre lorsque j’ai dit être militante féministe et critique du capitalisme comme injonction à la production. L’empathie et la rébellion font entièrement partie de ma personnalité, le Bon Docteur m’a regardé comme si j’étais complètement paumée. Il n’a rien dit, je n’ai rien dit, et il a augmenté ma médication.
Calmer le mécontentement, faire taire la dissonance et conspuer les personnes qui ne sont “jamais contentes”, on en est là. N’importe quel connard peut huer la SNCF dans les commentaires du Figaro, il trouvera bon accueil. Mais si tu pointes du doigts les véritables problèmes, à savoir que le statut de cheminot-e n’est PAS un “avantage de flemmasse” mais une contrepartie à un métier difficile, tu es une tarée de gaucho. Oui, j’ai testé pour toi. Je suis une tarée de gaucho ou une bisounours et mon irréalisme les fait rire comme jamais.
Je pense sincèrement qu’on peut accueillir toute la misère du monde, par exemple. Bon sang, je ne le dis pas à des personnes lambda, sinon je…passe pour une folle idéaliste.
Je pense aussi à toustes les potes “kinky” qui ont des pratiques sexuelles qui les regardent mais qui sont vues comme des déviances. Le Shibari (les restrictions physique à l’aide de cordes) c’est “un truc de tarés”. Le polyamour une vaste blague où tout le monde est sensé finir malheureux-se. Pourtant, à part les habituels prédateurs dans le milieu, j’ai surtout des récits grandioses de libération du plaisir et de l’amour. Je vois, je ressens l’immense tendresse qui lie ces gens sensés être fol-les et ça me semble positif, l’amour et la liberté.
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Une LaFâme doit répondre aux critères de beauté physique, déjà. Bien s’habiller, se mettre en valeur (mais pas trop), avoir le maquillage “nude” qui demande 25 mn de réalisation chaque matin pour faire croire que t’es maquillée légèrement alors que pas du tout. On doit aussi être minces, bronzées (mais pas racisées haha), perdre chaque kilo pris lors de la grossesse, sans acné, le cheveu rebondi, etc.
Mais elle doit, surtout si elle est mère, présenter un visage uniforme.
Une psy m’a dit “si maman guérit, l’enfant ira mieux, efforcez vous de présenter un visage uniforme à votre enfant sinon cela affectera son attachement en le rendant insécure et donc anormal.”
J’ai dit “C’est compliqué, en étant bipolaire, je ne peux pas cacher mes phases aux stades les plus hauts – ou bas -”
Elle m’a dit “Je ne crois pas en la bipolarité, vous faites une dépression réactionnelle”.
Là j’ai capté qu’elle était une psychanalyste déguisée, j’ai dit oui oui, on s’est cassés et j’ai fait une crise psychotique face à mon incompétence à être une mère normale.
La pression faite sur les mères est inimaginable et on en a déjà parlé donc on va dire que tu m’as lue sur le sujet.
Les injonctions à la minceur sont, selon moi, la porte d’entrée aux Troubles du Comportement Alimentaire (TCA). Pas toujours, mais tu connais forcément une femme constamment au régime ou qui te parle de ton poids. On félicite celle qui a perdu, sans se demander de quelle manière la magie a opéré. Et une fois que tu as un TCA ? Et bien, toutes mes félicitations, tu es folle et tu as la possibilité de te faire interner en hôpital psychiatrique pour te faire soigner 🥳
🐦 “La double contrainte émerge une fois encore, puisque l’un des critères du TPH est la «préoccupation pour l’attrait physique». Il semble plus que raisonnable dans ce cas de demander si toutes les femmes sur les pages de Vogue, les femmes de Sex and the city, et n’importe quelle femme se pavanant dans la rue dans des chaussures à trois cent dollars, ne souffrent pas d’un TPH, et n’auraient pas besoin d’une petite thérapie, d’un petit développement personnel, ou d’un petit Prozac.”
Les femmes sont dressées à chercher l’approbation et à corriger ce qui semble anormal aux autres. On m’a souvent, dans certains commentaires sur certaines publications, enjoint à “me faire soigner”. Un jour, j’ai dit que j’étais féministe sur le groupe Facebook de ma commune, une femme m’a envoyée me faire soigner. T’es pas contente, tu TE soignes, car la société va très bien, merci. Pas besoin de revendiquer, allez, tu te montres en spectacle et on te rappelle que les femmes ont le droit de vote et metoo alors merde, ça suffit maintenant.
Impossible d’avoir une image de soi réaliste lorsque le monde s’acharne à te rendre folle. C’est pas toi qui décides si tu es belle, par exemple. Tu es belle si tu te fais harceler et si on te complimente, ton image de toi n’est pas générée par toi, mais renvoyée par l’extérieur. C’est pas toi qui décide si tu es une bonne mère, c’est l’école qui va te dire si ton enfant est conforme ou problématique. Le mien fait des meltdown à la cantine, alors on m’a dit de l’envoyer chez un-e psy. J’ai plutôt décidé de le retirer de la cantine et d’aller le chercher, même si ça me coûte, car le bruit d’un réfectoire est violent. Moi aussi, je pète des câbles dans de tels environnements.
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Nous réagissons aux situations sociales. Dans un réfectoire, tous nos sens sont agressés : odeurs, chaos, bruit, camarades de classe chiants. Lorsque je vois qu’on laisse couler des migrant-es en mer ou qu’on déchire leurs tentes, ça me met dans une colère sourde infinie. Quand je vois les copaines profs ou instit galérer, les lits d’hôpitaux être fermés, je ressens cette colère. Je réagis à mon environnement, à la société telle que nos gouvernements la souhaitent et “ça me rend ouf”.
Et puis quand je vois le sexisme, les viols, l’impunité des hommes, quand je repense à mes agresseurs dont la vie se déroule normalement, je suis en rage, en pure rage. Cette rage est fondée, mais il paraît qu’à 40 ans je suis sensée être calme. Résignée. Je ne le suis pas et mon manque de calme devient “pathologique”. Je m’énerve parce que je suis folle, ce qui discrédite immédiatement tout ce qui sort de ma bouche. Or, comment pourrais-je parler de viols et de féminicides sans m’énerver ? Mais je ne suis plus crédible, maintenant que j’ai ouvert le bec (cf. tone policing).
🐦 “Des débordements émotionnels occasionnels – comme la «rage borderline», ou la «dramatisation, la théâtralité et l’expression émotionnelle exagérée» de l’histrionique – compensent le manque de toute prise en compte constructive de l’insatisfaction (Collins 1998:100). Les individus subordoné·es présentent de la dépression, de l’anxiété, une émotivité augmentée, de la dépendance, un esprit préoccupé, une difficulté à éprouver du désaccord par peur du rejet, et une tendance à aller jusqu’à des extrêmes pour faire plaisir à d’autres – tout cela étant des symptômes d’au moins un des TP abordés ici.
On en revient au “Bonne chance, monsieur”. Une femme blessée n’est pas crédible.
Double peine : tu dois être une victime calme et posée, et on te trouvera trop détachée. Si tu pleures ou que tu manifestes de la colère, on te taxera d’hystérique. Dans les deux cas, on ne te croit pas.
J’ai été expertisée, en 2000, pour le procès contre mon ex-beau-père qui m’a bousillée durant des années. Le psy(chanalyste) m’a demandé si ma vie sexuelle allait bien. J’avais 18 ans, j’avais été agressée entre temps, je ne savais pas ce qu’était une sexualité normale. Alors j’ai dit oui, ça va, je crois. Et j’ai été jugée “tout va bien” alors que dans les minutes qui ont suivi, j’ai mentionné mes passages à l’acte suicidaires. Mais je baisais (sous contrainte) donc ça allait. Et mon agresseur a été acquitté en première instance alors qu’il avait été diagnostiqué comme un Pervers Narcissique.
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Il est plus facile de nous donner antidépresseurs et anxiolytiques que d’interroger le pourquoi de la colère. Après tout, sous le capitalisme, chacun-e sa merde et performe bien, surtout. On psychiatrise donc la contestation et un engagement féministe peut passer pour un critère diagnostique en lui-même.
Le tout, c’est d’être docile. De te taire et de subir. Là, tu seras normal-e. Au prix de ton épanouissement personnel, au prix de ton bonheur, de ta santé, la normalité. Si tu réagis à un stress, comme une agression, tu es trop émotive. Si tu ne peux pas aller au boulot tous les jours, tu ne produis pas assez et tu deviens indésirable. On te le fait comprendre et tu es sensé-e répondre par un profond changement. On m’a demandé ça, j’ai répondu que j’étais travailleuse handicapée et que je ne calculais pas mes poussées. Alors, on m’a mise au placard, puis licenciée. Non conforme, je suis, et on est même pas encore dans les problèmes psy.
J’ai fait un bore-out, disant à la médecine du travail que j’avais de très fortes envies suicidaires sur mon lieu de travail. Elle a conclu à une inaptitude non liée à mon handicap ou à mon contexte professionnel. Je suis atteinte de troubles bipolaire alors “C’est normal, les idéations suicidaires et les crises psychotiques”. Je réagissais mal à un déclassement lié à mon handicap, je crois qu’on appelle ça de la discrimination, mais c’était parce que j’étais folle, certainement pas parce que mon directeur présentait tous les critères d’un TPA (j’ai envie de dire “foutu psychopathe” mais l’appellation est désuète, mais j’avais envie de l’écrire. Foutu psychopathe 🖕). On est 14 à avoir témoigné, 14 malades mentaux, manifestement.
❤️❤️❤️
Hey, on a fini 😊
Je suis très heureuse d’avoir lu et analysé ce texte, cela m’a ouvert d’autres portes pour faire de moi une militante encore plus chiante !