Heure de réveil : 4h11 (gratte gratte petites papattes)

Pas grand chose de nouveau, concrètement. La douleur, la fatigue, la déprime, business as usual, toujours pas de Nobel en prévision.

Ce matin, Mathilde m’a donné mon sujet du jour, sans le savoir. Alors on y va.

🐻🐻🐻

Oh oui, tu les connais, ces mecs. Ceux qui écartent les jambes dans les transports et prennent toute la place. Le syndrome des couilles de cristal. Faut pas qu’elles se touchent, sinon tout explose, tu sais.
Le concept est évidemment plus étendu. Les mecs cis prennent toute la place et beuglent quand on l’ouvre 2 mn. Je ne précise pas “cis” tout au long du billet mais on sait bien à qui il est adressé.

Concernant ceux qui font les délicats avec leurs attributs “virils”, à la limite, c’est assez simple si comme moi tu balades ta maison dans ton sac à dos. Tu poses le sac de 15kg à moitié sur ses genoux, tu ne réagis pas. Si il te regarde bizarre, tu le regardes bizarre. En général ils disent rien, les gros courageux.

Mon meilleur a été celui, assis sur les bancs en attendant le RER, qui s’est dit qu’il allait laisser reposer ses bras sur les dossiers des sièges voisins. Le type prenait 3 places, en gros. Le banc faisait 6 places, je me suis collée à lui en le regardant bien. J’étais en canne, donc absolument dé-sexualisée (sauf chez certains, la maladie ça fait fuir), j’ai gêné ce type et il s’est barré. Pour l’avoir testé également, être grosse ça marche aussi. Ils aiment pas, ou du moins ils aiment pas l’admettre publiquement.

Hey attends j’ai un petit privilège avec le handicap, ça doit bien servir à quelque chose ! Parce que oui, les mecs sont souvent des lâches alors même si ils ont envie de te draguer, ils veulent pas d’une personne en situation de handicap, du coup t’es pestiférée. Et c’est génial, l’ostracisation a enfin un avantage !

C’est une illustration de type “partie émergée de l’iceberg” qui est absolument fascinante à observer. Ce comportement signifie : “J’ai toute la place dont j’ai besoin, et si je n’ai pas cette place, je la créée parce que j’en ai envie et que j’y ai droit”.

Ce qui est surtout frappant c’est de constater ici comment pensent les hommes : ils sont seuls et uniques au monde. Le reste de l’univers est un spectacle de marionnettes excessivement élaboré dans lequel interviennent des protagonistes payés pour ça. Lui est dans la position d’observateur et de client qui a payé sa place, hors de la scène, à l’abri sur son siège quand Guignol se fait poucave pour une barrette de shit. Les acteurs ne sont pas vraiment réels : une conscience diffuse et dissimulée manipule les comportement de tous les personnages qui ont l’air de se mouvoir d’eux-mêmes mais sans maîtrise de leur environnement. Ce sont des marionnettes, elles n’ont pas d’âme, pas d’émotion, sont là pour le show, juste pour son bon plaisir.

Vouloir être lae protagoniste principale de ton histoire est on ne peut plus logique. Face à la vie qui te la fait à l’envers toutes les 2 mn, avoir un semblant de contrôle et de maîtrise nous rassure. On a une prise sur notre réalité, on est pas si impuissantes, finalement. On peut faire certains choix, pas toujours bons, mais on fait ces choix-là. Parfois, faire de mauvais choix est une manière de te rappeler ta liberté, y compris lorsqu’il s’agit d’une liberté de te nuire.

👾👾👾

La grosse différence c’est qu’en général, les personnes discriminées ont cette conscience de l’injustice et tentent de se comporter en humaines décentes. J’ai dit en général : ya aussi des personnes toxiques comme pas possible, bien sûr. Même iels peuvent avoir fait des choix les menant à la perdition. Peu importe ton passé traumatique, tu peux être une personne décente. C’est pas si simple, mais l’excuse du passé traumatique a tendance à me gonfler. Je connais plein de personnes avec un passé tellement traumatique que Netflix a pas voulu des pitchs, trop outranciers et qui se comportent pas comme des gosses de 5 ans.

Lorsque tu es une femme, tu as une conscience aigüe de la situation. Pour les autres. On nous élève dans le “care” : on doit soutenir, soigner, guérir. Dans une très vaste majorité des RPG auxquels j’ai pu jouer, les personnages féminins sont au soin et au support. Je dis “la majorité” parce que je ne les ai pas tous faits, mais…

“Salut, c’est moi, Imoen ! Ravie de vous revoir !”


(Imoen n’est pas au soin mais elle a tous les attributs du personnage insupportablement féminin qui glousse et piaille même quand tu vas dans l’Outre-Monde) (On peut prendre le personnage de Vanille dans FFXIII si tu préfères, elle est tout aussi insupportable.)

On est les personnages principaux, mais on est conscientes que l’Autre a une existence, une substance qui lui est propre. On nous apprend très tôt à faire preuve d’empathie, à excuser les mauvais comportements, à pardonner, à être de gentilles filles. Il faut s’effacer pour faire de la place pour EUX.

J’ai été élevée par une grand-mère profs d’Arts Ménagers, t’inquiète que j’ai acquis ça très vite. Savoir cuisiner et que ce soit prêt pour quand l’Homme rentre du travail, repasser ses chemises, repriser ses chaussettes, laver son linge, entretenir son lieu de vie, changer ses draps, décorer, anticiper ses demandes.

Il faut le faire de la manière la moins visible possible. Comme si cette propreté surnaturelle venait de nulle part, comme si la vaisselle se faisait toute seule.
Faire le ménage c’est nécessaire mais chiant et pas du tout valorisant. Alors on le fait en douce, pour pas obliger Monsieur a devoir lever ses pieds quand on passe l’aspirateur sous son siège. Nos soins esthétiques sont aussi de l’ordre du secret défense. On est belles au naturel, bien sûr. Sans aucun effort.
Que dire de nos règles ? On est sur du dossier scellé par la CIA, là. De toutes façons quand tu en parles, en face ça fait beurk.

On est conditionnées à être de petites mains invisibles. Conditionnées à servir et assister, sans broncher. Comment s’étonner qu’ils ne nous voient pas alors qu’on fait tout pour échapper à leur regard ? Regard dépréciatif concernant nos “trucs de bonnes femmes”, libidineux concernant nos corps. Regard oppressant, gênant, pesant.

Alors on se fait encore plus petites. Toi même tu sais ce que tu risques quand tu l’ouvres un peu trop. Au mieux, tu te fais rabrouer avec condescendance ou on va jusqu’à t’expliquer ton propre travail (mansplaining), au pire tu te fais agresser voire tuer. On a aucun intérêt à l’ouvrir et on nous le fait bien comprendre.

Les hommes sont en général élevés de l’autre côté du miroir. Pour eux, les choses se font comme par magie. Les chaussettes sales disparaissent, la vaisselle redevient propre, le linge est rangé. Enfants, ils ont pas toute la panoplie “joyeuse ménagère” de Smoby pour leur apprendre la vie.

“Ce que je ne vois pas n’existe pas”

La boucle est bouclée, prête à repartir pour de nouvelles aventures.

🤖🤖🤖

Ils ne nous voient pas, d’accord, sauf en trois occasions :
🔸 Quand on est agréable à regarder à leurs yeux et qu’on devient un enjeu sexuel
🔸 Quand on transgresse et qu’on ose leur répondre
🔸 Quand ils ne savent pas où est la notice du Cookeo

Rien de ceci ne concerne l’amour. On ne peut pas dire “quand ils nous aiment ils nous voient”, tu sais bien que c’est faux.

En réalité et à leur décharge, comme on a pu le voir, ils sont élevés avec ce modèle (C’est pour ça que l’éducation de nos fils est si importante).
Aucune raison de faire un effort sur quelque chose qu’on ne perçoit pas. Tout ça leur semble totalement “naturel”, dans l’ordre des choses.
La preuve : ils le vivent très bien, c’est donc que le modèle fonctionne.
C’est une logique absurde mais c’est une logique quand même.
Si rien ne se casse la gueule, ne faisons rien, pourquoi faire ?

Et là, le “pourquoi faire” est une véritable interrogation. Parce que le fait que la situation ne soit pas perçue de manière aussi positive par les autres protagonistes ne les effleure pas. Si moi, je suis content, les autres sont sensés l’être également (Pas plus que moi par contre attention). Et ça s’arrête là. Le raisonnement s’arrête là. Ils sont pas si mal comme ça, personne ne bouge.

C’est pour ça qu’une assemblée composée de 80% d’hommes et de 20% de femmes leur semblera parfaitement paritaire. C’est pour ça que le temps de parole n’est jamais en faveur des femmes : Jean-Cristal estime que 3 mots, c’est bien suffisant, et il n’avait pas fini de se présenter, d’ailleurs, c’est bien impoli de couper les gens quand ils font des pauses de 30 secondes pour maintenir le suspense (“A-t-il un Master en Technologies de l’Information ou en Comptabilité ? Ce doute m’assassine dedans moi, argh !”)

Du coup…pas de problème à s’étaler.
On est bien fragiles à vouloir leur dénier le droit de rogner sur notre espace, dis.
Comme on a été élevées dans la soumission, on dit rien et ça renforce leur sentiment d’impunité. Tout comme on “encourage” les agresseurs en ne les condamnant pas ou peu pour des violences faites aux femmes. Le système s’auto-entretient.

ATTENTION
Ce n’est pas parce que tu ne dénonces pas que c’est de ta faute. Heureusement que non, c’est pas toi qui te répands partout comme les punaises de lit. Les agressions sont toujours le fait des agresseurs, tu ne dis rien (et parfois tu en as honte) mais tu sais aussi ce que tu risques à parler, on sait avec quelle violence ils nous répondent. Chercher à préserver sa vie ou son intégrité physique est un enjeu parfaitement honorable.

Ce n’est pas à nous de leur apprendre la vie, ok ?
De toutes façons que tu répondes ou pas, ça ne changera rien, tu seras une folle de plus pour lui, pas plus. Très honnêtement je pense qu’ils sont foutus pour la Cause et que tout va se jouer sur nos propres enfants et leurs éventuels enfants. Faut être pragmatique : tant d’effort pour ne pas convaincre un homme d’abandonner ses petits privilèges, ce sont des efforts que tu pourrais utiliser pour, je sais pas, apprendre l’Islandais en vue de ton émigration prochaine ?

Rigole pas, je l’ai, mon frère me l’a offert !

✂✂✂

Alors non seulement rien de tout cela ne les effleure, mais lorsqu’on leur signale qu’on a pas de place, ils hurlent au meurtre. Comment osons-nous nous arroger une partie de LEUR monde ? On était très bien dans la cuisine (Et c’est vrai, c’est là où sont la bouffe et les couteaux 🤭).

“Pourquoi ce serait à moi de…”

Leur libertés, y compris celles qui nuisent, font partie du package délivré à la naissance (s’ils sont cis). C’est le pack de base, c’était vendu comme ça et ils ont plus le ticket de caisse mais ils nous jurent qu’on leur a vendu ça. Alors pourquoi ce serait à eux de changer ?
Du coup, on change, nous, en attendant. On apprend à ouvrir nos clapets, on se défend, on revendique, on a raison de le faire. Mais…”tu as tellement changé avec ton féminisme, là, depuis que tu n’agis plus en serpillère je ne te reconnais plus”. Ben ouais.

Imagine t’as une pizza. Tu coupes ta pizza en 8. Ton mec en mange 6 parts, ça lui semblera normal, parce qu’il a faim et qu’il a plus de besoins caloriques que toi, et tu étais pas au régime en plus ? Il te rend limite service en bouffant ta pizza.
Le jour où tu vas dire “J’ai méga la dalle mange pas mes parts” il va chouiner, car il a pris l’habitude de manger ta part au lieu de se faire une tartine s’il a encore faim. Il SAIT que techniquement, tu as droit à 50% de la pizza. Parce que 50/50 c’est un peu la base de la vie en communauté, ou du moins en couple. Il n’est pas ignorant du truc, et quand il déjeune avec ses potes t’en fais pas, il applique le truc.
Mais avec toi, non. Parce que “c’est pas comme ça que c’est sensé se passer”.

Nous on réclame juste nos 50% en vrai. On réclame pas toute la pizza. On réclame la part qui nous revient, mais bien sûr c’est perçu comme excessif par les personnes habituées à en avoir toujours un peu plus.
Ce genre de choses marque clairement la hiérarchie et le système de domination installés dans nos vies. Ils sont habitués à avoir “juste un peu plus”. C’est leur dû. Ils y ont droit, par essence.

Pour justifier tout ça, ils peuvent aller aussi loin que “Les mineurs qui mouraient à 35 ans dans les mines de charbon pour chauffer les boudoirs de ces dames” (véritable citation, oui). “Les hommes vont à la guerre” (Toi, tu y vas ?) “Les hommes aussi souffrent !” (Qui a dit le contraire ?) “Qui va vous aider à ouvrir les pots de cornichons maintenant ?” (Nous-mêmes, en fait).

Ceci est une pizza aux cornichons. De rien.

🧱🧱🧱

Les hommes auraient quelque chose de fondamentalement différent : ils se sacrifient pour nous. La guerre, le travail, c’est un truc de bonshommes, de gens courageux qui ont le sens du sacrifice. Pour la Cause, pour préserver ce précieux modèle social que nous aimons tant.

Le fait qu’on meure en couches, qu’on soit leurs victimes perpétuelles, qu’on se sacrifie littéralement pour les nôtres, tout ça, c’est invisibilisé. C’est pas des morts glorieuses. Mourir à la guerre ça claque, mourir d’épuisement en passant le balai c’est nul. Nos morts claquent pas assez. Oh, il y en a bien une de temps en temps qui trouve grâce à leurs yeux, mais quel héroïsme elle doit alors déployer ! Louise Michel ou l’indignité, tu vois.

On est pas toutes Louise Michel, mais ils sont pas tous des Jean Moulin non plus. Les rêves de gloire et de grandeur se résolvent dans le sable et la boue, la plupart du temps. Ils ont peur, aussi, tu sais. Ils ne le montrent pas mais ils ont peur, aussi peur qu’on aurait peur dans leur situation. L’exacerbation de la violence répond à cette peur : on reprend le contrôle comme on peut.

Hier, je re-re-regardais “Faites Entrer l’Accusé” avec Khaled Kelkal, le type qui a posé des bombes en 95, notamment à Saint Michel. Si tu ne connais pas l’histoire je vais te spoiler mais pas tant que ça vu que c’est un classique : les para tuent le terroriste au sol, d’un tir dans la tête. Le gamin était au sol, il lève vaguement le bras, il se fait tuer.
Durant la vidéo, on les entend parler.

“Finis-le ! Finis-le !”

Glaçant.

“Finis-le ! Finis-le !”

La journaliste présente à ce moment explique : les gendarmes étaient terrorisés que le suspect riposte. Et effectivement, en réentendant les voix, tu perçois cette terreur pure. Même un gendarme surentraîné a peur. Le conflit se résout donc dans la violence, pour faire cesser le danger. C’est ultra significatif.
Ces types apprennent à contrôler leur peur pour passer outre et tuer. La peur est un très bon moteur lorsqu’il s’agit de franchir le cap du meurtre.

T’en auras pas un qui va en parler. Les types ils sont rentrés chez eux, sans doute totalement traumatisés par la fusillade, fin de l’histoire. La souffrance n’est pas montrée, elle n’existe pas. Pas besoin de psy ou de suivi, on est des hommes, des vrais.

C’est triste et terrifiant mais triste, surtout. Même lorsque je pense à ces militaires, je me sens plus triste qu’en colère. On coupe nos hommes de leurs affects pour en faire des objets de domination et de mort. J’ai zéro pitié pour les militaires, entendons-nous bien. Mais même la dernière des merde peut se sentir mal et seule et ça m’attriste qu’on en soit là.
Tout ça encourage le narratif de l’héroïsme au détriment de celui d’une vie émotionnelle satisfaisante. La violence c’est plus fun, plus valorisant que de plier des t-shirts.

Les jeunes sont tellement violents, wesh.

🍒🍒🍒

Ils s’étalent, ils prennent toute la place, comme si on était des invitées qui ne veulent plus partir après le dessert. On est vaguement tolérées, tant qu’on fait pas chier. C’est LEUR monde, pas le nôtre. La preuve : ils terraforment tout sur leur passage, ils pissent sur chaque arbre, chaque rocher, ils se permettent de défigurer des lieux naturels pour en tirer de l’argent.

Le sujet est trop vaste. C’est toujours intéressant de découvrir cet univers si particulier et étrange : on ne vit vraiment pas dans le même monde. Pour moi c’est une source d’étonnement toujours renouvelée. Tout comme quand je lis des témoignages de femmes en couple hétéro qui racontent leur vie avec des personnes incapables de percevoir l’indécence de leurs propos et attitudes.

J’ai notamment lu cette histoire assez affreuse d’une jeune femme, enceinte de 4 mois, immigrée au Sénégal par amour et retenue en semi-captivité loin de chez elle par un futur mari qui refusait de la nourrir et la laissait enfermée dans la maison toute la journée, tout en la rabaissant et en l’humiliant constamment, se permettant, lui, de manger et faire la fête.
Pour lui c’était absolument normal et je pense qu’il a fait une drôle de tête quand elle a réussi à fuir (l’histoire se termine bien, oui), totalement “sous le choc”, comme ces dizaines de milliers de mecs qui se font plaquer “sans l’avoir vu venir” malgré des années de tensions au sein du couple.

J’ai pas de solution, surtout, à part continuer à ouvrir nos gueules. A force, ça pourrait rentrer. J’y crois pas une seule seconde, mais IMAGINE…