CHAPITRE DEUXIEME

DES MOYENS DE CONSERVER L’AMOUR

 

Oui, parce qu’une fois la douce et tendre prise au piège de ton stalking assidu, il faut la garder. Oh, c’est pas comme si le divorce était simple pour les femmes en 1911, hein ? Malgré tout, elles peuvent te désamourer, et là tu te retrouves coincé toi aussi et c’est la merde.

On va donc éviter ça, hein ?

Alors, comment faire durer l’amour ? J’ai hâte.

  • Franchise absolue et confiance réciproque
  • Vaincre l’égoïsme et le matérialisme
  • Et des recettes occultes (ah, quand même !)

On peut produire de l’amour illimité en tuant des animaux, encore une fois, en dansant la nuit je ne sais où et en utilisant des pierres crapaudines. Je n’en ai pas parlé jusqu’ici, mais c’est un produit du crapaud et on va juste dire non.

[...]aussi souvent avec la pierre crapaudine, qu'elle restera de nuits absente. Chaque soir tu mettras alors la pierre crapaudine à côté de ton lit et, pendant qu'un cierge brûlera dans la chambre à coucher, tu frapperas avec elle la plaque de la table de nuit, une fois la première, deux fois la seconde nuit, et ainsi de suite. Alors ta femme t'apparaîtra en rêve et te racontera tout ce qui lui est arrivé et tu pourras la guider de tes conseils, qu'elle observera le jour suivant, sans savoir qu'elle a été influencée par toi Il y a une condition cependant à observer : il faut gagner ton lit une heure avant minuit au plus tard et procéder auparavant complètement à ta toilette ; il faut également n'avoir pas absorbé de boissons alcooliques au-delà de tes forces. La même recette peut servir à l'épouse avec le même succès toutefois dans ce cas, elle ne sera efficace que lorsque la même journée elle n'aura dit de mal de personne et que le soir elle aura placé l'image de son mari auprès de sa couche.

 

Un conseil, assez avisé, n’ayant rien à voir avec l’occulte, apparaît comme par magie : communiquer, s’écrire, relationner. C’est chelou, après autant de conneries.

« Toutefois la durée de cette tâche amoureuse quotidienne[s’écrire des lettres d’amour], si facile pour la fiancée (le sexe féminin étant généralement supérieur dans les discours et la correspondance), finit par peser à l’homme. D’ailleurs, il lui manque souvent le loisir nécessaire pour donner à une lettre la forme agréable dont le jeunes filles sont si friandes »

Outre les recettes d’un sérieux absolu (le parchemin vierge est toujours à 3 Fr), on parle ici de superstitions et traditions plus traditionnelles. Voyons.

  • On n’offre ni couteaux, ni ciseaux, ni aiguilles car elles piquent et percent l’amour.
  • On ne doit pas sécher ses mains sur le tablier de l’aimée.
  • Lorsqu’une jeune fille perd son tablier, son amant pense à elle.
  • Une jeune fille qui casse trois aiguilles en cousant une robe sera fiancée dans cette robe.
  • Utiliser toute aiguille offerte immédiatement, sinon.
  • Ne jamais offrir de bottines car l’amour peut apprendre à déambuler.
  • Il faut boire rapidement les bulles qui se forment au dessus du café.
  • Il ne faut pas faire présent d’une couronne de fleurs ouverte.
  • « Celui des époux qui découpe la viande, domine dans la maison. Aussi, jeunes gens, apprenez de bonne heure à découper. »
  • Une fiancée ne doit jamais coudre sa propre robe de mariée.
  • Deux amoureux ne doivent pas se laver les mains dans le même vase.
  • « Quand la table de la maison chancelle, la femme domine dans le ménage »
  • Frapper le lit nuptial autrement qu’avec les mains garantit que l’épouse sera battue. Charmant.

 

S'il pleut dans la couronne nuptiale le mariage sera fécond en enfants. La fiancée devra secrètement conserver un morceau de pain du repas de noces alors il n'y aura jamais de disette dans la maison. Elle devra également porter sur elle un peu de monnaie de préférence une pièce d'or, on peut donner le même conseil au fiancé. Lorsque les deux époux unissent leurs mains aux fiançailles, celui des époux dont le pouce sera surélevé dominera dans le ménage. Celui qui rit aux fiancailles, pleure dans le ménage. Les fiancés doivent être près l'un de l'autre au moment des fiançailles, autrement le trouble surgira entre eux. Après l'entrée au nouveau foyer, fait faire à ta jeune femme trois fois le tour de l'âtre et allumer le premier feu encore revêtue de sa robe nuptiale. Alors le bonheur et la bénédiction de-meureront à ton foyer. On ne doit acheter ni berceau, ni voiture avant la naissance du premier enfant, autrement l'enfant sera maladif.

[...]embrassée par le père, alors elle réussira auprès des hommes, du reste elle ne doit avoir que des hommes comme parrains. En lui mettant une chemise de garçon, elle attirera beaucoup d'amants à l'âge de puberté. Une rose double, c'est-à-dire une rose avec un nouveau bouton surgissant de son milieu est appelée a rose nuptiale. Celui qui la trouve sera bientôt fiancé. Enfin il convient de parler d'un certain fétichisme, que l'on trouve de nos jours chez les personnes des deux sexes, quoique d'habitude on cherche à s'en cacher. Il consiste à porter sur soi, à tenir comme une relique, choyer et embrasser une portion quelconque des vêtements d'une personne aimée, ayant été en contact direct avec le corps de cette personne. Cette idolâtrie qui s'exerce sur des mouchoirs, des bas, dénote le plus souvent une fantaisie très vive mais malsaine et basée sur la vieille expérience qu'on peut se rendre spirituellement maltre d'une per-sonne dont on a pu accaparer une partie de son individualité réelle.

 

Enterrer des parchemins avec des plantes et du sang sur le seuil des maisons, d’accord, mais ne t’avise pas de vouloir porter le T-shirt de ton être aimé-e, succube venue des enfers !

Cette pratique est sans doute décriée car je ne vois pas de mention de prix pour un vêtement d’être cher dans le catalogue. Concurrence déloyale, tsé. Reprenons.

 

DES MOYENS D’ANÉANTIR L’AMOUR

Wut ?

« En abordant ce chapitre, cher lecteur, écoutez d’abord l’avertissement amical de l’auteur de ne pas agir sous l’effet de la première déception. Déjà avancé en âge, je connais le monde et je sais que fréquemment l’amour le plus passionné accompagné de mille serments et scellé de baisers ardents, dégénère en indifférence, voire même se transforme en haine, de même que le bien, que dans l’enivrement de la première passion on croit tissé de rose, devient une chitine pesante. Extirper l’amour dans son propre cœur ou le faire dépérir dans un autre est considéré par beaucoup de malheureux, dans les moments les plus durs de leur vie, comme le but suprême à poursuivre. Pour y arriver beaucoup d’entre eus ont eu recours à des remèdes secrets, sans atteindre autre chose qu’une extension de leur mal, un empirement de leur position. »

Nous voilà prévenu-es. J’ai un peu peur, on attaque les choses sérieuses, là.

Anéantir l’amour ? Faire fuir l’autre ? Pour quitter sans quitter et laisser au partenaire la responsabilité de la rupture ?

Sans doute.

………………..Aparté………………..

Lire ça me rappelle à quel point certain-es peuvent se sentir irrémédiablement piégé-es dans un mariage malheureux, en 1911 ou 2024. Lorsque le divorce a été autorisé en 1792, 60 à 70% des demandes de séparation émanaient de femmes. Les lois ont fait des allers-retours pas possibles, entre Second Empire et Troisième République. Ce n’est qu’en 1975 que le divorce est à nouveau autorisé dans les mêmes termes que ceux posés en 1792. Le crime reste une option pour certain-es. Plutôt tuer que de divorcer.

Ce livre semble à destination des hommes (« Le Philtres magiques triomphateurs de l’amour et de la femme »), mais il est très probable que les acheteurs soient en réalité des acheteuses. Lorsque le corps ne nous appartient pas, on s’en remet au Très-Haut.

Les femmes de 1911 n’ont pas vraiment de choix autre que de manier l’arsenic ou de prier et de cueillir des pommes le vendredi matin pour s’en sortir. Ce type de recettes « de sorcière » existe depuis que l’écriture existe. Aller aussi loin pour gagner, garder ou perdre l’amour, c’est signifier que l’on n’a pas d’alternative. On est mariées par nos pères, pas forcément par amour. On est liée à un homme pour toujours et la situation s’aggrave avec des enfants.

Alors, on ritualise, et ça fait du bien.

Cela ne fonctionne pas, mais ça fait du bien. On peut retrouver un peu d’agentivité, d’espoir, on se consacre à une tâche relativement compliqué avec 172 étapes, on accomplit le rituel en secret et ce secret redonne du pouvoir (« Je sais quelque chose qu’il ignore. »). Je suis convaincue que ce type de pratique peut faire du bien ou soulager. Mieux : les rituels réclament une énonciation limpide de son désir. Il faut donc formuler ses envies, ses griefs, ses souhaits. Et donc travailler dessus : identifier, cerner, comprendre.

C’est pour moi l’intérêt premier de la magie : c’est à manipuler avec précautions, entouré de mystères, aussi on doit faire très attention à ce qu’on demande. La demande doit être motivée, exprimée et très réfléchie.

Et si tu sais formuler ce qui ne va pas dans ta vie, c’est un bon départ. C’est pour ça que je suis totalement favorable aux pratiques magiques. Il y a un effet psychologique certain et ça peut donner d’immenses éléments de réflexion. Je dis ça car j’ai moi aussi ritualisé pas mal de choses et que ça m’a appris à considérer un problème sous tous ses angles.

………………..Fin de l’aparté (presque)…………………

Image d'illustration : bouteille de poison

…et l’auteur anonyme en parle, justement. Il appelle ici, dans le chapitre tue-l’amour, qu’il faut bien réfléchir préalablement à sa situation et aux autres moyens possible. Pour se dégager ensuite de toute responsabilité. Il plâtre ça sur plusieurs pages, et tout, comme s’il jouait à nouveau contre son camp (dans le chapitre précédent, il expliquait les mécanismes psychologiques censés être à l’oeuvre dans une des recettes).

À y regarder de plus près, je suis convaincue que cela tient plus de la stratégie commerciale.

D’abord, on établit une connivence : l’auteur nous confie ses secrets de mage et donne de son expérience à travers ses lignes. De manière nonchalante, il livre un ou deux secrets, et on se sent intelligent-e d’avoir compris que, haha, évidemment que ça marche comme ça, la psychologie.

Ensuite, on désacralise le sacré : les rituels sont long, complexes, exigeants et on a l’air quand même sacrément con à vouloir enterrer des parchemins et à vouloir faire manger des trucs crades à l’insu de la personne aimée. Alors, on le prend un peu à la blague, de manière plus familière, plus intime. Car on parle aussi d’intimité, dans cet ouvrage : de l’amour, du ménage, de la solitude.

On peut donc avoir ce livre sans forcément le cacher. On peut facilement le justifier par le côté exotique et amusant, car c’est aussi une pierre dans l’histoire de l’ésotérisme, faire semblant de le prendre au second degré, tout en relisant page après page pour choisir quel foutu animal on va devoir encore sacrifier pour garder Jean-Nuisible ou se débarrasser de sa belle-mère.

………………..Fin de l’aparté (vraiment)…………………

Félin mignon

Image de compensation. Un animal mignon ET vivant.

Moyens intransitifs (de tuer l’amour)

  • Éviter de penser à la personne.
  • Trouver quelqu’un d’autre.
  • Se tourner vers l’occulte.
  • Fastoche, non ?

Alors justement, ça tombe bien, l’auteur a des astuces et à bon prix !

D’abord, il faut anéantir tous les souvenirs de la personne aimée, garder juste un portrait et lui faire subir des trucs que la morale ne réprouve pas, mais qui sont assez alambiqués. Sans déconner, t’es pas prêt-e.

Après avoir retourné sans mot dire ou anéanti tous les cadeaux et souvenirs de la personne autrefois aimée, conserves uniquement un portrait d’elle, celui que tu as idolâtré le plus au temps de ta plus forte passion. À l’approche de la nuit tu envelopperas ce portrait en le cachetant à la cire consacrée (3 Fr) dans un parchemin vierge (3 Fr) que tu placeras dans un panier ou réservoir où tu as coutume de conserver ton linge sale. Tu le laisseras à cet endroit jusque vers minuit. Ensuite tu voileras étroitement les fenêtres de ta chambre en y suspendant des draps, tout en ayant soin d’y laisser une petite ouverture pour que la lune à son dernier quart. et si possible dans la constellation de Mars, puisse glisser un rayon sur la table. Tu prendras alors deux bouts de bougies de suif consacrés et tu les placeras sur la table. Aussitôt minuit arrivé, déshabille-toi complètement et dans cette posture tu placeras sur la table un bassin d’eau pure, que tu auras auras puisée au préalable dans la rivière où au ruisseau.

À présent tu chercheras l’image voilée, tu cracheras trois fois dessus en prononçant son nom et tu la brûleras lentement à la bougie.
— Tu recueilleras soigneusement les cendres ; lorsque le portrait sera complètement brûlé, tu éteindras les lumières. — Tu frotteras vigoureusement avec la cendre l’endroit de ton cœur et ton front et tu placeras la cendre restante dans une petite bourse de parchemin vierge. Ensuite au clair de la lune, tu te pencheras sur le bassin rempli d’eau, tu humecteras les trois doigts du milieu de ta main droite, en disant :

Eau limpide vient purifier
Tous les recoins de mou cœur.
Dans mou esprit, dace mon sang.
Détruis l’amour suborneur,
Tout ce qui opprime mon cœur,
Je l’enlève à l’onde pure,
Sur mon front pour toujours,
J’efface tonte trace de l’amour.

À présent. en te servant des trois doigts, tu traceras sur le front noirci le signe d’une croix placée obliquement, et ensuite, sans user de savon, de chiffon ou d’éponge tu laveras et tu retireras la cendre du front et du cœur. Ensuite, revêts une chemise de lin propre, après t’être séché avec un drap de lin et repose-toi. Tu dormiras ainsi tranquillement et le lendemain, tu t’éveilleras, délivré de toutes pensées pénibles. Ensuite, tu pourras mélanger l’eau du bassin avec la cendre restante et verser le tout à l’évier ou à l’égout.

 

Voilà.

Quand je te dis que tout est une affaire d’abnégation, je rigole pas. Le TEMPS que tu arrives à organiser ton affaire, tu as oublié ton ex. Cela dit, c’est pas cher, on en a pour seulement 14 Fr (50 balles), moi je propose : tu essayes, tu nous dis si ça a marché, d’accord ?

Si tu as 20 Fr (71,63€) tu peux opter pour un Miroir de Salomon, c’est de la ronce de plastique dorée à la main, et c’est Salomon himself qui a donné la recette à l’auteur.

Ensuite, on invoque des démons.

Baël, Astaroth et Ariel. Rien que ça.

On prend une glace d'acier bien polie, brillante, qu'on a eu soin de faire préalablement nettoyer et frotter avec des draps de laine consacrés par deux jeunes filles innocentes; avec le sang d'un pigeon blanc récemment abattu et avec l'index de la main gauche tracer sur la plaque les noms suivants : « Schwa Matrathon. Jarialnalnik », Ensuite on pose la plaque sur une toile neuve exactement consacrée qui ne doit pas encore avoir été lavée. A l'apparition de la nouvelle lune, on érige dans un appartement tranquille un petit bàcher de bois de laurier. Après avoir procédé ainsi durant 3 nuits, on évoque la nuit suivante Baël, le prince des esprits du feu et on lui prescrit d'emporter la plaque dans son empire, mais de la rapporter le lendemain et de la déposer à un endroit déterminé. Dans les deux nuits suivantes on la confie de la mème manière d'abord à Astaroth, le maitre des esprits terrestres et ensuite à Ariel le maî[tre...]

 

Ce truc m’a séchée sur place, dis. On fait une pause et on reprend aux moyens transitifs pour tuer l’amour, d’accord ?

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