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Be zui balade. Zé giant.

Alors je vais parler d’une femme qui tue, la Master of Karen, Amy Bishop.

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On commence par la fin, en février 2010 : Amy Bishop est enseignante à l’Université de l’Alabama, elle va à une réunion avec d’autres enseignant-es, elle attend un peu sans rien dire, puis elle sort un calibre et tente de tuer ses collègues, faisant 3 mort-es et 3 blessé-es.

Durant ses cours, précédant le massacre, elle donne cours normalement (c’est à dire à l’arrache), les autorités la retrouveront hors du bâtiment dans lequel elle a tué, en train de tenter de fuir. Elle refuse de croire qu’elle a tué des personnes et nie tout.

Amy Bishop est née en avril 1965, elle a donc 44 ans au moment des crimes. Elle est mariée, mère de famille, fille d’un professeur, titulaire d’un doctorat, enseignante en université. Mais elle a de gros problèmes de comportements, et pas du style “enfant de 3 ans en maternelle qui tape les copaines”. Elle est “abrasive”, assez brutale, arrogante et dans le pur entitlement. Elle pense que tout lui est dû et vit extrêmement mal qu’on ne la titularise pas suite à une pétition de ses élèves qui relevait son manque de professionnalisme et sa violence.

Le non-renouvellement a été l’élément déclencheur de cette fusillade, d’accord. Un sentiment de profonde injustice, une rancœur qui se cristallise, ça arrive (souvent)(mais tout le monde ne répond pas de la même manière). Les professeur-es non titularisé-es après 5 ans sont remercié-es. 2 semaines après la tuerie, elle aurait perdu son travail.

University of Alabama-Huntsville faculty left dead in the 2010 shootings: Maria Ragland Davis, Gopi K. Podila and Adriel Johnson.NBC News — file

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Le truc c’est que ce n’est pas la première fois qu’elle tue. Nope. En 1986, elle abat “accidentellement” son frère de 3 ans son cadet. En mode “je voulais décharger le fusil mais le machin est coincé attends regarde Oopsie !”. Puis elle fuit. Grâce au témoignage de sa mère, Judy, elle ne sera pas inquiétée, le décès étant “accidentel”.

Pourtant, sœur et frère ne s’entendaient pas super bien. Jusqu’à la naissance de son frère en 1968, Amy doit faire un peu de place, et elle a pas envie du tout. Une rivalité s’installe très tôt entre les deux enfants, le petit frère étant globalement plus brillant que sa grande sœur déjà très brillante. Il l’éclipse totalement. Elle fait du violon, il fait du violon. Elle suit un cursus en Biologie, il s’y inscrit également et performe beaucoup mieux. Pire encore, il est sociable, populaire, aimé, a des ami-es, tout le contraire d’Amy qui a toujours des problèmes d’agressivité et qui en plus a une santé fragile (allergies, asthme). La jalousie se transforme en haine et il est extrêmement peu probable que le tir ait été accidentel. 3 coups de feu ont retenti : le premier dans la chambre d’Amy (pour tester), le second sur le frère, le troisième quelque part dans la cuisine (j’ai oublié où, j’ai la flemme de rechercher). Les parents d’Amy et de Seth sont potes avec le commissaire local qui accepte de leur laisser le temps de se concerter avant de témoigner…ainsi, le dossier sera perdu car planqué chez un enquêteur.

En gros, on est à peu près sûr-es qu’il s’agit d’un meurtre, maiiiiiiiiis…l’enquête n’aboutit pas, essentiellement grâce au témoignage de la mère qui était présente et qui a totalement validé la version d’Amy.

On a là un élément intéressant et récurrent en crimino : un acte non puni renforce la sensation de toute puissance. Si je ne me suis pas fait prendre, je peux recommencer. Par conséquent, beaucoup de tueurs en série deviennent de moins en moins précautionneux avec le temps, car chaque crime non attribué les renforce dans leur conviction d’être uniques au monde et en capacité de tuer sans conséquences.

Amy et Seth, enfants

Amy et Seth, pas enfants

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En 1993, Amy est mariée depuis quelques années à un homme nommé Jimmy Anderson. Elle ne prendra pas son nom lors du mariage et c’est ok, par contre elle l’appelle “James” car elle trouve que “Jimmy” c’est pas assez classe. Cet autre nom sera définitif pour eux. James. Fun fact : elle reprend le nom de Anderson lorsqu’elle se fait arrêter, deux fois. Elle ne veut pas salir son nom à elle.

En 1993 donc, un universitaire dénommé Paul Rosenberg reçoit un colis piégé à son domicile, colis dont les deux bombes artisanales n’ont pas explosé. Nous sommes au plein cœur de la terreur Una Bomber, d’où les précautions d’ouverture et le déploiement de ouatmille flics pour gérer la situation. Lui et sa femme ne sont vraiment pas passé-es loin et c’était très astucieux de la part du couple que de tabler sur Una Bomber. Ça a foiré mais c’était bien tenté. Enfin, foiré…iels ne seront jamais condamné-es quand même.

La cible était le responsable d’Amy, qui venait de la virer (est-ce que ça te rappelle quelque chose ?). Les différents domiciles perquisitionnés (chez Amy et sa famille, chez les parents d’Amy) ont bien donné quelques preuves hélas insuffisantes pour engager des poursuites. En réalité, il est très possible que JimmyJames ait construit la bombe : il a les compétences, il est universitaire dans un domaine scientifique dont j’ai tout oublié, mais son métier lui permet de fabriquer des dispositifs explosifs les mains dans les poches. Les yeux bandés. Ouais les mains dans les poches c’est trop limitant.

2002, agression envers une femme dans un restaurant : la femme avait pris le dernier siège disponible dans le restaurant, release the Karen, “Moi j’ai un doctorat barrez vous” mais avec un coup au visage. Les charges seront abandonnées. Encore. Elle signe avec “Amy Anderson” histoire de.

“Amy Anderson” est docteure diplômée à Harvard, c’est tout ce qui compte à ses yeux. C’est ce qu’elle dira à la femme qu’elle agresse : “Je suis le Dr Amy Bishop, diplômée d’Harvard, vous ne me connaissez pas”. Genre “place, je suis diplômée”. Entitlement over 9000. D’autant plus que le papier qu’elle sort pour sa thèse, ou peu importe le nom qu’on leur donne aux US, a été raillé par ses collègues. Elle en a rien à battre, elle est diplômée d’Harvard, respectez son autorité !!!

Tu le sens, le syndrome Bogdanov ?

Amy et son mari JimmyJohnes

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Tout ceci ressort suite à la fusillade de 2010, et là, les flics se penchent sur son passé, notamment le meurtre de son frère Seth. Vu qu’elle a pris perpétuité, les charges furent abandonnées (c’est moins cher) mais elle a bel et bien été mise en examen après revue des indices et retrouvage du rapport de police initial que tu peux trouver en cliquant ici.

On a ici une terrible fuite en avant, mêlée à du déni et à de l’arrogance.

Mais…c’est une femme. Les femmes ne sont pas capables de violence. Jamais. Aucun signe de son comportement violent antérieur n’a été pris en compte sérieusement. Validation en creux de son comportement et 17 couches de déni mêlé à de l’arrogance, ça donne une femme capable d’être classée dans les tueur-ses de masse (mass murderer). Sans cette composante arrogante, il est possible qu’elle ne soit pas passé à l’acte.

Parce qu’on est dans le sentiment de persécution : Amy se voit comme une personne intellectuellement supérieure et compétente, il n’y a donc aucune raison pour qu’elle se fasse virer. Ses problèmes de comportements viennent donc, selon elle, des autres qui la détestent. Cela renforce le sentiment de persécution et donne une échappatoire (“Trop intelligente pour eux”) à toute remise en question douloureuse. Lorsque ses étudiants la notent sur un site “ratemyteacher” (note taon prof), elle a des commentaires et notes épouvantables. Mais ses étudiants ne l’aiment pas et complotent contre elle, elle n’en tient donc pas compte et c’est là tout le drame de sa vie et de la vie des personnes qu’elle a tuées.

Les différents projets qu’elle mène sont voués à l’échec. Tous. Rien ne marche, pour elle, alors qu’elle est si brillante. C’est donc bien les autres qui veulent la voir couler, sans doute par jalousie, et elle repasse le scénario dans sa tête, sans jamais comprendre qu’elle projette ses attentes et frustrations sur les autres. C’est elle qui veut voir couler les autres. C’est elle qui est jalouse. Mais ça, et bien c’est pas facile à admettre, alors c’est les autres.

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On connaît des personnes comme ça. Qui persévèrent dans la malveillance officieuse. Qui ne se remettent jamais en question à cause de leur ego surgonflé. Je veux bien croire que son enfance privilégiée avec ses parents privilégiés ait pu connaître des hauts et des bas. Les seules violences subies sont la naissance et la vie de son frère. Elle cristallise déjà tous ses complexes sur une figure extérieure. Si son frère brillait moins, elle brillerait plus. Elle ne se dit pas qu’elle peut briller autrement, non, elle doit lui être supérieure. Et comme ce n’est pas possible de briller plus, elle l’assassine. C’est effectivement la solution la plus rapide dans son esprit. Fin du problème. Le fait qu’elle fuie (on l’a arrêtée lorsqu’elle volait un véhicule) montre qu’elle a bien capté qu’elle avait fait un truc horrible. La fuite, l’évitement, le déni, l’entitlement, l’arrogance, le cocktail magique des personnes qui ont toujours raison et qui deviennent violentes lorsqu’on les contredit.

On en sait très peu concernant son mari. Juste le fait qu’elle décide de son changement de prénom est un indice précieux : il est à elle. Il est moins brillant, car elle doit briller sans que personne ne l’éclipse à nouveau. Je n’ai pas les rapports de domination sur papier, mais ça sent vraiment l’épouse en contrôle de 100% de la vie des siens. Enfin, merde, on change pas le prénom des gens comme ça ! Mais c’est la continuité de sa vie, je crois.

Jimmy Anderson a retrouvé son nom au cours de cette interview !

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Le détail final, le détail qui tue, c’est qu’en 2001, elle accouche d’un fils. Qu’elle nommera Seth, comme le frère qu’elle a tué par balles lors d’un malencontreux accident. Seth Jr sera lui aussi tué par balles, au cours d’un malencontreux accident : son pote jouait avec une arme dans la voiture, et bim. Je trouve ce parallèle époustouflant. Elle tue “accidentellement” son frère Seth, elle perd “accidentellement” son fils Seth, je crois pas au karma mais merde.

Ce cas est extrêmement intéressant, car les femmes mass murderer ne sont pas nombreuses. De mémoire, je n’en connais pas d’autre.

Amy Bishop a vécu une vie persuadée d’être la meilleure du monde entier. Une personne meilleur du monde entier n’a pas trop besoin de réviser ou de soigner ses papiers ou même ses cours. Non. Elle devrait être adulée car elle brille au naturel. C’est une enfant brillante qui est devenue une ado moins brillante mais qui n’a pas cherche à s’améliorer ou à mieux travailler. Je juge pas, j’ai fait pareil, quand j’ai commencé à devoir réviser mes cours (à partir de la première), quand je me tapais des caisses en rien foutant, je trouvais ça injuste car tout le monde m’avait dit que j’étais intelligente. Mais j’avais pas 44 ans, quoi.

A un moment, l’ego prend une claque et c’est toi qui décide de ce que tu vas en faire. Est-ce que tu vas changer ou te venger ?

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Je reste fascinée/dégoûtée par le personnage, j’avoue. Les attitudes qu’elle a développées sont des caractéristiques qu’on attribue plus volontiers aux hommes cisgenres : agressivité, fort caractère, mauvaise foi. Si ça peut marcher chez les hommes (relire les ouatmille dossiers sur le désir homosocial sur ce site), ce sont des comportements habituellement genrés qu’on ne veut pas voir chez les femmes. Parce que des profs violents, j’en ai eu, tu en as sans doute eu également, et il y a cette forme d’impunité qu’ils affichent car ils sont responsables de tes notes. Je n’ai jamais eu de professeurE avec ce type de caractère, à ce point. Alors oui, obligatoirement, ça existe et mon expérience limitée est limitée. Sauf que dans le monde de l’entreprise, on en est aussi là, et pour le coup, j’ai plus bossé qu’étudié. Celles qui réussissent ne sont pas celles qui gueulent, ou alors elles doivent gueuler ET avoir l’aura nécessaire pour terroriser tout le monde.

C’est donc le cas d’une femme qui s’approprie les comportements genrés des hommes, mais ça marche pas super. Forcément.

De là, je peux comprendre la frustration, et elle en a connu beaucoup. Vexations de la part de ses élèves qui la notent ou qui font une pétition pour son départ, vexations de la part de ses collègues qui ne la soutiennent pas assez, car aussi victime de son agressivité, vexations sur l’ensemble de sa carrière, avec ses publications se voyant dénigrer, avec des projets qui échouent, des promesses imaginaires non tenues et des licenciements à la chaîne.

Je peux comprendre qu’elle ait été à bout, m’enfin, moi, j’aurais passé 15 jours aux Seychelles et ça l’aurait fait, tu vois ?

Anderson, Amy

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Dans tous les cas, elle a bel et bien les attributs d’une mass murderer (ah si il y a eu Nasim Aghdam, je me disais bien). Selon cet article du Monde :

🍥 95% des auteurs sont des hommes
🍥 Ce ne sont pas forcément que des blancs
🍥 Ils ne sont pas forcément atteints d’une pathologie psychiatrique
🍥 Désir de notoriété et de revanche
🍥 Effet d’émulation avec les autres tueurs (à priori absent chez Bishop)

Toute sa vie, elle a ruminé ses échecs et les a attribués à des tiers. Comme tout lui était dû, tuer n’était pas forcément exclu si on lui refusait quelque chose : elle se sentait légitime dans sa vengeance. Le fait que ses parents l’aient soutenue après le meurtre de son frère lui a aussi donné de cette légitimité : papa et maman prennent mon parti et je suis désormais leur seule enfant, gros bénéfice, sans aucune répercussion. Elle agresse une femme ? Les charges ne sont pas retenues. Tout cela a contribué à son sentiment d’impunité et à la validation de ses projets envers ses collègues.

Amy et ses enfants

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Master of Karens ? Un peu, oui. Elle en a rien à battre, elle a tous les droits et les gens sont obligés de l’écouter parce qu’elle est DOCTEURE DIPLÔMÉE D’HARVARD quand même. Sauf qu’elle veut pas parler au manager, elle veut lui faire un coup de pied balayette suivi d’un mawashi geri avant de foutre le feu à l’établissement et de partir dignement, dos aux flammes façon Michael Bay.

Moralité : méfie-toi des Karen et des rémoras. Et des docteures en Biologie.