C’est sans doute un peu parce que je me suis levée dans de la pisse de chat que j’ai envie d’écrire ça. Quand je dis “je me lève entre 5 et 6h du matin chaque matin de toute ma vie” (sauf lendemains de cuite où je peux pousser jusque, pfiout, au moins 8h) les gens me regardent comme si j’était folle.
Je le suis, donc je contre leur surprise avec ma carte +4.
UNO.
Donc, invariablement, quand je dis “oui, oui, même le dimanche” c’est la peur et la désolation dans les chaumières. Les gens sont subitement hyper inquiets pour ma santé, d’autant plus que j’ai un temps d’ankylose matinal plus ou moins long et que tout le monde ignore qu’après 21h il n’y a plus personne.
Alors bon, au début c’était marrant, hahaha, oui, t’as vu, y’a des gens du matin haha. Puis à la longue, j’ai toujours les mêmes réponses à la même surprise : “Touche à ton cul, c’est bon, je te demande pourquoi t’es crevée tous les matins ?” (mais en parfois plus poli).
Parce que je vous connais, vous, les gens qui vous couchez tard. J’en ai épousé un qui ronfle actuellement comme un bienheureux car il n’a pas encore réalisé que le chat était vexé que je ne me sois pas levée avant 6h09.
Et quand on me dit “Je suis crevééééééééééé”, j’ai le bon goût de ne pas répondre “Bah couche toi plus tôt”.
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Spoiler alert : à l’état naturel (sans contrainte de travail, de bébé ou de chat), il y a des gens qui se couchent et se lèvent plus ou moins tôt. Est-ce que je te demande pourquoi tu n’aimes pas la coriandre ? Non, car je SAIS que ça a un goût de savon. Non, attends. Oui, voilà. Je SAIS qu’il y a des différences entre les gens et que si je parle à une personne adulte, j’ai rien à lui dire sur son sommeil. T’es crevée, t’es crevée. On appelle ça la quarantaine, avoir des enfants, trop travailler, etc.
Si tu es insomniaque, là encore, je ne vais pas te dire “fais-toi un petit verre de lait avant d’aller dormir” vu que je m’écroule comme une masse en moins de 10 mn dans les bons jours. Si tu es insomniaque, tu sais quoi faire ou quoi ne pas faire, je vais pas venir te raconter une petite histoire du soir quand ça va pas.
Bon, ça, c’est fait.
On va donc enchaîner sur l’injonction à “prendre soin de soi”.
Mon sommeil n’est pas la seule chose qui intrigue et agace les gens, non. Mon aspect un peu nihiliste de meuf malade en permanence fait tout autant chier (les autres, mais aussi moi, un peu). et c’est, je pense, un dérangement dans le paysage.
Une amie chère et précieuse (non, je déconne) m’a dit un jour que j’étais trop négative. Mais ouais, elle a raison. Mais est-ce que je suis en situation de handicaps à cause de ma “négativité”, ou bien mon état de santé légitime cette “négativité” ?
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En général, quand on a une maladie incurable et dégénérative (ici spondylarthrite ankylosante), même si non létale, on sait à peu près, pour avoir consulté 8 452 médecins que ça va JAMAIS aller mieux. De fait, je vois mon corps me lâcher, petit bout par petit bout au fil du temps.
Les impossibilités se cumulent, les problèmes de santé opportunistes se font une place à la maison, je suis de moins en moins mobile, de plus en plus malade. Et si tu me demande “mais tu es suivie” je mords, je préviens.
C’est pas super fun, de ne plus pouvoir mettre des chaussures qu’on aimait bien, de ne plus pouvoir jouer à des jeux intenses, que ce soit sur PC ou console, quand les jeux vidéos sont un peu une passion. Je ne peux plus jouer à WoW, ce qui n’est pas une immense perte, mais merde, avant j’enchaînais les journées de farm et maintenant j’ai mal à la main en 28 mn. J’ai de plus en plus de mal à effectuer de plus en plus de gestes, mon univers se rétrécit inexorablement et ça durera jusqu’à la fin.
Mais ça, non, les personnes valides ne veulent pas l’entendre. Success story obligatoires, récits de rémissions, de positivité dans l’adversité, pour garder dans leurs esprits l’image de la personne en situation de handicap qui se bat comme une lionne malgré tout.
Je suis une très mauvaise handicapée, car je sais précisément ce qui m’attend et que j’ai suffisamment de recul pour voir ce que j’ai déjà perdu. Je ne suis pas forcément négative, je suis surtout réaliste. Oui, j’ai vu “des médecins” Marie-Mouise, mais tu fais bien de me le rappeler, j’ai failli oublier.
Face à la dégénérescence des corps et des esprits, on est pas équipé-es. L’esprit, gonflé aux récits néolib de réussites insolentes, hermétique au concept du “biais du survivant”, n’accepte pas les récits dramatiques qui ne s’arrangent pas. Non. Hollywood nous vend des happy end, on veut des happy end.
Et si tu es parfois désagréable, car tu as mal, ou que tu déprimes, il faut à tout prix le masquer, car ça rappelle aux personnes valides que la vie, des fois, c’est moche et on y peut rien.
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Puis merde, on est pas toutes des guerrières flamboyantes sur un destrier licornesque, non. La maladie, en fait, ça rend ni plus sympa, ni plus tolérante, et ça ne donne aucun super pouvoir. Le seul super pouvoir que j’ai, c’est le pouvoir de la dissociation, et paye ton pouvoir, sérieusement, je préfèrerais cringer comme tout le monde plutôt que de voir mon cerveau se barrer indéfiniment.
Des fois, on chiale.
Moi, ce que j’aime bien avec certaines personnes, c’est qu’elles te laissent chialer, sans chercher à te consoler en racontant de la merde, parce qu’elles savent que t’as plus que ça. J’aime bien qu’on ne me donne PAS de conseil et qu’on ne cherche PAS dans ma vie un créneau de 2mm pour y coller du yoga.
Je suis assez heureuse d’être finalement sortie de ces injonctions et de pleinement réaliser qui je suis vraiment : une personne qui n’aime pas sortir (ça fait mal), qui chiale en silence, qui avale ses médocs sans broncher et qui l’assume. Oui, je suis pessimiste quand à mon état de santé. C’est le contraire qui serait surprenant. Tu crois quoi ? Qu’un remède miraculeux va être trouvé avant que je canne ? Que je vais en plus pouvoir en bénéficier ? Et sans effet secondaire invalidant ?
Ah oui, oui, j’ai oublié le “Mais ce traitement te tue à petit feu, c’est grave !” de la part des personnes qui te poussent au cul pour voir un médecin dont tu n’as pas besoin car tu en as déjà un.
J’ai un traitement, mais j’ai des effets secondaires assez impactants (suffisamment pour que je ne puisse pas bosser avec), je dois choisir en permanence entre bénéfice et risque et dans tous les cas, je serai quand même encore malade.
D’où tu veux que je sois d’une positivité forcenée, en fait ? Je sais que je ne vais pas guérir, je l’ai intégré. Me coller un espoir de mieux est PLUS CRUEL que tout.
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En vrai, vous faites chier avec vos injonctions, vraiment.
Et je n’ai pas vraiment d’empathie pour les personnes qui se sentent suffisamment affectée par ma propre maladie pour me demander de ne plus en parler, ou, au moins, de faire un petit effort.
Le cerveau humain cherche des solutions. C’est plutôt une bonne chose dans l’ensemble. Mais mon cerveau humain a besoin d’être réaliste, pas de s’accrocher à des espoirs inexistants. Réclamer d’une personne malade qu’elle ait appris de la vie grâce à sa maladie, qu’elle soit inspirante par son courage et souriante malgré tout, c’est un type d’injonction qui crée chez moi le même type de colère que celle que je ressens envers les incrédules. Des fois, souvent, on fait pas des trucs extraordinaires. Mais les gens en bonne santé non plus, n’en font pas toujours. Pourquoi on devrait inspirer ? Être un modèle de “je m’en sors malgré l’adversité” ? Vous vous rendez compte de la toxicité du propos ?
Et là, on attaque le pire du bas du panier, le “prends soin de toi”. Oh gosh.
“Ça te dirait, un weekend [insérer ici lieu de détente] ?”
Non, en fait. Si c’est loin, le trajet va me tuer. Je n’aime pas dormir dans un autre lit que le mien car mon dos y est habitué. Je vais être hors de chez moi et je me sentirai mal. Et ok, mais avec quel argent ?
Là, le valide se dit “Elle fait chier, elle dit non alors que je lui propose une solution qui va radicalement changer sa vie”.
Parce qu’il FAUT trouver des solutions. Un problème DOIT être résolu pour le confort mental. Une maladie incurable, ça laisse pas se reposer.
Par ailleurs, personne ne capte un truc. Je m’occupe bien de mes cheveux, de mes ongles, de ma peau, je fais des soins régulièrement, je me tartine de crème, je fais des journées offline, j’ai des rituels agréables, en réalité je prends déjà soin de moi. Qu’est-ce qui peut faire penser, de prime abord, que je ne prends pas soin de moi ? Je dirais bien “mystère” mais je sais que la réponse est “on veut que ta maladie se voit moins”.
🦆🦆🦆
Le paradoxe c’est qu’on veut m’obliger à sortir boire des coups (alors que je suis alcoolique) pour faire comme si heu…comme si j’étais une personne normale, en fait. Les gens normaux vont se bourrer la gueule le vendredi soir. Si je veux passer la soirée en famille, je manque de fun. Non. Il faut que je sorte, parce que je n’ai pas de vie sociale aux yeux des personnes qui me survolent.
Je pense que le point de non-retour a été le jour où on m’a tellement collé la pression pour que je sorte (j’avais la canne et des douleurs abominables, j’étais en phase dépressive) que j’en ai fait une crise psychotique. Déjà, c’est raté, je suis pas sortie, mais en plus maintenant j’ai des idéations de non-vie ET je sais en plus que tout le monde va sortir sans moi alors que oui, si j’avais pas été aussi KO physiquement, j’aurais participé. Donc je me sens comme une merde incapable de rien, parce qu’incapable de répondre aux injonctions validistes qu’on me fout sur la gueule.
Est-ce que, franchement, et dis-moi-le en face, tu ne te dirais pas que j’utilise ma pathologie pour esquiver des événements sociaux que j’évite parce que j’ai peur des gens tout en me faisant plaindre ? Le stress déclenche des poussées inflammatoires. Me coller le stress et me pousser au cul me mettent en position d’échec car je sais que si j’ai mal lundi, j’aurai mal mardi, je suis malade depuis que j’ai 15 ans, je connais un peu la chanson. Vite fait.
Ça, on me l’a plus ou moins sous-entendu. Comme si le fait d’avoir un corps en vrac était un super joker que j’ADORE utiliser pour esquiver les choses. Franchement, c’est bien un truc de valide que de penser ça. Je fais des crises quand ça m’arrange…ou bien je sais au moment où tu proposes le truc que mon corps suivra pas, que je me force à être dans le déni jusqu’à l’inévitable montée de stress ? Je sens les poussées arriver, oui oui. Comme je suis sans anti-TNF encore pour un moment (parce que le Dr Méchant a dit “on verra combien de temps vous tiendrez sans”) je fais une poussée par mois, à la louche. Une poussée dure de 5 à 10 jours. Parfois, je peux respirer une semaine avant que ça reparte.
Je pense que je connais bien mieux mon corps que toutes les personnes qui veulent m’obliger à sortir “pour mon bien”.
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Prendre soin de moi, c’est aussi lâcher du lest. Et je me sens bien plus apaisée de ne pas avoir à jouer au jeu social dans lequel je ne suis qu’une bonne excuse pour avoir des places assises.
Je sais, de première main, qu’une maladie incurable et dégénérative, c’est chiant. D’accord, c’est chiant pour l’entourage. Mais heu…c’est toi qui passe des journées shootée au Tramadol sans rien pouvoir faire ? C’est toi qui estime précisément si oui ou non tu peux aller à la boulangerie à 200m ? Non, c’est pas toi. Toi, tu vas juste chercher du pain, c’est pas un sujet, tu y vas sans y penser, tout comme tu vas faire tes courses à n’importe quel moment qui t’arrange le plus.
On sait prendre soin de nous. Souvent, on est dans le parcours médical depuis qu’on est ado. On se fait déjà assez envoyer bouler par les médecins pour que les proches ne s’y mettent aussi.
Je sais qu’aujourd’hui, je me connais, je sais prendre soin de moi, je fais ce que je peux. Mais j’aurais bien aimé percuter ça avant toutes ces prises de tête.
Donc, aux valides :
- On connaît mieux nos pathologies que vous
- Oui, même si tu es médecin, tu n’es pas malade, tu ne sais pas ce que ça fait
- On connaît nos limites et c’est assez nul que de nous fixer des objectifs inaccessibles pour mieux dire ensuite “ah tu vois, elle fait pas d’efforts”
- Ayez la décence d’assumer votre manque de volonté d’inclusion au lieu de nous coller ça sur le dos
- Personne n’utilise sa maladie comme un joker, on préfèrerait pouvoir faire des trucs que de ne pas pouvoir faire des trucs
- On sait prendre soin de nous
- Pas besoin de nous demander si on a essayé le yoga ou si on a “vu un médecin, non mais un autre”. C’est un classique mais ça mange pas de pain de le rappeler.
Et à mes pairs :
- Tu connais ton corps mieux que quiconque
- Tu n’es pas responsable si les autres sont “tristes” de ton état
- Tu connais tes limites et les autres doivent les accepter, ce n’est pas à toi de te contorsionner juste pour faire plaisir
- Si tu le peux, parle à tes pairs. Communique avec des personnes présentant les mêmes problèmes et qui sont plus à même de te comprendre.
- Tu le sais déjà, mais les conseils malvenus et les “tu as essayé le yoga ?” rendent violent-e, prends cette hache ergonomique, plutôt.
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Pour moi, le renoncement est une libération. C’est très triste de dire ça, hein ? Mais renoncer, c’est se libérer des espoirs déçus. Cela ne veut pas dire arrêter de se soigner, non, je l’entends dans le sens “cesser de s’accrocher”. Je sais que je n’irai pas mieux. Et alors ? Est-ce que ça veut dire que je renonce aux soins ? Non. Est-ce que ça veut dire que j’arrête tout et que je me laisse lentement couler vers la mort ? Non plus.
Je me soigne, mais je suis réaliste. Je ne retrouverai pas mes fonctions perdues. Ce qui est endommagé ne va pas se réparer par magie.
Ce réalisme ne m’entrave pas, au contraire. Il me permet d’aller au-delà de ces injonctions à la con. Je ne suis pas valide, je ne serai plus jamais valide. Bah ouais. Vaut mieux le savoir que d’entretenir l’espoir en un traitement miracle, porte ouverte aux pseudo-sciences par ailleurs, et d’être sans cesse déçue. Je sais quels sont les options restantes, quels sont les vrais espoirs d’amélioration, je sais que tout est temporaire.
Reconnaître l’inexorable m’a apporté beaucoup plus de positivité que de me cacher les yeux derrière les mains en priant très fort pour que ça passe.
Sortir définitivement de l’idéal validiste d’un corps fonctionnel m’a aidée à mieux apprécier mon corps dysfonctionnel.
Et si je prends soin de moi, c’est avant tout pour moi. C’est pas pour te faire plaisir.
Touche à ton cul, Marie-Mouise.