Grasse matinée : 5h42
Le gros scandale du jour c’est un scandale de dopage chez l’un des meilleurs joueurs mondiaux de Minecraft. Je dis dopage parce qu’il aurait triché mais qu’il ne se drogue probablement qu’aux energy drink. Je dis du jour, non, ça date de deux jours je crois mais jv.com en parlait hier soir. Bref.
Ce type intitulé «Dream» a 14,5M abonné-es sur sa chaîne Youtube et classé 5ème meilleur joueur de l’année 2020 au niveau mondial. Il est né en 1999 aux Zétazini et pratique le speedrun.
Le speedrun c’est : finir un jeu, de préférence en «perfect» (sans se faire toucher ni perdre de vie), le plus rapidement possible. Je ne sais pas si tu as déjà regardé des sessions de speedrun, mais la plus impressionnante que j’aie jamais vu de ma vie c’est le type qui contrôle Zelda avec les bongos de la Wii et qui finit le boss sans dommages. Oui.
Tu te souviens de Super Mario 64 ? 1h38.
GTA 5 ? 5h56.
Darksouls ? 19mn44
Spyro le dragon ? 38mn31
Tu as les speedrunners «classiques» et les tool-assisted speedrunners.
Les deux utilisent la plupart du temps des glitch (des bugs du décor) ou des techniques liées aux défaillances des contrôles du jeu. Genre t’en a un qui découvre que courir à l’envers dans un jeu te permet de leurrer le contrôleur de vitesse si tu fais un micro truc au micro moment. Ou alors, il y a un raccourci dans un mur.
Les tool-assisted spedrunners jouent sur émulateur (sur un logiciel qui fait croire à ton jeu qu’il se lance sur une console alors qu’il se lance sur un PC) et ont ainsi plus d’outils, dont les action replay (refaire un passage sans se coltiner les 18mn de galère juste avant) ou le ralenti. C’est «triché» mais d’un autre côté les vidéos sont propres, incroyables, fascinantes, chaque mouvement est parfait, tout est lisse, j’adore ça.
Tu as aussi les let’s play «super hardcore level no damage». Finir un niveau, ou tout un jeu, sans jamais se faire toucher. C’est beau.
Ouais, je regarde des gens jouer aux jeux vidéo, kesstu va faire ?🐡
C’est culturel ici.
Quand on s’est connus avec mon cher et tendre, on a fait des sessions incroyables sur World of Warcraft. J’avais le lion blanc ET le lion noir avec ma chasseresse1. C’était super chouette, on a pu refaire une dream team sur The Secret World, un des meilleurs MMORPG que j’aie connu. On y a passé des jours, évidemment. Des semaines. On a passé le nouvel an 2015 sur ce jeu, le nouveau-né dormant dans son petit nid, nous, lattant la gueule de Hel pour choper de la récompense épique, souhaitant bonne année sur le chat mondial quand c’était notre fuseau horaire.
Tu vas me regarder comme ça : 😥 possiblement. Mais ici, la culture vidéo-ludique, c’est important.
Ça l’est moins pour moi depuis que j’ai du mal avec mes mains et mon bras, les longues sessions de jeu me sont difficiles (et c’est un déchirement absolu, oui) mais les consoles portables et les jeux Android me sont encore accessibles
🐳🐳🐳
Je suis contente que ça soit de moins en moins le cas mais quand on me demande ce que j’aime dans la vie et que je réponds les jeux vidéo, on me regarde d’un air super condescendant en mode «ah.»
J’ai d’autres passsions dans la vie mais quand je dis «je veux tout cramer et je suis féministe» ça rattrape pas trop le truc. Pourtant, les jeux apportent des compétences bien réelles.
Mon plus grand fait d’armes est d’avoir vaincu à 8 ans Duck Tales sur Gameboy en une seule session (forcément). L’exploit est d’autant plus incroyable que la Gameboy fonctionnait sur piles.
Dans l’univers de The Secret World tu as des missions d’enquête super velues. Tu dois aller chercher des infos dans le vrai internet, prendre des notes, déduire, te planter, te planter, te planter, halluciner sur la solution, pourtant logique. C’est hyper dur, tu galères, tu galères et tu aimes ça.
Ce que je veux dire c’est qu’importe si tu joues à Tetris ou à Dark Souls (ou à Just Shapes and Beats), quand tu joues tu développes une certaine technicité.
Genre «penser outside the box» si tu es rôdée aux point&clic ou aux jeux de rôles, tu connais. Les solutions de contournement, les feintes, les «die and retry» (meurs, recommence), les réflexions tirées par les cheveux, les trucs improbables que tu tentes en désespoir de cause et qui fonctionnent sous tes yeux ébahis…tout ça t’apprend des compétences de logique, de déduction, de réflexes.
🐛🐛🐛
Je pense que le jeu vidéo fait de nous des êtres compétents. Ça réclame des ressources très spécifiques, c’est un loisir exigeant, même quand tu secoues des arbres sur Animal Crossing (je suis emmerdée en ce moment parce que ma grande planification ne se passe pas comme prévu et que je croule littéralement sous les fleurs, faut plus que je joue en étant aussi euphorique, ça me rend pas service)(Edit PDF : nous sommes 6 mois plus tard, mon île garde encore des séquelles de cet épisode Edit site : on est en avril 2022 et c’est toujours le cas, si tu veux des roses bleues, oranges, roses, noires ou whatever, tu me fais signe, jpp).
Je dis pas que les joueurs utilisent leurs compétences au mieux, mais on gagne des skills parfois esbaudissants. Les bongos. Les bongos, merde.
On va éviter le «tout est affaire de mesure» parce que je suis par définition une meuf démesurée qui peut refaire Final Fantasy IX 3 fois en entier pour choper absolument tous les coffres. 200h sur Dragon Quest IX. Les deux sont très réussis, évidemment, on parle de Final Fantasy et de Dragon Quest, là…
Je m’emballe. Pardon.
Tu penses peut-être aux japonais et coréens qui sont morts sur leur siège devant WoW ou LoL ?
J’ai beau aimer la démesure, passer plus de 50h en jeu sans me nourrir ne me semble pas la meilleure idée du monde, je pense et j’espère que tu en as aussi conscience. On est pas sur un souci de jeu vidéo, on est sur autre chose à mon avis… On peut sans doute aussi mourir de trop jouer au travail au Japon. Ou golf outre-Atlantique (Croisons les doigts pour l’agent orange qu’on va devoir extirper de la Maison Blanche prochainement).
🐹🐹🐹
Ouais c’est le moment du plot twist à l’arrache.
Parce que la TOXICITÉ de certains joueurs. Au masculin. Evidemment. On va pas refaire le Gamergate, hein2. Si tu ne connais pas, c’est une campagne de harcèlement niveau «WTFOMFBBQ» contre une, puis plusieurs, femmes qui ont dénoncé le sexisme dans le jeu vidéo. Harcèlement avec menaces de morts et divulgation des adresses postales des protagonistes. La classe totale.
Attention, la section suivante est violente.
TW TWEET DE MENACES ET INSULTES
FIN DU TW
Quand mon époux a fini Payday (je ne sais plus quel opus) on a compté le nombre de femmes dans les crédits à la fin.
De mémoire, et je multiplie par deux parce que je suis sympa, 12 femmes, sur 5 mn de crédits. Uniquement en «art» ou «assistante de…»
Ouais.
Les choses ont bougé suite aux divers scandales, mais faut le dire vite. Si les certains acteurs prennent position, dont itch.io avec son Black Lives Matter Bundle, et sa levée de font de 8M$ (oui, millions) ou, depuis plusieurs années Humble Bundle et d’autres initiatives vraiment top, on a encore un gros souci d’inclusivité, le joueur lambda est quand même régulièrement un connard.
Sur le BLM Bundle de Itch j’ai été super agréablement surprise de voir des titres ouvertement LGBTQ+ friendly. Il y a quelques années encore, ce genre d’initiative était inimaginable. Là on a des Visual Novel avec des personnages trans, enby, on a des situations vraiment diversifiées, on a des personnages racisés, des thématiques sociales (Papers, Please entres autres, où tu incarnes un douanier dans un état totalitaire) et tout et tout.
Mais je sais aussi que chaque prod indépendante abordant ces thématiques sera descendue en flammes par Jean-Manette qui ne supporte pas qu’on puisse vouloir «ouvrir» ce monde fabuleux à chaque personne différentes de lui.
Ça voit la propagande chez les autres, pas sa propre façon de censurer les autres. As usual.
🦆🦆🦆
C’est pourtant crucial, la représentativité. Moi j’en ai marre que mon protagoniste soit un mec (sauf dans The Witcher ♥ ). La blanchitude de tous ces héros mâles gonflés à l’hélium me gave parce que je ne me sens pas incarnée. Le continuum joueuse-jeu est pété.
Les armures à boobs aussi, merde. Les personnages féminins qui combattent les forces du mal en bikini, merde. Les personnages «token» qui ne sont qu’un intérêt romantique, de préférence après une mort violente, merde.
On va te dire «ouais y’avait pas de noires au Moyen-Age, c’est pas réaliste» (oui y’en a qui écrivent ça). Alors que t’as une meuf à poil qui chevauche un dragon ailé pour attaquer un Kraken géant qui tire des lasers dans une tornade de chakra à 20 cm de ta gueule. Mais y’avait pas de noires au Moyen-Age. Ça n’existait pas, à l’époque. Iels ont sûrement été inventées après, ce qui est cohérent avec l’idée d’un Jésus blanc. Comme à chaque fois, dès qu’on commence à s’approprier quelque chose, le Boy’s Club contre-attaque. Ils vont te dire de ne pas jouer aux jeux que tu pointes du doigt et d’arrêter de faire chier, mais t’as un perso trans dans un scénar ils tapent la crise d’apoplexie.
🚮🚮🚮
J’en suis au stade où je peux arrêter un jeu très rapidement en étant tirée de force de mon immersion par un élément problématique. Si un des protagonistes du «bon» côté a une saillie homophobe, c’est fini. C’est heureusement, je trouve, de moins en moins le cas. Pas parce que c’est bien, parce que les éditeurs savent qu’on forme une part de marché conséquente. Faut pas rêver.
C’est intéressant, justement, de se rendre compte du big deal avec la représentativité. Pourquoi un gamergatien ne supporte pas qu’on propose de jouer une femme noire alors qu’il n’a juste qu’à pas créer un perso de femme noire ?
«T’as qu’à pas regarder»
«T’as qu’à pas y jouer»
«Tu cherches la merde, aussi»
Ben John-Bob, j’ai envie de te dire : applique tes propres conseils et fais pas chier ?
Mais non.
Faut TUER la représentativité. Ils ne percutent pas forcément les mécanismes sous-jacents, ils sont juste irrités et fâchés de ne plus représenter 100% du truc.
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Et justement, ça signifie que la représentativité a un effet réel et tangible sur les mentalités, donc c’est efficace. Preuve en est cette belle émulation concernant les jeux LGBT+ friendly. Petit à petit on a formé une contre-communauté, on a fait nos propres jeux, on a créé notre propre représentativité. On a fait des callouts sur des grandes licences au contenu sexiste ou raciste. Et surtout, les éditeurs ont réalisé qu’on représentait une large part du marché et veulent nos thunes, peu importe comment.
On les fait chier, oui.
Et comme toujours, le Boy’s Club est pas content parce qu’on lui pique ses jouets pour les utiliser pas comme lui il veut. Les jeux, c’est sensé être amusant, dit-il en cassant le fun de milliers de personnes.
Le jeu c’est pas un outil politique, qu’il dit en jouant à Assassin’s Creed…
Un jeu qui raconte les problèmes d’une ado qui s’enfuit de chez elle (A normal lost phone) ? Un jeu qui raconte l’histoire d’une femme qui cherche sa sœur, partie elle aussi (Gone Home) ? Pas politique ?
Raconter des histoires a toujours permis de s’ouvrir au monde. C’est valable pour les contes, les mythologies, les légendes urbaines ou l’Histoire TM. Vivre l’histoire de cette ado à travers son téléphone est remuant. Adresser [hop on enlève le spoil] par ce biais est ultra-intéressant : l’immersion permet de cerner un peu plus des problématiques dont on se se serait pas douté. On incarne l’autre, le jeu pose des questions qu’on ne se serait jamais posées, on ressent dans sa chair la détresse et l’espoir de ces personnages-là qui deviennent plus proches de nous. C’est juste primordial.
Mon exemple littéraire peut-être pas si outrancier serait le Journal d’Anne Franck. Cette monde vécu à travers Anne, l’avancée inéluctable de la guerre et de l’Holocauste, ça retourne les tripes. Et forcément, ça crée de l’empathie car tu as vécu et tu es morte avec elle. Moi, la guerre, au collège, je m’en fichais un peu, j’en avais juste marre de me faire traiter de nazie parce que je suis à moitié allemande.
Puis j’ai lu ce livre. Et j’ai compris que l’Histoire elle se jouait aussi à titre individuel, qu’on pouvait l’appréhender à travers des livres, que les mots nous rendaient perceptibles des émotions à mille lieues de notre époque et de nos préoccupations.
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Du coup ça les fait chier, les dominants. Encore un truc qui était leur pré carré et qu’on a été saccager avec nos toutes petites mains. INJUSTICE. Faire de la place ? Pourquoi ? Tout ça leur appartient.
On avait qu’à faire comme avant : sacrifier à la cohérence intime et jouer ce qu’on nous donnait à jouer. Ils nous demandent ça à chaque fois. En littérature, en arts, en musique, seconds rôles ou victimes, toujours. En lorsqu’on persiste, ils créent des sous-catégories pour nous : le roman policier à l’anglaise, les épopées sentimentales, les livres de cuisine, de bien-être, de développement personnel, ce rayon «meufs» de la FNAC est plus fleuri que la cour derrière chez moi, j’te jure.
Je suis désolée mais le nail art est un art. Le make-up aussi.
Une cuisinière est une femme (ou un appareil électro-ménager), un cuisinier sera forcément Chef. Il ne réalise pas de la cuisine de Bobonne, Lui.
Le quotidien aux personnes considérées comme inférieures, l’exceptionnel aux mecs blancs.
Et moi, en ce moment, JE ME RÉGALE. Je me régale de ces jeux indépendants et engagés. Je joue depuis 30 ans et j’exulte en voyant les titres subversifs. Je suis fière de nous comme une vieille hippie.
On a réussi à faire notre nid malgré tout, on tient bon. On s’en prend plein la gueule mais on tient bon.
«Ah, tu joues ? Tu joues à quoi ? Aux Sims ?
– Ouais. Et à Animal Crossing.
– Ah ouais tu «joues» quoi…»
Je mets au défi Jean-Manette de rendre heureuse une famille de 7 personnes toutes plus suicidaires les unes que les autres. Un incendie dans la salle de bains, un toaster qui explose, des nécessités abracadabrantes, une envie de macaroni qui tourne mal, ouais, essaye, les Sims, c’est paisible, wé.
Et je pense qu’il ne supporterait pas 2 mn cet affreux Tom Nook qui est pourtant un fieffé capitaliste. Il ne connaîtra jamais la beauté des fleurs semées au gré du vent.🌸
Y’a pas une forme de jeu plus noble qu’une autre. C’est une invention des dominants encore, ça. Ceux qui se foutent de ta gueule parce que tu joues à des jeux «de nana» mais qui couinent de tout leur petit cœur quand on y propose des personnages racisés…
Bon, c’est pas tout ça mais je vais déterrer 50 000 pieds de lys jaunes, moi. Adieu.