J’ai une effroyable gueule dans le cul après une belle nuit d’insomnies, alors j’ai décidé de faire subir ma frappe pas réveillée à une des marraines de l’Enfant qui est venue nous voir et qui se fait présentement un café. Il est 5h49, tu sais maintenant pourquoi tu ne dormiras pas chez moi (le clavier).
Hier soir, nous avons regardé le périple d’Eddy Burback qui a fait avec un pote les 22 restaurants “Margaritaville” des US et du Canada en 24 jours. C’était long mais vraiment très distrayant.
(https://www.youtube.com/watch?v=Bsb9T1g5nlE)
Il est né en 1996 et fait mon âge, je suis née en 1982 et je fais son âge. Quel monde étrange.
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Lorsque l’équipée fantastique atteint Chicago, Eddie pose devant une sculpture monumentale qui provoque inévitablement chez moi cette réaction :
“C’est la sculpture ! La sculpture de Ari…heu…Ani…LE MEC DU VENTABLACK !!!”
Ce qui provoque inévitablement, chez tout autre interlocutrice que mon amie qui me connaît bien, une réaction toujours un peu similaire : “Hein ?”. Ma pote, elle sait que c’est encore un truc incroyable à en croire mon enthousiasme de gosse de 4 ans qui a enfin eu le château Polly Pocket de ses rêves. Je l’ai eu à 40 ans, ce château, et bah c’était pas dommage. Mais je m’égare, reprenons.
L’image de la sculpture d’Anish Kapoor va maintenant être décrire avec une gueule dans le cul de niveau 6 à 7.
“Alors c’est heu…une espèce de haricot super géant, mais plutôt une fève, je dirais, en tout cas ce blob est ridiculement grand et recouvert de miroirs, les gens font super petits à côté, en tout cas ça doit être amusant quand le soleil se réfléchit dessus, tu sais, comme l’autre building à Londres qui fait fondre le bitume avec un effet loupe, atta. Le “Talkie-Walkie“, valà. Donc ça doit provoquer des reflets marrants mais surtout, merde, le Vantablack.”
Oui bah j’aimerais bien t’y voir, aussi.
C’est donc une sculpture monumental d’un artiste qui possède une propriété commune avec Yves Klein : il a fait copywriter une couleur pour être le seul à pouvoir l’utiliser. Pour Klein, c’est à peu près passé pour une démarche créative conceptuelle mais, sans déconner, faire copywriter un produit qui provoque de la couleur, merde.
Donc Yves Klein peut poser des corps de femmes sans tête sur des toiles mais pas Anish Kapoor ? Ah bah bravo, bande d’anarchistes quand ça vous arrange ! Je suis désolée, j’avoue tout, je ne suis pas une fan d’Yves Klein, même après avoir vu certaines de ses pièces exposées et tout.
🐦 “L’International Klein Blue (IKB), parfois appelé bleu Klein, est un procédé déposé le 19 mai 1960 à l’Institut national de la propriété industrielle (INPI), sous l’enveloppe Soleau no 63471 par l’artiste plasticien Yves Klein. Il associe le bleu outremer synthétique à un liant choisi avec l’aide du marchand de couleurs Édouard Adam.
Selon la loi, personne ne peut s’approprier une teinte. « Blue » dans le nom de l’IKB ne saurait désigner une nuance de bleu, mais uniquement un produit bleu. C’est l’association du liant et du pigment qui fait l’originalité du produit et qui a justifié pour Yves Klein le dépôt de l’enveloppe Soleau. Cette démarche est souvent considérée comme un acte artistique au sens de l’art conceptuel.”
(Wikipédia)
Bataille de Wikipédia !
🐦 “Le 27 février 2016, Anish Kapoor devient le propriétaire du brevet du Vantablack, une variété de noir inventée par une société britannique Surrey NanoSystems. Ce noir ayant la propriété d’absorber 99,965 % de la lumière, il rend difficile la perception des reliefs sur les surfaces qui en sont recouvertes et évoque un trou obscur sur celles-ci. C’est toutefois la première fois qu’une personne achète le droit exclusif d’une matière pour un usage artistique.
Il s’assure ainsi l’exclusivité de l’usage de ce noir dans le domaine artistique. Certains artistes voient là une dérive abusive du pouvoir de l’argent et des fantasmes de propriétaire.”
(Also Wikipédia)
Je suis sûre que l’un-e d’entre vous va m’expliquer le truc dans les commentaires, parce que j’ai grave pas l’énergie de me lancer dans un rabbit hole juridique, oh que non. J’ai déjà fait la partie discours de critique d’art qui dit que le Vantablack est une émotion, et pas au même titre que le Bleu Klein, je suis à ça de me pétrifier de discours pompeux sur des trucs somme toute assez simples.
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La propriété c’est le mal, et c’est une personne du nom de Stuart Semple, un artiste plasticien et créateur de pigments, qui répliquera avec le “Pinkest Pink” en réaction au noir le plus noir. Alors, on ne peut pas utiliser ton noir de bourgeois ? Rien à battre, je vais mettre l’arc en ciel à disposition de tout le monde ! Le Rose le plus Rose sera à 8,95£.
Surtout, le rose le plus rose est accessible à toute personne, excepté Anish Kapoor. C’est dans les mentions légales :
🐦 “By adding this product to your cart you confirm that you are not Anish Kapoor, you are in no way affiliated to Anish Kapoor, you are not purchasing this item on behalf of Anish Kapoor or an associate of Anish Kapoor. To the best of your knowledge, information and belief this paint will not make its way into the hands of Anish Kapoor.”
🐦 “En ajoutant ce produit à votre panier, vous confirmez que vous n’êtes pas Anish Kapoor, que vous n’êtes en aucun cas affilié à Anish Kapoor, que vous n’achetez pas cet article au nom d’Anish Kapoor ou d’un associé d’Anish Kapoor. À votre connaissance, cette peinture ne se retrouvera pas entre les mains d’Anish Kapoor”.
(Page du produit dans la boutique en ligne)
La page arbore un titre déclarant qu’ici, “on libère la couleur depuis 2016”, année où a débuté l’histoire.
Sans le savoir, Stuart Semple initiait un véritable mouvement de libération de la couleur, en travaillant aux pigments “les plus purs” et recherchés par les artistes pour les rendre accessibles à toustes. Il les vent, ses pigments et peintures, oui. Mais c’est pas forcément beaucoup plus cher que des peintures acryliques haut de gamme. Les 3 pots de 100 ml de Liquitex sont à 29,31€, les 4 couleurs néon de Semple sont à 58,95€, c’est certes plus cher, mais pas BEAUCOUP plus cher, vu le prix habituel des fournitures d’arts plastique. Certains de mes pinceaux coûtent 25€ pièce, je viens de voir un flacon d’encore acrylique Sennelier de 30ml à 7,95€, plus rien ne m’étonne.
Anish Kapoor publiera donc l’image que tu peux voir ci dessus si tu me lis partout sauf sur Facebook. Un pot du pigment, un “middle finger ni dieu ni maître” en premier plan. Il a réussi à acheter le rose le plus pur et contredit dans le même temps sa propre conception du respect de la propriété d’autrui. Anish Kapoor en a rien à battre, Anish Kapoor peut se procurer n’importe quel pigment car c’est Anish Kapoor.
Mais Stuart Semple relève le défi et invente le “Black 2.0”, un pigment qui se rapproche énormément du Vantablack. Toujours légalement inaccessible à Anish Kapoor, de même que le “The World’s Most Glittery Glitter” (les paillettes les plus pailletantes de toutes les paillettes) et toutes les autres couleurs et produits créés par Stuart Semple.
Il relaye aussi une pétition “Stop Anish Kapoor stealing our light and colour!”
🐦 “Signez notre pétition pour empêcher Anish Kapoor, qui possède un grand studio à l’arrière des maisons de Camberwell New Road, de construire un étage supplémentaire sur le studio et de bloquer notre précieuse lumière et notre vue, une chose inestimable dans notre ville surpeuplée.
On aurait pu penser qu’Anish Kapoor comprendrait la valeur de la lumière, de la couleur et de la responsabilité sociale.
Dans tout Londres, les habitants sont malmenés par des conseils qui privilégient le commerce au détriment de la communauté. En voici un exemple.”
Devine qui a gagné ? Indice : beaucoup de gens n’étaient pas contents.
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C’est une team du MIT qui a résolu l’affaire (du Vantablack) en créant une autre variété de noir, encore plus noire que le Vantablack et surtout également accessible à toustes.
On peut voir sur ce site (https://www.the-redemption-of-vanity.com/) l’utilisation qui a été faite de ce nouveau-nouveau-nouveau pigment noir. Je te laisse découvrir, par contre, le site est meilleur que moi pour sortir des phrases d’experte en Arts et la pièce en question est vraiment cool à découvrir.
Depuis, Stuart Semple s’est lancé dans les pigments et a fait le orange le plus orange et le “Easy Klein – IKB : Incredibly Kleinish Blue”. Ça reste trop cher pour moi, mais j’adore cette histoire.
On peut dire que oui, mais Semple se fait du blé. Certes. Mais il a aussi passé des mois sur ses pigments pour les rendre accessibles, je doute qu’il se fasse des marges de ouf vu le prix de vente qui reste raisonnable. Je suis en effet totalement admirative de ce move de badass qui répond à cet art détaché du réel (Anish Kapoor est multi-millionnaire) en répondant ainsi. Pour Semple, le site “Culture Hustle” qui vend les pigments est une installation artistique. Et je suis complètement d’accord avec lui. Rien que pour la mention de confirmation que le produit doit être inaccessible à une seule et unique personne au monde rend ce pigment contestataire de par sa propre existence. Le renversement du stigmate m’éclate, et ça rime.
Mon avis que tu ne m’a pas demandé est que la culture, l’art et les matériaux doivent être accessibles. On s’en fout que tu peignes des montagnes avec Bob Ross ou que tu te jette contre ta toile en chantant des cantiques, que tu sois une peintre du dimanche ou une Personne Exposée dans un univers culturel hacké par le capitalisme le plus brutal. Tout le monde devrait pouvoir créer, avec n’importe quel pigment. L’art n’est pas une question de personnes surdiplômées, ce n’est pas quelque chose de trop bien pour toi, l’art, c’est l’Art et inversément. Comme en Chaos Magick : c’est l’intention qui compte.
Le noir le plus noir, c’est important. J’ai failli acheter le Black 3.0 lorsque je peignais un tableau illustrant la fin du monde. L’effet aurait été vraiment conforme à ce que je voulais projeter, mais j’avais pas les sous donc j’ai fait autrement puis tout ruiné avec un vernis satiné qui a mal pris mon noir charbon. J’ai utilisé ce tableau pour faire la vignette de l’article, mais voici, sans signature, ce que je fais sans noir plus noir que noir, c’est à dire “Meh”. L’original est accroché chez moi, tout comme beaucoup de mes “œuvres” non signées. Parce que j’oublie de signer à chaque fois. Parce que la propriété c’est le mal et que je ne me considère déjà à peine comme une humaine décente.