Heure de réveil : 3h11 (miaou)

Buzzfeed vient de proposer un autre test pour définir si je suis introvertie ou extravertie, je suis toujours introvertie. C’est chaud, je me suis toujours pensée plutôt extravertie avec des phases de shutdown quand j’ai trop de vie sociale alors qu’en fait, je suis juste introvertie 🤔

Ce test m’a aidée, je crois, et heu…c’est totalement un test bidon, on est d’accord.

“38 ans après, elle découvre qu’elle est introvertie grâce à Buzzfeed”
La honte un peu, non ? 🤨

Bon, aujourd’hui on va parler de la parole des concernées et de l’expression “Être juge et partie”. J’ai beaucoup d’idées éparses, on va tenter de trier un peu tout ça.

🥠🥠🥠

Il y a un truc que tu connais sans doute pour l’avoir déjà lu mille fois si tu fréquentes des groupes féministes : “la parole aux concernées”.

👉 On va se mettre au clair sur une chose : il faut écouter les concernées. Je ne suis pas là du tout pour remettre ça en question, la parole des premières personnes concernées par une oppression est justement CELLE à écouter en premier.

En revanche, les universitaires et militantes devraient aussi pouvoir s’exprimer sur des oppressions qu’iels connaissent en théorie. Pas n’importe qui, n’importe quoi, n’importe comment, mais ça reste important.
La sociologie et la psychologie apportent beaucoup d’éléments d’importance dans la compréhension des mécanismes de domination, c’est indéniable. Ces sciences sont essentiellement basées sur le témoignage, il me semble. Enfin, je veux dire, en psycho, pas de témoignage, pas de patiente, pas de boulot.

Cette pierre soulève une autre pierre : pourquoi ça gave autant quand un random-dude vient te dire “Ton post est mignon mais ce n’est qu’un témoignage”.
Comme si ma vie n’était pas un baromètre universel et statique de la vie sociale, tsé.

Le témoignage a surtout valeur d’exemple.
Admettons, je suis atteinte d’un handicap (au hasard la spondylarthrite) et je lis “Ce médicament ne provoque pas tel effet secondaire” alors que si, bah j’y vais et je dis que moi, si.

Je vais à Cochin vendredi pour consulter heu…un spécialiste peu amène on va dire. Extrêmement compétent, mais extrêmement peu amène.
Depuis le début du traitement, ça fait 2 ans, j’ai perdu petit à petit 9kg. Ouais j’ai de la marge, mais une perte de poids “sans effort” est un des signes à rapporter. Ben figurez-vous que j’ai de la marge, alors on va attendre que ça déconne sévère, m’a-t-il dit. De même, les métrorragies (des saignement en dehors des cycles) ne font pas partie des effets secondaires figurant sur la liste. Que ça apparaisse ou disparaisse en fonction de la prise ou non du traitement, visiblement on s’en cogne, c’est pas sur la liste.

Là tu te dis, meuf, on s’en fout de ta vie. Et c’est pas très gentil mais tu vas comprendre.

Le spoil ultime !

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Pour mon rhumatologue-ponte-blabla mon témoignage peut être balayé du revers de la main. Lui il a la Science, tu sais. Moi, je sais que quand je dois suspendre le traitement pour une raison ou pour une autre, je n’ai plus de métrorragies et je reprends du poids avec les mêmes apports caloriques qu’avant.

Le fait de se faire “envoyer bouler” de cette manière, avec des symptômes qui sont réels, un peu angoissants et parfois envahissants, c’est nul à chier.
De quel droit il se permet de nier tout ça ? Comment ? Parce qu’il est médecin et qu’il a fait 10 ans d’études en plus que moi ?

Assez tôt après le diagnostic, je me suis tournée vers un forum sur les spondylarthropathies (c’était en 2008). C’était un forum “non-mixte” pour malades et éventuellement aidantes, sans présentation rapide on était supprimées des membres, et ce pour s’assurer qu’on était bien entre concernées. Une fois la présentation faite, on avait accès au reste du forum.
J’y ai trouvé écoute, réconfort et soutien de la part de mes pairs. Iels m’ont conseillée, rassurée, et j’ai fait pareil pour les nouvelles arrivées quand je l’ai pu. Je continue à répondre de bon cœur à toutes les questions concernant mes pathologies, parce que je sais à quel point ça aide.

Lorsqu’on se retrouve avec un diagnostic assez costaud comme ça, on est totalement paumée. Est-ce que je peux en mourir ? Est-ce que je vais finir en fauteuil ? Est-ce que je pourrais avoir un enfant ? Quels sont les traitements possibles ?

C’est sur ce forum que j’ai forgé ma décision concernant le Celebrex : jamais je prendrai ce médicament. J’ai lu trop de témoignages d’effets secondaires insupportables, de la part de CHAQUE personne qui l’avait essayé sur le forum en question. Unanimement, le risque était considéré comme plus élevé que le bénéfice et s’il n’y avait pas de recommandation “officielle” (parce qu’on est pas médecins), on savait à quoi s’en tenir.
Lorsque j’ai eu des effets secondaires sévères avec l’Indocid, j’ai aussi prévenu les copaines.

Sans ces personnes j’aurais ptet pris du Celebrex. En tout cas, j’aurais pas trouvé de réponses à ces mille questions sur le quotidien : comment ne pas oublier mes médicaments ? Y a-t-il des trucs contre la nausée qui ne soient pas à base de gingembre ? Comment gèrent vos proches ?

J’ai pas envie.

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Est-ce que c’est grave que ce soient des non-médecins qui me répondent ? Et ce refus de traitement, là, c’est pas un peu excessif ? Non. Non.
Mon médecin ne s’est jamais réveillé ankylosé, il n’a jamais expérimenté la douleur insoutenable des poussées inflammatoires, les traitements et leurs effets secondaires. Il a un savoir purement théorique. Il sait comment la maladie fait ses petites affaires dans nos corps, oui.
Moi, ce qui m’intéresse, c’est surtout vivre avec. C’est cool de savoir comment et pourquoi, je me suis d’ailleurs bien sûr renseignée sur le sujet. Mais mon médecin ne pourra jamais vraiment savoir ce que ça fait, le veinard.

Eviter un médicament risqué, donné d’ailleurs souvent en dernier recours, ça ne me semble pas déconnant. J’ai prévenu et assumé le fait de ne pas vouloir prendre du Celebrex et tu sais quoi ? On m’a répondu “Bon…d’accord, je comprends”. Trois médecins différents m’ont dit ça quand on gérait mon échappement thérapeutique aux AINS. Quand trois médecins “valident sans valider” ton refus, c’est vraiment qu’il y a un souci.

Finalement, même mon médecin dépend de mon témoignage et de ma coopération pour le diagnostic. Son savoir théorique ne sert à rien si je ne fais pas le récit de mon mal. Si je ne lui dis pas “J’ai mal aux sacro-illiaques” il va pas deviner de lui-même ce qui m’attaque. Je dirais pas qu’on a une relation d’inter-dépendance car ce serait aller vraiment trop loin, simplement ma santé dépend de lui MAIS AUSSI DE MOI.

Ouais on arrête de parler de moi, c’est bon 🙊

Ce que je tente d’expliquer ici c’est :
🔸Je suis une personne victime de validisme qui doit se confronter à un système rigide, dominant et peu aidant (le monde médical).
🔸Mes pairs (les autres personnes concernées) m’aident et me soutiennent : leur parole m’est précieuse et leurs conseils pertinents.
🔸Parfois, leurs conseils peuvent aller à l’encontre de ce que le dominant (le médecin) décide. Le fait d’avoir pu considérer la situation de manière éclairée (les autres témoignages qui sont pas dans la notice du médicament) me permet de faire un choix en tout conscience.
🔸De fait, je récupère un peu de ce pouvoir en ayant la possibilité de déterminer moi-même ce qui est le mieux pour moi (et ça fait chier le monde visiblement)
🔸Donc laisser les concernées s’exprimer sans entraves c’est pouvoir bénéficier d’un témoignage de première main, quelque chose qui ne va pas forcément dans le sens de ce que la science nous dit (Les effets secondaires du Celebrex ont pas dû bouger depuis 1976 à tous les coups). Sans défiance particulière vis à vis des sciences, être informée de potentiels effets secondaires graves devrait faire partie de l’explication du médecin (ce n’est pas le cas).
🔸Les personnes concernées ont ainsi une vision “intérieure” de leur situation et parfois une expertise que les médecins n’ont pas (avec toutes les précautions évidemment, je ne parle pas ici de refus de soin total)
🔸Et cela n’en fait pas des personnes biaisées, cela fait des personnes concernées.
🔸Leur expertise a donc une très grande valeur et ces personnes sont les mieux placées pour écouter, aider et soutenir leurs pairs. Ce sont les plus à même de définir avec précision de quoi relève leur handicap/maladie/oppression.

🧄🧄🧄

Du coup le fait de dire “C’est qu’un témoignage” est complètement con. Ne pas écouter la parole des concernées c’est tout aussi con.
Pas de témoignage, pas de soin. D’ailleurs les maladies (et les sections “effets secondaires” des notices) sont documentées par…les personnes atteintes, non ? C’est formalisé toussa par les gens dont c’est le boulot, mais s’iels ont un boulot de base c’est grâce à nous.

Un témoignage n’est pas une preuve.
Personne n’a prétendu le contraire, pas moi, en tout cas.
Un témoignage n’est pas une preuve mais il apporte un éclairage différent au concept. Il permet d’affiner les choses et de soulever des points dans l’angle mort des pros. Parce que des angles morts c’est pas ce qui leur manque, tout comme les féministes blanches bourgeoises en ont à la tonne.

J’ai beau avoir lu pas mal d’ouvrages sur pas mal de sujets, mes plus grosses réalisations féministes ont été causées par des témoignages de personnes concernées. Alors ça fait mal de se rendre compte que notre angle mort obscurcissait en réalité la quasi totalité de notre champ visuel. Puis des fois ça heurte de se rendre compte qu’on a fait des conneries.
C’est inconfortable mais cette parole est la plus précieuse des paroles.

Cela ne veut pas dire que la socio ne sert à rien, au contraire. La socio “formalise” et pose des notions scientifiques sur nos vécus, sans socio on aurait pas la notion de racisme systémique ou de culture du viol, par exemple. Si on a pu s’approprier ces concept, c’est bien parce que ces concepts ont été formalisés.
La sociologie est une science mais surtout un métier qui nécessite plusieurs années d’études et une certaine expertise. On a besoin de ces gens.

👉 Mais si ces gens pouvaient arrêter d’être condescendants ce serait grave cool 😬

J’ai notamment pu lire un “pro” discréditer le récit d’une femme trans qui racontait son vécu. Je te jure, c’est comme si la honte n’avait pas encore été inventée. Parce qu’elle ne rentrait pas dans “la case”. Par exemple, il est courant de penser que la transidentité est liée à une dysphorie de genre alors que pas du tout. Des soignants, là, dehors, ne le savent pas. Et pour le coup, la première concernée sait un peu ce qu’elle vit et ce dont elle parle.

La conversation a été d’une violence “douce” (pas d’insulte, discours calme) sans nom. Le mec, parce que oui, évidemment que c’était un mec, tentait de faire dire à son interlocutrice ce qu’elle n’avait pas vécu et disqualifiait son discours divergent.
Comme si sa vie ne comptait pas.
Faut pas faire ça, les enfants, si une personne concernée ne rentre pas dans les clous c’est pas “Merde faut tout refaire”, c’est une opportunité d’en savoir plus, de se poser d’autres questions et, oui, d’éventuellement remettre en cause le modèle.

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Les communautés, les groupes de personnes qui ont quelque chose en commun, sont vitaux pour nous. L’aide par nos pairs est cruciale et cela devrait être une possibilité donnée lors du diagnostic : “Il existe une communauté de malades ici, je vous donne l’adresse”. Parce que là, c’est nous qui le faisons quand on peut, quand on rencontre une personne en souffrance.
“T’as qu’à chercher lol”
Oui sauf que tout le monde n’a pas les mêmes possibilités que toi et que le bouche à oreille est souvent plus rassurant, de même que la présence de connaissances sur ledit groupe.

Je passe vite là-dessus mais j’ai envie de le rappeler : la non-mixité est une nécessité.

Ça participe au même processus de réappropriation des concepts. On veut parler entre nous. Je ne me sentirais pas en sécurité de parler de mon traitement toutes portes grandes ouvertes. Cela n’empêche pas de regarder ce qui se passe dans le monde autour de nous, de lire des papiers scientifiques, de nous renseigner sur ce qui nous unit et d’échanger à l’extérieur du cercle pour partager nos vécus.

Ok, là on est encore dans le monde merveilleux de mon utopie intérieure. On va passer à “Juge et partie”.

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J’ai lu ça récemment : la parole des personnes concernées ne doit pas primer car iels sont juges et partie. Wow. Il parlait racisme en plus, laisse tomber.

Qui se pose en juge, en fait ?
Vraie question.
On juge de quoi ? Quand ? Comment ? Pourquoi ? Quelle forme prennent nos jugements ?

Si une militante afrofem énonce quelque chose comme “Je suis discriminée à l’embauche”, en quoi est-ce un jugement ? C’est pas un jugement, c’est un fait établi et bien établi.
Si la personne disait “Les Dragibus bleus sont délicieux” là on serait dans le jugement. Les Dragibus bleus sont atroces en vrai (Urk, j’ai de nouveau la nausée là).

On juge quand on dit “Les hommes sont les principaux responsables des féminicides” ? Pas vraiment, parce que…c’est vrai. On juge un violeur, là, oui, ok. On juge les mecs qui frappent leurs partenaires, aussi. Grave, qu’on juge. Comment tu veux dire “Nan mais chacun sa vérité tu vois…” tandis qu’on se fait tuer ?
D’ailleurs un mec qui se permet de te dire de quelle manière tu devrais parler et te comporter est, lui, pas mal dans la jugement, en fait. Celui qui te dit qu’il fallait pas t’habiller comme ça aussi.

On est pas “juge et partie” parce qu’il n’y a pas de jugement. On est face à des situations de violences systémiques envers des personnes dominées, on est pas face à une question donc la réponse est “30 ans ferme” ou “Allez barrez-vous”.

Le souci c’est que ça nous permet d’auto-définir notre chemin, sans eux. On est les premières à savoir ce qu’il nous faut, et ça les fait flipper de ne pas avoir de prise là dessus. Alors quand on demande un bout de truc, ça râle parce que ouhlàlà attends c’est quoi ton truc, là, on va où, et nos Vraies Valeurs de la Vie© alors, Chantal ?
Les gens qui ont des Vraies Valeurs de la Vie© sont souvent ceux qui jugent.

Je comprends la peur derrière le “juge et partie”. Ils ont peur que personne ne trouve de solution parfaite dans lesquelles ils ne changent rien. Pire ! Si on discute entre nous, qu’ils ne savent pas ce qu’on dit, il est possible qu’on parle d’eux ! Qu’on s’organise pour les faire chier !
Alors, on fait croire que chaque décision doit être prise par un panel représentatif. Il y a en France 8% de personnes musulmanes. Tu imagines un colloque purement représentatif sur l’Islam qui comporterait 92% de blancs catholiques ou athées ?
(Attends, c’est ce qui se passe en vrai, merde 😱)

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La parole aux concernées : oui, oui et re-oui.
Ce sont elles qu’on doit écouter en priorité. Quels sont leurs problèmes, leurs envies, leurs besoins ?

Rejeter ce principe est à mon sens non seulement complètement illogique, mais aussi injuste et arbitraire. On décide pour nous depuis le début, en plus, c’est un tout petit peu rageant et blessant de voir des personnes débattre de nos vécus comme s’il s’agissait d’éléments purement virtuels. Notre vie n’est pas une suite de statistiques. Franchement, des fois je préfèrerais.

En revanche, il nous appartient de nous approprier les outils de la sociologie et de la psychologie, il faut qu’on puisse transmettre ce savoir-là aux autres. C’est souvent assez difficile de lire des textes universitaires, ce serait chouette de pouvoir vulgariser un peu tout ça et le rendre accessibles aux premières concernées, non ?
C’est ce que je tente de faire quand j’ai pas de vide matinal en tout cas. Maladroitement, mais j’essaye.

C’est dommage de rejeter en bloc les connaissances en sciences sociales. Je comprends pourquoi on le fait, je dis pas. Je les aime bien mais ils ne sont pas abordables et je comprends difficilement vos textes. Enfin, si, mais ça me réclame un bel effort. Beaucoup de scientifiques ont en prime cette posture insupportable de sachants condescendants qui, moi, me rend violente. Un peu d’humilité, des fois, c’est cool, vous vous mangeriez moins de murs.
Il n’empêche qu’on devrait se saisir de tout ça. Connaître les notions de base comme celle du racisme systémique ou de culture du viol. Une meilleure connaissance des mécanismes d’oppression est vitale, et ça ne passe pas que par nos témoignages, même s’ils sont d’une grande valeur.

De la même manière que la connaissances des biais cognitifs peut grave nous aider dans la lutte pour démonter les arguments ou comprendre le fonctionnement du camp d’en face.

En conclusion : tu es scientifique™, évite d’expliquer aux gentes comment elles vivent, stp, c’est gênant pour toi et pour nous. Y’a plein d’exceptions qui confirment la règle et ignorer ces exceptions, les rejeter parce que c’est pas sur la notice, est particulièrement mal avisé.
Pour autant, on a besoin de ces outils-là donc il va falloir faire des compromis (sur la non-mixité vous pouvez vous brosser par contre). Suite à un de mes premiers billets sur la médication, j’ai lu un commentaire disant que non, les médicaments étaient aussi testés sur les femmes et que c’était plus complexe que ça. Ça m’a fait chier parce que ça collait bien à ma théorie, mais, hey, cette personne avait raison en fait. Pas sur tout (les signes de crise cardiaque sont toujours moins bien perçus chez les femmes car ils sont souvent différents de ceux des hommes) mais elle avait raison.

Bon, je vais tenter de me débarrasser de mon mal de crâne à la sulfateuse, bisou ♥