22 novembre 2020 [TCA, injonctions]

Heure de réveil : 4h08 (anxiété, chats)

Ce matin je tente en direct le café instantané (oui on a une vraie cafetière mais certaines de mes copines profs semblent adorer le L’Or donc j’en ai toujours en stock, va comprendre).
Sans surprise :
– C’est mauvais
– Surtout quand tu le doses comme une bourrine 🤢

J’ai tenté le thé mais c’était décevant, ce n’est pas le goût que j’attends du matin en ce moment. Cette phrase ne surprendra aucune de mes amies ayant connaissance de mes lubies alimentaires. Parce que j’adore le thé, j’en ai plein et tout, mais non, en ce moment c’est café au lait, aka le pire combo de la mort pour le bide, d’autant plus que je ne tolère pas super bien le lactose MAIS qu’aucun des laits végétaux ou lait sans lactose n’a réussi à passer le test. C’est double espresso au lait ou la nausée.
Et dans 3 mois je ne jurerai que par le café noir ou la chicorée. No idea.
(Edit PDF : je suis, en mai 2021, à la Ricoré au lait, tu vois…)

Aujourd’hui je vais te parler Troubles du Comportement Alimentaire (TCA), ça tombe bien.

Je te jure c’était pas prévu¹.

🐯🐯🐯

Les «lubies alimentaires» font partie du spectre des TCA qui va englober tout ce qui est relatif aux problèmes de, sans surprise, comportement alimentaire : anorexie, boulimie, hyperphagie pour les plus célèbres. Je ne mentionne pas les troubles plus rares comme le pica (manger des choses non alimentaires comme des cailloux, de petits objets, ses cheveux…) et tout ce que Wikipedia me donne dans sa liste de TCA²
Je reprécise que je suis concernée par les TCA. Je précise également que j’utilise, pour me désigner, moi, le terme de «grosse» dans un esprit de réappropriation. Je ne me permettrai pas de désigner ainsi une autre personne. Je m’en laisse en revanche le droit lorsque je désigne une entité comme «les personnes grosses».

J’ai toujours été «grosse» il paraît. C’est en tout cas ce que pensait le médecin qui m’a dit que j’avais les genoux mal foutus.

J’avais 12 ans. Ma mamie et lui ont donc décidé de me faire faire un régime. Et c’est comme ça que tout a commencé. C’est une histoire familière ?
Parce que, soyons honnêtes, à 12 ans j’étais déjà pas mal grande mais mon corps n’avait pas fini de grandir. A 15 ans j’ai connu une poussée de croissance assez costaude et mon Saint IMC est redevenu «normal». Je faisais du 36, mais j’avais déjà mon corps en horreur.

*slow clap*

J’adore ma mamie mais elle a un sérieux souci avec le poids. Je pense qu’elle ne supportait pas de voir que ma mère n’était pas conforme à ce qu’elle attendait et qu’en me retrouvant, là, toute prête à être façonnée (je dois beaucoup d’habitudes cosméto, maquillage et soins à ma mamie), elle n’a pas vu le mal, tout comme les gens bien intentionnés en général.

C’est comme ce type sur le mur d’une amie qui avouait son mal-être. Elle s’ouvre un peu, moi je trouve ça cool. Et là, t’as Jean-Obvious qui se pointe la bouche en coeur et qui dit «Tu as essayé le sport ? Ça fait du bien !»
Est-ce que je viens te faire la leçon sur tes habitudes tabagiques, stupéfiantes, ta passion du Rapido et du petit jaune qui va avec ? Est-ce que je viens te chier un cake parce que j’aime pas que tu conduises une Jeep en ville en Île de France (much adventures) au lieu d’opter pour le vélo ou le bus ?

Non.
Alors pourquoi des gens, parfois totalement random, se sentent autorisés à émettre des commentaires ou des conseils sur mon poids ? Je fais pas «Psssshit» à tous les fumeurs que je vois passer et je vais pas aller emmerder Paris qui picole en terrasse (Mais si, souviens-toi, un jour en 2019).

🦑🦑🦑

Donc, déjà, vous : vos gueules. Toutes les personnes avec des problèmes de poids n’ont pas de TCA et toutes les personnes avec un TCA ne sont pas hors «courbe» de poids mais le résultat est le même :

«Est-ce que tu dirais à une meuf maigre dans la rue qu’elle est trop maigre ?»

Parce que si on s’attache absolument à la santé l’anorexie est un des seuls TCA avec lequel le risque de décès dû au trouble en lui-même est alarmant mais personne emmerde les minces. Enfin, si, mais vraiiiiiment pas de la même manière…
Nope.

C’est rude, oui, mais on va pas rendre symétrique la grossophobie et la maigrophobie, je suis désolée. C’est pas des grosses qu’on voit sur les pubs; le jour où on verra autant de grosses que de minces sur les abribus, dans les boutiques de fringues, dans les livres comportant des représentations anatomiques (et oui), on verra. En attendant, même avec mon petit 44 d’aujourd’hui, je ne trouve souvent pas ma taille en magasin. Alors un 56…

J’entends absolument la détresse des femmes minces mais j’ai tendance à l’associer au body-shaming en général, pas forcément à une discrimination liée au poids en lui-même. Et vu la pression qu’on a sur le contrôle de nos corps j’ai aucun doute sur le fait que les personnes minces puissent se sentir oppressées. Aucun.

⚖⚖⚖

Je parle grossophobie, je dis être concernée alors que si tu me voyais, là, maintenant, tu verrais une femme un peu ronde avec surtout un sublime pull en tricot polaire et un café immonde devant elle. Selon Saint IMC je suis toujours >30, en obésité modérée.

J’ai été opérée en 2010 d’une sleeve (opération pour perdre du poids, j’ai fait un article sur le sujet³et j’ai perdu 60 kg.

Et toujours le sentiment d’avoir «triché», d’être une meuf dont l’IMC <40 a été usurpé, je crois toujours être illégitime, avoir exagéré ou menti dans un sens comme dans l’autre. C’est assez inconfortable mais ça m’a permis aussi de lire la grossophobie et mon corps en général à travers différents prismes.

Curieusement, j’étais victime de grossophobie mais ça m’est revenu en pleine gueule un jour de bus, le jour du premier entretien d’embauche après ma grande perte de poids. J’étais au chômage l’année précédente, je n’avais pas pris les transports depuis longtemps. Comme j’étais encore jeune et naïve j’étais en tailleur (le costard pour meuf, pas la posture de yoga qui soigne l’épilepsie).

D’un coup, je me dis, merde, attends, il se passe un truc.
Attends.
Les gens me regardent.
Je te dis que les gens te regardent.
Y’a un truc, obligé.
Han mon mascara à coulé j’ai un truc sur la gueule mein gott la panique, je rentre chez moi, j’ouvre la porte et, très très curieuse, je regarde mon reflet dans le miroir.
Rien.
Les gens avaient juste recommencé à me regarder comme une personne au lieu d’utiliser le «regard glissant», comme quand tu vois une personne en fauteuil et que tu sais pas où te foutre.

(Astuce : tout va bien, tu peux regarder les gens même les «anormaux», je t’assure, ça tue pas. Et ça marche aussi avec nos SDF, même si tu files pas de thune, un bonjour c’est gratos.)

Si tu lis aussi mes autres articles tu as sûrement lu cette anecdote. Je la trouve tellement parlante. J’ai encore cette sensation au creux du bide.
L’autre révélation était que, mon poids stabilisé, je voyais toujours la version grosse de moi dans le miroir. Mais ça…c’est une autre histoire un peu plus compliquée à raconter.

🐚🐚🐚

Reprenons.

Est-ce qu’on engueule une personne malade ? Non. Si tu le fais soit tu es un monstre, soit tu soignes Tatie Danielle ou mon père et là je te comprends un peu. Coupe-lui le WiFi, ça lui fera les pieds.

«Mange moins» – random dude dans les internettes
No shit, Sherlock.
Je sais que les copines hyperphages connaissent cette pulsion totalement incontrôlable (enfin si mais c’’est très très compliqué et ça marche pas toujours) qui te fait dévorer les raviolis froids à même la boîte.

Je relie totalement cet état avec l’effet de manque lié à la drogue ou à l’alcool. Passé un stade, ta seule et unique préoccupation au monde est de manger, l’ensemble de l’Univers passe après. C’est plus fort que tout, c’est puissant, ça peut te pousser à sortir marcher loin pour aller les acheter, tes ravioli, à prendre le bus, à rassembler ta monnaie de sous le canapé pour voir si tu peux prendre des Napolitains avec. Quelle personne addict à la nicotine a jamais fait des bornes un dimanche matin pour acheter un paquet à 15€ à l’épicerie du coin ?

Moi, j’ai juste connu ça avec la clope, la drogue, l’alcool et la bouffe. Comme si c’étaient un peu les mêmes mécanismes compulsifs, dis donc.

Ouais jusqu’ici j’ai vécu ma meilleure vie, tavu 😎

🌷🌷🌷

Est-ce que, maintenant que tu le vois, tu vas aller emmerder le mec en fauteuil pour lui dire que l’ostéopathie et le sport t’ont beaucoup aidé-e ?
J’espère que non. Sans déconner, faut pas faire ça, hein, on est d’accord ?
On va reprendre toutes en cœur sur l’air de manif de ton choix :
Touche à ton cul
Les injonctions, ça pue !
Touche à ton cul
Et tu s’ras pas déçue !
C’était effroyable mais j’ai quand même mis un peu de cœur dedans, j’ai pas pu effacer ce truc du cache de FB comme ça.

Les TCA sont une affection; On y peut autant que pour une maladie chronique : pas grand chose. Alors touche à ton cul.
⭐️ Les conseils bien intentionnés : touche ton cul avec.
⭐ Les rappels sur la diététique : touche ton cul avec.
⭐️ La petite moue triste «quel dommage» : touche à ton cul mais avec du gravier s’il te plaît.

On sait.
On gère.
On se connaît, on prend soin les unes des autres depuis un moment.
Et on a à peu près toutes ces jolies caisses en bois imaginaires remplies de nos connaissances en diététique bien réelles.
Tu crois quoi ? On nous colle au régime dès que possible, les connaissances en diététiques ça fait longtemps qu’on les a…🙄

🎱🎱🎱

Pire : les régimes sont un des gros leviers des TCA, le conseil de «faire un régime» est le pire de tous. Déjà, la restriction alimentaire c’est de la merde, ça a toujours été de la merde, ça sera toujours de la merde. S’interdire un aliment que tu aimes bien pour respecter un régime qui, la plupart du temps, ne repose sur aucune donnée scientifique un peu sérieuse ça peut être le point d’entrée de futures «lubies» alimentaires.

La privation créée le besoin.

Puis, invariablement, tu reprends, à plus ou moins long terme.
Même les personnes ayant subi des interventions en chirurgie bariatrique peuvent reprendre, certaines jusqu’à se faire réopérer. (Ça reste rare mais ça serait malhonnête de ne pas le mentionner).

Les régimes sont dangereux, à fortiori si tu souffres déjà de TCA. Physiquement, d’une part, car ils perturbent le métabolisme (big up aux régimes kéto, paléo, crudivore et autres souvent menés sans aucun bon sens par des gens guidés par des packages régime vendus en ligne), psychologiquement ensuite, car tu crée inconsciemment des règles alimentaires toutes pétées. En général, après plusieurs années de ce fameux effet yoyo, tu sais plus ce que tu manges, tu t’en fous, c’est trop compliqué ET tu as développé des croyances et aversions alimentaires un peu tordues.

Désormais, tu hais le céléri et les frites, sauf avec du miel.

🔮🔮🔮

Les TCA c’est plein de choses mais c’est surtout une angoisse liée à l’alimentation. Tu vas trouver ça complètement loufoque, je sais, mais 1 homme en est atteint pour 15 à 18 femmes.
95+% des personnes atteintes d’anorexie sont les femmes, et ça, ça interroge quand même pas mal sur la relation pathologique que les femmes ont avec leur corps et la minceur.
Pour moi, on est en lien de cause à effet direct entre injonctions patriarcales (oui cet article manquait de féminisme je trouve) et troubles de l’alimentation. Au point que, pour les personnes grosses, la première consigne médicale sera : «perdez du poids» même en cas de cor au pied ou d’infarctus en cours. Peu importe le reste, notre poids encombre.

Le message est clair et c’est assez hypocrite de faire semblant de ne pas le voir : le corps des gros-se-s est indésirable.

🍂🍂🍂

La grossophobie est l’un des sujets sur lesquels tu peux me lancer quasi indéfiniment et mon texte a touché deux trois points, ce billet en appellera sûrement d’autres.

En guise de conclusion : ton corps n’es pas moche. Il s’est pas défectueux parce que tu es grosse.
Ta valeur n’est pas définie par ton poids. J’ai longtemps cru ça, et puis j’ai réalisé que j’étais quand même plus intéressante que ma seule enveloppe corporelle.

Ce fut long, et ça n’aurait peut être pas été le cas si on avait foutu la paix à cette pauvre préado de 12 ans qui n’avait rien demandé à personne.