Heure de réveil : 4h13 (enfant)

C’est ouf. J’ai ouvert la page le 16 octobre, et maintenant tout le monde a pris le pli. Les chats ne miaulent plus pour me tirer du lit, ils savent que je me lève. L’enfant est venu me chercher ce matin à 4h13 pour me demander pourquoi je n’étais pas dans le bureau en train d’écrire. Mon absence l’a inquiété. Tout ça me rappelle que pour chats et enfant je suis l’alpha et l’oméga des câlins et de la bouffe. C’est super flippant.

J’ai toujours plus ou moins fui devant les responsabilités. J’ai jamais eu trop de mal à l’admettre. La routine me TUE, le conformisme me TUE et mon inconscient se débat probablement avec tout ça en sabotant chaque tentative d’être une «vraie adulte». Ma voisine du dessus est mon pire cauchemar : si jeune et déjà si vieille.

Et aller au boulot tous les matins me tue aussi. J’ai besoin d’escapades, de temps en temps. De sécher les cours, de sécher le boulot et juste dormir parce que. Juste par principe.

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Mon désir de liberté m’a déjà sauvé la vie. Il m’a permis de partir relativement rapidement d’une relation toxique et violente où tout ce que je faisais, disais, mangeais, éprouvais, était soigneusement monitoré par mon geôlier. J’ai besoin de respirer, et il me monitorait tellement bien qu’il m’a envoyée à l’hôpital quand j’ai tenté de lui échapper grâce à pléthore pharmacopée alors qu’il dormait. Il a chouiné auprès des infirmières pour rester près de moi, il a passé la nuit à me chuchoter «Tu vas le regretter, tu vas tellement le regretter, quand on sera rentrés…»

Je ne l’ai pas regretté. Quelques semaines plus tard, suite à une «altercation», j’ai eu des jours d’ITT (au nombre époustouflant de un) et surtout 3 semaines d’arrêt maladie. Que je lui ai cachés. Pendant 3 semaines, je me levais le matin, je me préparais, j’allais à la gare, et je rentrais à la maison quand j’étais sûre qu’il était au travail. Ou je flânais dans les rues de Cannes en hiver, et c’était naze parce que Cannes en hiver c’est franchement naze.

Et j’ai retrouvé ce sentiment qui n’était pas mort : j’existais de nouveau. Et j’ai réussi à le feinter, et je me suis sauvée. Dès que j’ai pu agripper ma vie de nouveau, j’ai repris courage, je me suis souvenue de ce que c’était qu’être libre. Depuis… Bon déjà j’ai survécu (et pourtant il avait un plan parfait pour me faire disparaître, un bon plan à la Dexter saison 1 qu’il me racontait par le menu quand ça lui chantait).
Puis je sais que ma liberté est une des choses les plus précieuses en moi. Plus jamais.

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Etre libre ça coûte cher et souvent, bien souvent, on te fait culpabiliser juste de vivre, d’autant plus quand tu es parent 1. Lorsque le test de grossesse est revenu positif, le 20 décembre 2014, j’ai pleuré. J’ai paniqué totalement. Y’avait pas la joie, l’émotion, tout ça, non, juste de la PEUR. Je me suis dit, ayé, c’est fini et plus l’alien en moi grandissait, plus je me sentais à la fois investie dans ma maternité et totalement dépassée.

Quand je stressais, il me filait des coups de pieds. Quand j’étais calme, je le sentais se lover contre moi. On a eu une superbe relation in utero, on se parlait, ça m’a bien aidée pour l’accouchement d’ailleurs. Il s’est rendormi, les sages femmes en pouvaient plus, moi encore moins, alors je lui ai caressé le dos et je lui ai dit allez, c’est le moment. Et 15 mn plus tard il était là, après 24h de travail.

Et moi, j’étais plus jamais libre.

Depuis un moment, je fais avec et ça va beaucoup mieux.
Ouais je suis la daronne qui rend pas le cahier de correspondance parce qu’il est sur la table de la cuisine sous une pile de coloriage. Je suis celle qui oublie d’inscrire son enfant au centre de loisirs, qui fouille frénétiquement dans le panier de linge-propre-mais-non-plié-de-16-tonnes pour retrouver deux chaussettes vaguement similaires à 8h07.

Celle qui fait tout à l’arrache, c’est moi. Mais la maîtresse du gnome a eu une jolie carte entièrement fait main («Chériiii regarde la belle carte que j’ai faite TOUTE SEULE comme une grande !») et je crois qu’elle a capté que j’étais pas si laxiste que ça, finalement. C’est amusant, ça, d’ailleurs, on imagine toujours que je suis le parent laxiste alors que pas du tout.

En attendant, mes chats ne miaulent plus et mon enfant aime bien me regarder écrire en écoutant de la musique.

Astuce : en fait je suis toujours libre. J’ai la chance d’avoir un parent 2 qui assure, l’enfant est plus grand, il sait se nourrir et s’habiller seul (Insérer ici gif de Homer Simpson faisant YOUHOUUU).
J’ai juste organisé ma liberté autrement. Au début de ma parentalité j’allais chez Babou et Auchan, à pieds, loin, pour me balader parmi les gens. Et le chemin par les bords de la Marne était beau, alors je me promenais. Oui je fais partie des meufs matérialistes qui aiment faire du shopping, kesstuva faire ?

J’ai investi chaque petite faille dans l’emploi du temps. Entre 9h et 11h le samedi, je savais que je n’abandonnais personne dans ma fuite.
Au travail aussi, j’ai besoin de ces interstices. La pause de midi m’est agréable uniquement si elle est solitaire. Je mange souvent seule au restaurant, dans ma bulle au milieu des gens. Iels ont pitié de moi qui ai la lose, j’ai pitié d’euxlles qui sont obligées de causer en mangeant.

Interstice c’est vraiment le mot.
Si j’ai moyen de feinter, je feinte. Toujours. La moindre faille est repérée, analysée, exploitée. La transgression est nécessaire à mon équilibre.

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Pis je pense que c’est le cas de tout le monde. Si on avait pas cette volonté d’aller voir ce qui se passe de l’autre côté de la clôture, on en serait pas là maintenant. Si le désir de liberté était moins fort, pas de révolutions, pas de changement, pas d’envie de plus, de différent.
J’ai toujours cru que l’adulthood était une renonciation à cette liberté. Je voyais ma maman sous contrainte, ma mamie réglée au millimètre, et déjà on m’envoyait à l’école tous les matins sans exception. Alors que la liberté est en toi, et qu’il ne tient qu’à toi de ne pas y renoncer (Je dis ça, nous ne sommes pas encore sous un régime autoritariste à ce point, j’ai conscience d’avoir le privilège de ma liberté).

C’est surtout ça qui me faisait peur en grandissant. Je ne me sentais pas capable de faire tout ça, et je n’en suis toujours pas capable d’ailleurs. Manger tous les jours à la même heure m’est impossible. Je change d’habitudes très régulièrement, je change de boisson du matin, de lubie alimentaire, d’activité favorite…dès que je tombe dans la routine, je meurs.

Je comprends absolument les gentes routinières. Je les envie. Cette stabilité, cette prévisibilité. Le fait de savoir à peu près où tu vas. Moi je sais pas où je vais, j’en ai aucune idée et je ne veux surtout pas le savoir. C’est chouette mais extrêmement angoissant. Le champ des possibles est ouvert, le champ de l’anxiété également. Quand je vois des jeunes à l’avenir tout tracé j’ai envie de chialer.

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Ouais, ce matin je fais un billet de Noël personnel sur la liberté, chuis comme ça, rien ne m’arrête.
Ça fait un moment que je partage mes matinées (et mes écrits en général) avec toi. J’ai commencé cette série de billets seule dans la nuit, je la continue lumière allumée, avec chats sereins et enfant somnolent, sans doute bercés par le bruit du clavier. J’ai beaucoup écrit avec sa version bébé sur mes genoux, avec de la musique, comme maintenant.

J’ai envie de parler de liberté parce que c’est quelque chose de rare et de précieux, je m’en rends compte aujourd’hui. J’ai la chance de pouvoir transgresser sans trop de conséquences.

L’atroce moment où tu réalises que tu as besoin d’un-e adulte pour t’aider mais que c’est toi l’adulte

Malgré tout, je fais les papiers en temps et en heure, ma maison n’est pas trop en désordre et je suis hyper sérieuse sur plein de trucs. Je gère comme une daronne, tant bien que mal, et mon enfant n’est pas plus déséquilibré qu’un autre.

Mais cette petite parcelle de soleil, là, je veux pas qu’elle s’éteigne. C’est difficile d’écrire ça en 2020 tout en se disant «un jour, peut-être, je ne pourrai plus écrire anonymement, je ne pourrais plus dire 1312 en me marrant, des gens sont déjà passés en gardav pour moins que ça.» T’inquiète, j’ai bien le sens de la mesure entre écrire en Iran et écrire en France.

Juste, le nivellement par le bas ça m’intéresse pas. Je veux que les iraniennes soient aussi libre que moi, pas être aussi muselée qu’euxlles.

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Oui, je suis inquiète. L’outil avec lequel je communique actuellement est un outil au service du totalitarisme, j’en ai pleinement conscience. Je reste là car je sais que je toucherai plus de personnes avec mes billets à la mer et que, ma vie sociale était quasi-exclusivement virtuelle, me couper de cette plateforme c’est me couper de la plupart de mes amies.

Je pense que tant que j’aurai une flamme de vie, je m’exprimerai. C’est quand j’ai compris ça que j’ai réalisé que j’étais adulte. Ma liberté ne s’est pas éteinte mais ma force a grandi. Je suis devenue solide. Pas toujours, mais solide quand même. J’ai survécu, j’ai traversé des trucs et des machins et je suis toujours là, à gueuler contre tout comme quand j’avais 17 ans.

Les inégalités et les restrictions sont devenues plus réelles avec la maternité, pour moi. Je me bats pour nous, maintenant. Je peux pas faillir. Je ne pourrais pas renoncer et me regarder en face, c’est pas possible. C’est difficile, c’est super difficile, j’ai régulièrement envie de laisser tomber, de m’endormir et de tout oublier, mais là j’ai un chat qui miaule parce que les croquettes dans son bol ont plus de 20 mn et que c’est intolérable.
Je ne dis pas qu’il faut passer par la parentalité pour ça. C’est ce qui s’est passé avec moi, c’est tout

Là, ce matin, je me demande à quoi ressemble Noël. Mes voisins n’ont pas décoré leurs maisons comme l’année dernière, moi non plus. Les gens font la gueule, moi aussi. J’ai pas envie de faire semblant alors que le monde se meurt doucement. Visiblement, eux non plus. M’enfin, on a quand même un sapin depuis l’année dernière, j’ai fait le minimum syndical et c’était plié. Même le petit n’est pas du tout impatient. Il s’en fout. Il est content de voir sa marraine Flavie ce soir, c’est tout ce qui compte pour lui.

Et je me dis qu’il est dans le juste, ce gosse. On s’en fout, on est ensemble et mon PCR d’hier est revenu négatif.

Il est dans le juste et il tousse désormais dans son coude par réflexe…

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Les anti-masques, quand à eux, hurlent à la privation de liberté alors que cette année je ne vois pas ma mamie à cause d’eux. On a pas la même notion de la liberté, je pense.
Ma liberté, elle ne nuit à personne. Elle heurte parfois dans mes écrits, jamais très violemment, elle s’adapte au contexte. Renoncer à un petit peu de mon visage dans la vue vs tomber malade et mourir ou contaminer mes proches, normalement le choix est vite fait.
La liberté, elle est pas sensée blesser les autres. Ça à l’air idiot dit comme ça mais je te jure que c’est pas intégré pour tout le monde.

Moi je veux bien porter un masque tant qu’on me laisse écrire mes monologues. C’est le deal.
(Non c’est pas le deal, j’ai juste pas envie de choper le virus en vrai) Mais tu vois l’idée.

Ce truc, là, inamovible, au fond de ton âme et de ton cœur. Inamovible car on peut l’endormir mais jamais le tuer. La liberté ne connaît pas la résignation, même quand tu te résignes. Elle est sauvage, elle s’en fout de tes atermoiements, elle a juste envie de vivre.

C’est ça que je veux te faire passer comme message de Noël ce matin.
Ne te résigne pas.

Je te promets rien, je pense toujours qu’on vit l’Apocalypse au ralenti, mais vivre l’Apocalypse en se sentant libre ça a quand même plus de gueule, non ? Comme ça tu peux te dresser de toute ta hauteur et dresser fièrement ton majeur face au monde, jusqu’à la fin. T’es pas seule
Cheer up !

Courage à ceuxlles qui fêtent leur Noël dans une famille «difficile». Bien ouej à ceuxlles qui ont pu esquiver la corvée. Bisouilles à ceuxlles qui ne fêtent pas Noël parce que c’est catho, aussi. Ça vous fait une belle jambe mais chaque année je pense à vous, dans ce pays à la laïcité si particulière…
On va grave en chier, oui.
J’espère quand même qu’on se paiera quelques barres de rire avant la fin.

En tout cas, moi, je serai là, j’ai pas le choix, j’ai un enfant et deux chats.