Heure de réveil : 4h40 (représailles de chat)
Voilà, je fais de nouveau partie des meubles et pour fêter ça, un chat que je ne nommerai pas m’a pissé dessus, genre, dessus dessus, pour me réveiller en guise de protestation. Ah oui le calme et maman pour vous tous seuls vous aimiez bien, je sais.
J’ai passé 3 jours à abattre un boulot invisible mais gigantesque, mais invisible. Donc la maison est…était super clean mais c’est déjà foutu.
J’ai de nouveau des emballages de compotes et des trucs random partout. Je sais que quand l’Enfant se lèvera je n’aurai plus accès à mon PC.
Trop content de retrouver une connexion internet digne de ce nom, ledit Enfant m’a à peine dit bonjour et a fait sa vie. Je SAIS que c’est signe d’un attachement secure que de ne pas avoir peur que maman ne soit plus là. J’ai bien fait mon boulot. C’est logique qu’il ait été content de retrouver ses affaires plus que moi, mais ça m’a fait mal au cœur quand même.
Je me suis sentie inamovible comme le vieux radiateur sur la terrasse.
J’ai déballé les affaires. J’ai rangé encore. Puis je me suis assise à mon bureau et le désespoir m’a un tout petit peu envahie.
Je fais partie des meubles. Statique. Certaines choses ne bougent pas, j’en fais partie. C’est extrêmement déprimant. Je suis heureuse d’avoir ceux que j’aime auprès de moi, évidemment. Mais je ne suis plus la protagoniste de mon histoire.
Ce n’est pas leur problème, c’est le mien. Comment faire en sorte de me sentir importante dans ma propre vie ? Si quelqu’un doit dire “cette meuf compte” c’est personne d’autre que moi en réalité. Je passe ma vie à me dévaluer, c’est normal qu’on me dévalue ensuite.
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Quand je dis travail invisible, en fait, je parle de l’absence de quelque chose. On ne remarque pas l’absence. Quoique…si par exemple la Tour Eiffel décidait de se faire la malle, on le remarquerait, mais pinaille pas, toi.
Absence de poussière. Absence de vaisselle sale. Absence d’emballages de compotes, de traces dans les WC, de tartre, absence de désordre en général.
On travaille en creux. On remarque quand tu ne fais PAS les choses, mais si tu les fais c’est juste normal, c’est ton boulot.
En bossant en support technique, j’ai appris que ça s’appliquait aussi au travail. Quand tout fonctionne correctement, c’est que les équipes ont bien fait leur boulot.
Donc quand tout se passe bien ?
Quand tout se passe bien on pense qu’on est payé-es à rien foutre alors que si on a un “relâchement” niveau stress c’est pour pouvoir enfin gérer ces tickets en retard.
Quand tout marche bien, t’as bien de la chance de rien avoir à faire, quand ça merde c’est que tu n’as pas assez bien bossé, d’ailleurs, tu faisais quoi les 2 derniers jours ?
Les métiers de support ont un peu tous cette problématique.
“Pas de nouvelle, bonne nouvelle” c’est pas un motto rassurant pour l’extérieur. Pourtant, les anomalies, dysfonctionnements et améliorations à exprimer, c’est beaucoup de travail. Un travail qui fera en sorte que…les gens n’appellent plus parce que ça déconne, parce que ça déconne pas.
Et là, tu deviens (apparemment) inutile. Peu importe tout ce que tu fais : par moments on te voit te détendre un peu et troller les réunions et on se dit que vraiment, cette meuf ne sert à rien.
C’est l’histoire de ma vie et c’est très significatif d’avoir choisi ce type de carrière.
Je veux, je désire, j’aspire à l’invisibilité.
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Si tu me demandes 50€ à la fin du billet pour la séance de pseudopsy, ce serait légitime. Mais je les ai pas hahahaha 😅
La société m’a assez tôt appris à ne pas dépasser les limites de la normalité. Ne pas parler trop fort. Ne pas rire trop fort. Ne pas m’habiller n’importe comment, ne pas attirer l’attention. Rester humble, ne pas accepter les compliments. Quand ça roule, c’est normal. Quand ça roule pas, c’est de ta faute alors fais pas trop la maligne.
Bon, pour le coup, j’ai réussi à échapper à la plupart des injonctions à la normalité mais je ne sais toujours pas parler fort, par exemple. Les compliments, aussi, c’est très compliqué. Comme je pense ne pas avoir de valeur, je pense ne pas mériter de compliment ou de remerciement.
Pourtant, j’en ai besoin, comme tout le monde. J’ai besoin d’encouragements, qu’on me dise qu’on m’aime, que je bosse bien. Mais quand on me les donne, je suis incrédule. Donc je rejette ça en me disant “Ouais mon cul, iel dit ça pour te faire plaisir”. Je rejette précisément ce dont j’ai besoin.
C’est un mécanisme assez courant, en fait.
On a un besoin mais pas de possibilité de s’approprier ce qui peut répondre à ce besoin. Le mécanisme est pété quelque part durant le trajet de l’information. Je table sur encore la petite voix médisante qu’on a toustes et qui nous juge. Oui, toi aussi, la petite voix te juge, je le sais.
Ça fait partie des troubles de l’estime de soi, cette incapacité à se nourrir l’ego.
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D’ailleurs tu as remarqué comme souvent le mot “ego” est connoté ?
Parce que l’égoïsme, l’égotisme. Avoir un ego c’est être individuelle et se sentir unique. L’ensemble de ma personne est unique, cette combinaison précaire entre esprit/corps/maladies/caractère/préférences n’existe qu’à travers moi, c’est très peu probable qu’une jumelle 100% absolument identique existe ou alors ma maman m’a menti.
Il n’est pas question d’être auto-centrée en permanence. Il est question de se nourrir émotionnellement, psychiquement. On a toustes ce besoin que de se sentir rassurées, validées, reconnues.
On peut exprimer ce besoin de différentes manières. Moi, je me cache pour pleurer, je déprime dans mon coin et je mords si on m’approche.
CE N’EST PAS TRES EFFICACE 🙄
Dans ma tête, c’est pas câblé comme dans le manuel. Je nécessite cette validation mais je suis à la fois incapable de la demander et incapable de la recevoir.
Par exemple, je sabote mes projets. Je ne sais même plus combien de fois j’ai eu envie de fermer cette page parce que je n’étais pas parfaite dans ce que je disais, que j’avais honte de m’exprimer, que je n’avais pas assez de retours alors même que je fais zéro promo.
Il y a 5 ans j’aurai fermé la page. Là, je me dis merde, tu déconnes, va pas encore saboter un de tes projets. J’ai manifestement pas fermé la page. Edit : toujours là en 2023.
Puis je vais avoir un billet qui décolle (le dernier en date est celui sur la vaccination, je ne m’y attendais pas du tout mais le texte est encore en train de circuler dans les internettes on dirait), mais le lendemain mon billet fait moins de vues alors je me dis que je ne suis pas digne et que je fais de la merde. Alors que…pas tout le temps. Souvent, mais pas tout le temps.
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Je suis sûre, absolument sûre que ça te parle.
Avoir besoin de quelque chose sans pouvoir le demander ni en profiter lorsqu’on l’a enfin, c’est tristement classique.
Je rattache ça à ma basse estime de moi-même mais la dépression ou les pathologies mentales dans leur ensemble font bien le job et finalement tout est relié. Je ne sais pas nourrir mon ego mais mes complexes, ça va, je gère bien.
Si tu as un enfant, on t’a déjà dit “Ne lui dis pas trop qu’il est beau et intelligent et le meilleur, tu vas le pourrir”. C’est pas du tout une question, non, je sais que ça t’es arrivé. Faudrait pas trop dire aux gosses qu’ils sont chouettes, histoire qu’ils prennent pas trop la confiance.
Est-ce que c’est un relent de la “modestie” judéo-chrétienne ? Est-ce l’éducation dans notre hémisphère ? J’en sais foutre rien mais paye ton ambiance.
“Lui dis pas qu’elle est belle, sinon elle va le savoir”
Et…si elle le sait…c’est mal, c’est ça ? Elle va se servir de sa beauté pour envoûter tous les hommes mariés des environs et causer malheur et désespoir avant qu’on finisse par la brûler ? On est en quelle année, 1424 ?
Fun fact : quand tu as un garçon plutôt joli, personne ne te demande de ne pas le complimenter. J’ai un garçon plutôt joli, le monde passe son temps à lui dire (tandis que lui n’en a rien à battre). Et visiblement si il ne devient pas un séducteur aguerri plus tard c’est que j’aurai raté son éducation (moi je dirais réussi son éducation mais je suis une féministe hystérique, tu sais bien).
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Mais qu’est-ce qu’on fout avec nos gosses, au juste ?
On leur dit qu’ils sont beaux mais on leur dit aussi de pas prendre la confiance. On les félicite, on les encourage, mais on place les standards de plus en plus hauts. On les laisse finalement peu profiter de leurs apprentissages, on veut déjà passer à la suite. Alors que ton enfant est juste content de savoir lire “Dragon de Komodo” tout seul, tu te demandes déjà si il est pas en retard sur ses apprentissages et tu peux être tentée de le faire bosser pour rattraper un retard qui n’existe que dans mon imagination.
Je dis souvent que j’ai été élevée par ma Mamie, ce qui n’est pas faux mais pas exact non plus. Ma mère a fui un foyer toxique avec ses deux enfants de 1 et 4 ans sous le bras, elle a dû se former, trouver un boulot, puis elle a beaucoup travaillé, elle n’avait pas forcément énormément de temps. Elle m’a appris à résister, comme je disais hier, et ça c’est précieux. Elle m’a appris plein d’autres trucs mais la préparation de salade t’importe peu, je présume.
Heureusement que je n’ai pas été entièrement élevée par ma grand-mère. Je l’aime de tout mon petit cœur mais elle était DURE. Intransigeante. La perfection ou la mort. Elle me posait 10 opérations arithmétiques, je les faisais et si je m’étais plantée sur une, elle m’en donnait 5 autres à faire. Des après-midi de maths dans l’angoisse la plus totale. En primaire, j’avais 9,73/10 de moyenne, mais j’étais seconde car ex-aequo avec une camarade mieux classée alphabétiquement. Alors ça n’allait pas. Je lisais la déception : je n’étais pas première de la classe.
J’ai eu des lunettes car je n’arrivais pas à lire les chiffres au tableau et j’ai ramené un 6/10 en maths. La note, trop faible, les a fait se demander quel était le problème (en fait on m’avait bougée tout au fond de la classe).
Bonne élève, mignonne, plutôt calme, tout ce que je ne veux pas être.
Comment tu veux être à la hauteur de tes propres attentes avec ça ? D’ailleurs, est-ce que j’ai des attentes qui viennent de mon for intérieur ou est-ce que je laisse les autres me dicter ce dont j’ai besoin ?
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Moi, je voulais dessiner et écrire. J’adorais le dessin mais c’est “pas une carrière” et l’écriture est acceptable tant qu’on ne produit pas des billets politisés et féministes chaque matin.
C’est les deux choses qui me font vivre psychologiquement. Durant ma phase de 5 ans de blanc, j’étais vraiment très mal, j’étouffais de ne pouvoir rien sortir.
Mes projets ont été rendu dispensables car visiblement non nécessaire à ma vie qui devait s’orienter vers la production de services ou la gestion administrative. Et ça, c’est l’école qui me l’a appris. Un job qui claque, pas “écrivaine” ou “dessinatrice” tu vois ? Un truc qui rapporte de la thune. Alors j’ai soigneusement étouffé toutes mes intentions créatrices pour me conformer. Avec des phases de rébellion intense avant de repartir dans le conformisme. Tous ces allers retours m’ont pas mal endommagée.
Comment ne pas avoir de troubles de l’estime de soi lorsqu’on te rit au nez alors que tu parles de tes ambitions futures ? Quand tu n’es jamais suffisante ?
Ton ambition doit être de produire des biens et services pour la gloire de ta Brave Patrie. Le reste, la valeur ajoutée, on verra si il te reste du temps. Tu peux dessiner mais garde ça pour toi. Seuls les VRAIS y arrivent, pas toi. Toi c’est ton loisir, pas ton job.
Quand ta vocation est ridiculisée, qu’on ne te donne pas de quoi la nourrir, ça donne des meufs toutes pétées comme moi qui abattent quand même, mine de rien, pas mal de boulot non rémunéré.
Et puis on oublie pas les injonctions faites, essentiellement, aux femmes : sois belle mais ignore-le, sois intelligente mais n’éclipse personne, travaille mais n’oublie pas de faire des gosses. De toutes façons, toi aussi tu es jugée insuffisante par la société. Si tu m’as lue jusqu’ici, c’est qu’il y a un petit truc en toi qui n’a pas envie du monde tel qu’il est et ça, c’est péché mortel.
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J’ai pas vraiment de pistes pour réparer une estime de soi défaillante. Avec les années, certaines choses s’arrangent, d’autres non. En terme d’exemplarité, je suis la dernière à qui demander conseil.
J’ai compris que je pouvais avoir de la valeur. Que même si mon boulot est invisible, ça se grippe si je ne suis pas là.
Je ne sais pas précisément pourquoi je veux être invisible.
J’ai des pistes. Je pense que c’est une envie de disparaître aux yeux du monde. Comme quand j’avais envie que mon lit m’engloutisse avant les “visites” du soir de mon agresseur. J’ai été sexualisée très jeune, je ne voulais juste plus être dans mon corps.
Hier, j’ai reçu un colis. Je suis descendue en vrac alors que j’étais en plein rangement/ménage, le cheveu en bataille, les lunettes de traviole, bref. J’ai visiblement beaucoup troublé le livreur qui a bégayé et n’a pas retrouvé la porte pour ressortir. Tu sais ce que j’ai fait ? Je ME suis engueulée. J’ai eu honte de moi. J’ai eu envie de disparaître totalement de la surface de la Terre. J’aurais voulu être une entité robotique en acier brossé. Tout sauf un corps.
Faut vraiment être bien conditionnée, hein ?
J’ai juste honte de ce que je suis, à quel point c’est toxique de penser ça de soi ?
Et c’est pareil avec cette page. Genre mon billet sur les creepypastas Russes a flopé sa race et j’étais en PLS sous le bureau en train de chouiner “Les gens m’aiment plus au secours”. Alors que je sais pourquoi ça n’a pas marché et prévu la manière de corriger le tir, donc. Mais non, c’est moi, je ne suis pas digne blablabla.
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J’écris ce billet pour nous. Parce que je sais que toutes ces élucubrations plus haut ne te sont pas étrangères.
Je te souhaite d’être moins atteinte que moi, sincèrement. Je sais aussi que je ne suis pas au point le plus bas dans les troubles de l’estime de soi. Y’a encore de la marge avant les abysses.
Ce que j’essaye de faire, c’est de poser des questions. D’où ça nous vient ? Comment se retrouve-t-on à ne jamais être contentes de nous ? Comment faire pour se comprendre et s’apprécier un peu ?
L’arnaque c’est que j’ai pas de réponses, mais je me dis que peut-être, ma longue réflexion te permettra d’envisager les choses par un autre biais. Peut-être que quelque chose dans mon expérience va faire écho à la tienne. J’en sais rien. Ce que je sais c’est que ça va mieux en l’écrivant.
L’Enfant s’est levé. Il m’aime encore, il me l’a dit. Du coup, ça va mieux ❤️