Heure de réveil : 5h05 (grand luxe)

TW : évocation de violences, de pédocriminalité, sans description (comme d’habitude). Cishétéronormativité, toujours, et je suis désolée, je suis dans des thématiques habituellement binaires, mais les cas et situations s’appliquent également aux personnes tricardes du système (cad les non-hommes-cis-hétéro-blancs).

Je suis de nouveau malade et ça fait chier mais ça fait comme chaque jour depuis que j’ai un enfant scolarisé donc bon, on va dire qu’on s’habitue.

Mais comme je te dois un billet qui va là où je voulais initialement l’emmener, pas comme l’autre, here we go.

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Je vais reprendre l’exemple de Christine Collins, une femme dont le fils a été kidnappé à Los Angeles (meurtre revendiqué longtemps après par une personne dans le cadre de la sordide affaire du “poulailler de Wineville“).

Un apprenti escroc de moins de 10 ans se fait passer pour son fils et négocie un transaméricanat gratos pour revenir voir “maman”. Ça peut correspondre sur photo mais on est en 1928 donc sans certitude. Le gosse arrive, on le colle dans les bras de la femme et on dit “affaire résolue”. Les flics en ont plein le cul, ça fait au moins, pfiout, CINQ MOIS qu’ils font semblant de chercher, ça va bien, hein. Mais la mère dit “Nope, c’est pas lui”. Et là. Et là. Et là se passe un truc jamais lu : le directeur d’enquête lui dit “Bon bah vous le prenez à la maison et vous essayez de voir si ça peut le faire, maintenant laissez la police faire son travail.”

Elle a pas le choix, elle le ramène à la maison, et bien sûr, c’est toujours pas son fils 🤷‍♀️ Alors elle le ramène et là le Detective in Charge lui dit tu fais chier, Christine, tu veux pas faire d’effort, si tu continues comme ça on va te faire interner. Et il le fit. L’imposteur se rend compte que son plan maudit pour aller voir les stars en Californie tourne en eau de boudin et se dénonce. Il faudra encore 10 jours pour qu’elle sorte de l’hôpital psychiatrique.

👍 Moralité : si une femme te fait chier, dis qu’elle est folle, ça marche à tous les coups.

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C’est comme ça que mon ex violent, qui venait de me massacrer, a dit aux flics que j’avais appelés, barricadée dans la salle de bains “Elle est folle et elle a bu, elle est incontrôlable” de sa voix de mec tellement en maîtrise de lui qu’il ne vient pas de passer une colère sur sa meuf. Je suis sortie de la salle de bains, du maquillage plein les joues, échevelée, en pleurs, et les flics ont dit :

“Oh, je vois. Bon courage, monsieur”

Avant de partir.

Si tu te demandes pourquoi j’ai une confiance quasi nulle dans les forces de l’ordre (la municipale fait traverser les enfants plutôt correctement, ça fait 0,1% de “pas trop mal”), ça vient de cet épisode.

Lorsque j’ai témoigné devant caméra, à 17 ans, devant un uniforme pour dénoncer mon ex-beau-père pédocriminel, on m’a demandé si je me droguais et si j’avais eu des petits copains depuis. Le connard de psychanalyste (oui) qui m’a expertisée a été encore plus loin dans les questions pour s’assurer que j’avais une sexualité “normale”. Il n’a pas abordé ma souffrance psychique. Pour un psy, c’est con.
Mon agresseur a immédiatement été diagnostiqué “Pervers Narcissique” (on était en 1999/2000 c’était pas encore à la mode) et a gagné en première instance, car j’étais folle. Ostensiblement perturbée. Par qui ? On s’en branle, mais j’avais trop d’émotions dans pas assez d’émotions, ou l’inverse, alors on a douté de mon témoignage. Une Vraie Victime, ça se tient bien, ça a pas des looks pas possible et la liberté chevillée au corps. Une Vraie Victime, ça pleure là où je dissocie. Une Vraie Victime ne répond pas de manière précise à chaque question. Parce qu’une Vraie Victime ne pense pas du tout à cet interrogatoire et au stress que ça occasionnera durant toute la nuit qui précède la convocation.

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On retrouve cette idée d’une victime-type, une personne effondrée qui ne s’en sort pas, qui ne mange plus, ne vit plus que dans la peine. T’as  pas le droit d’avoir assimilé des trucs en 10 ans. Non, tu ne guéris pas, sinon tu n’es plus victime.

Et, à chaque fois, l’hystérie. Comme lors des accusations de viol, les #balancetonporc et tout le tralala, on va d’abord rationaliser ce qu’on veut croire comme étant un non-événement. Elle avait bu, elle avait consommé des produits stupéfiants, elle a perdu sa vigilance et voilà, tout sa faute. Si elle a connu UN épisode dépressif de 16 secondes dans sa vie, on dira qu’elle est dépressive. Le pied dans la porte de la psychiatrisation : “Alors, madame, des fois ça va pas trop bien ?”

Quand on ne sait plus contrôler le corps des femmes, on les imagine folle, car qui serait assez mal avisée pour ne pas se conformer aux règles et injustices patriarcales ?

Pourtant, mon agresseur a été diagnostiqué avec une pathologie certes controversée, mais je peux t’assurer que lui était réellement beyond the darkness, et vachement plus fou que moi lors des faits. Et, admettons que mon diag de bipolarité ait été posé à 17 ans et pas 37, le procès n’aurait pas eu lieu de la même manière. J’aurais perdu, sans aucun doute, même si la bipolarité se déclare en moyenne à 18 ans. Lors des faits, il était peu probable que j’aie été atteinte de ce type de pathologie, peu probable que j’aie été droguée ou alcoolisée (j’avais moins de 10 ans, j’ai commencé à me détruire à 12), mais ma pathologie, si elle avait été diagnostiquée à 17 ans, aurait sans doute brisé tout espoir de justice.

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ET PUIS MERDE

C’est NORMAL qu’une victime n’aille pas bien, sans déconner, c’est quoi vos boulots, déjà ? Psy ? Flic ? Juge ? C’est vous, les adultes rationnels, c’est pas difficile de comprendre qu’une agression puisse bouleverser une vie et qu’on soit marquées.

Moi, je ne montrais pas assez d’émotion. J’étais trop détachée. Tu m’étonnes, que j’étais détachée, Jean-Keuf, tu m’étonnes.

On est totalement dans le gaslighting institutionnalisé. Si tu chiales, t’es trop émotive, si tu chiales pas, t’es pas crédible. On me dirait que la folie serait un outil de contrôle social que j…ah mais oui, je retrouve ce passage dans “Penser la violence des femmes” sous la direction de Coline Cardi et Geneviève Pruvost. Ici, un article de Maxime Lelièvre et Thomas Léonard sur les femmes justiciables.

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On part d’un constat (vous avez gagné, je ne dirai plus constatation pour faire chier, ça fait trop de lettres) : il y a une très légère disparité entre les hommes justiciables et les femmes justiciables. J’ai déjà entendu cet argument du “Oui mais les flics vous font pas chier, vous êtes des privilégiées de la justice”. Bon alors déjà ta gueule, c’est pas un argument. Ensuite, faut ptet se demander pourquoi une telle surreprésentation masculine de la criminalité, et c’est pas le jour, donc tu vas page 397 de l’ouvrage susmentionné et tu lis. Merci.

Ce qui est intéressant dans cet article, c’est qu’on parle des biais liés à “l’histoire” du crime ou du délit. Il faut reconstituer les faits dans sa tête, pour pouvoir les analyser, et nos biais sexistes vont nous faire croire que les femmes sont victimes et non violentes. Du coup, quand tu as une meuf criminelle multi-récidiviste devant toi, tu as tendance à plaquer les à priori sexistes et à rationaliser sa violence. Elle a commis des actes graves, OUI MAIS elle a sans doute été victime. Note : une femme qui correspond au standard attendu de “La Fâme” sera moins sévèrement jugée et on en reparlera, oh oui, on en reparlera, tkt.

Et là, on continue sur ce biais : les femmes sont folles, irrationnelles. Celle-ci l’est sans doute également.

Donc, oui, la justice est relativement plus clémente, mais c’est à pondérer avec beaucoup d’autres facteurs : système judiciaire, non détection des crimes, préjugés sur les femmes et leur vulnérabilité. Ce n’est ABSOLUMENT PAS un privilège, c’est une neutralisation de la capacité de violence des femmes et une neutralisation de leur agentivité.

Pauvre petite chose fragile et irrationnelle…qui ne sait ni ce qu’elle dit, ni ce qu’elle fait.

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Lorsqu’une femme est jugée déviante sans avoir commis de crime ou de délit, on attribue son comportement à un psychisme en faillite.

Et la déviance, mein gott, ça recouvre vraiment beaucoup de choses. Mais tu le sais déjà.

🐦” De nombreuses femmes prennent ainsi le chemin de l’asile parce qu’elles ont refusé, consciemment ou non, le rôle traditionnel qui leur était dévolu : celui d’épouse et de mère. La psychiatrisation du XIXe siècle va également réprimer des comportements féminins jugés déviants ou dangereux.

Les femmes qui sortent des sentiers battus, qui se révèlent insoumises, en privé ou en public, qui se révoltent contre les forces de l’ordre ou qui cherchent à transcender leur statut en s’impliquant en politique risquent l’enfermement. Les femmes qui font carrière ou qui veulent étudier pour changer de statut social peuvent aussi rentrer dans la catégorie des « aliénées ». C’est par exemple le cas d’Hersilie Rouy, internée en France, parce qu’elle était considérée comme déviante. Il faut savoir qu’Hersilie était célibataire et solitaire. Mais surtout, pianiste de renom, elle subvenait seule à ses besoins, dans une société où l’homme est censé être le seul pourvoyeur.”
(“Femmes et folie d’hier à aujourd’hui : psychiatrie et contrôle social“)

Les femmes sont soumises et infantilisées. Et si elles ne le sont pas, on profite du moindre prétexte pour faire valoir la nécessité de soins psychiatriques. On peut donc t’institutionnaliser même si tu n’as pas commis de crime. Réparer la “déviante” et nous “rendre sages” à coup d’anti-dépresseurs et d’anxiolytiques (je ne juge pas, j’en prends).

The Rolling Stones – “Mother’s Little Helper”

“Les enfants sont différents aujourd’hui”, j’entends toutes les mères le dire.
Maman a besoin de quelque chose aujourd’hui pour se calmer.
Et bien qu’elle ne soit pas vraiment malade, il y a une petite pilule jaune.
Elle court se réfugier dans l’abri de la boîte à pharmacie de maman [“Mother’s Little Helper”].
Et ça l’aide à avancer, à traverser sa journée bien remplie.

Les choses sont différentes aujourd’hui”, j’entends toutes les mères le dire.
Cuisiner des plats frais pour son mari est une corvée.
Alors elle achète un gâteau instantané, et elle brûle un steak congelé.
Et court chercher l’abri de la boîte à pharmacie de maman.
Et deux d’entre eux l’aident à avancer, à traverser sa journée chargée.”

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J’ignore totalement la signification politique de cette chanson, interroge-t-on les conditions de vie des femmes des années 60 ou est-ce un constat que les daronnes se font “aider” ?
Si j’en crois ce que je peux lire, il s’agit juste de dénoncer ces femmes au foyer qui se droguent. Quand on s’appelle The Rolling Stones, j’avoue, c’est comique 🙄

🐦”Les Stones condamnent ainsi les nombreuses femmes d’Angleterre qui abusent des médicaments sur ordonnance, alors qu’ils deviennent eux-mêmes de gros consommateurs de drogue. Le groupe voulait faire comprendre que les femmes au foyer qui prennent des pilules ne sont pas si différentes des rock stars qui prennent de l’héroïne, même si les lois sur les drogues en Angleterre favorisaient fortement les femmes au foyer.”
(Songs Facts)

Donc personne ne se demande d’où vient l’épidémie de recours médicamenteux de la part des femmes au foyer. Great.

On a d’un côté la pression patriarcale, puis la pression sociale dans son ensemble, puis la pression quotidienne dans la performativité du daronnage. Et tu t’étonnes que maman ait besoin d’aide ? Je te jure, je chope Mick Jagger, je lui fais faire les sols, les poussières, les vitres, rempoter mes plantes, plier mon linge, on verra si il a pas besoin d’une petite “aide” au bout de 2 ans du Jour Sans Fin.

Et on est nombreuses à “devenir folles” rien qu’avec le quotidien. J’ai parfois des accès de panique et de désespoir absolus et, ouais, je vais dans la boîte à pharmacie de maman et je t’emmerde, t’as mal fait les sols 🖕

Les médias parlent d’épidémie, sans jamais dire le problème central : la pression. Les injonctions contradictoires, en permanence. Être belle mais pas trop, être féminine mais pas trop, être maternante sans étouffer son enfant, and so on.

Pourquoi médique-t-on les femmes ? Pourquoi les psychiatrise-t-on ? Pour les aider à supporter leur quotidien de merde et pour les éloigner du reste de la société lorsque les solutions chimiquement assommantes ne suffisent pas. Si tu ne veux pas performer comme on te le demande, tu es déviante et il faut faire quelque chose pour rétablir la fabuleuse harmonie du monde libre que tu brises avec tes crises de nerfs. Si ta déviance ne te pousse pas au meurtre, on te neutralise d’une autre manière.

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Mieux, on se sert de toute condition mentale pour te silencier. Les femmes (et, en fait, tout ce qui sort du groupe dominant) qui dénoncent des actes sont traitées d’affabulatrices. On envisage la névrose, le désir de vengeance, la volonté de nuire à un homme, jamais que cet homme ait pu commettre l’acte en question.

Quand l’affaire Adrien Quattenens est sortie, moi j’ai pensé “Mais quel connard, elle a bien fait de le dénoncer” tandis que beaucoup, beaucoup, BEAUCOUP TROP de militant-es LFI disaient “Merde, ça dessert notre Cause, quelle connasse d’avoir balancé”. Ah bah oui ça arrange pas leurs affaires. Et alors ? Qui est-ce qui réclame de l’exemplarité, déjà ? Qui dénonce sans ciller les autres et refuse de le faire pour les siens, parce que La Cause ?

Sans déconner, j’ai suivi l’affaire de loin car ce que j’ai vu des commentaires de certains (au masculin, surtout) militants LFI m’a donné des idées incendiaires. La victime aurait dû fermer sa gueule, parce qu’on ne lave pas son linge sale en public (ce qui protège de fait tous les hommes publics), elle aurait dû se taire pour La Cause et continuer à subir. Tout comme les victimes de Papi Méluche ont été condamnées à finir aux oubliettes.

Bravo, beau modèle, les enfants.

🥦🥦🥦

Si jamais je divorçais (c’est notre 10ème anniversaire de mariage aujourd’hui ❤️) et si mon futur-ex était retors, on ne me confierait peut-être pas la garde, même alternée, de mon fils. Mon mari aurait toute latitude pour parler de mes problèmes d’alcool, d’addictions, de mon handicap physique et surtout, de ma bipolarité. Il parlerait de mes crises et ferait valoir que je ne suis pas en capacité d’élever un enfant, chose que je fais pourtant depuis 7 ans. Et on l’écouterait. Avec mon passif en plus, mes traumas et tout le reste, laisse tomber, j’ai pas UNE chance de revoir mon gosse avant ses 18 ans.

J’ai la chance de ne pas être dans cette situation, mais…ben j’en ai connu par procuration, des ex qui font  ça. Qui piquent les ordonnances et les boîtes de médicaments vides pour prouver la folie maternelle. Et ça marche ! Devant lae Juge aux Affaires Familiales, un pervers narcissique 2.0 réussira à prouver qu’il est plus capable que sa tarée de femme de s’occuper du ou des enfant(s).

Ce sont des situations qui provoquent en moi une telle détresse, si tu savais…
Evidemment, quand tu sors d’une relation abusive, tu es rincée, pliée en 8, épuisée par les efforts qu’il t’a fallu pour enfin faire cesser la mascarade. La famille pensera sans doute que TU es le problème, car les connards agissent surtout à huis clos et il est si charmant. Toi, tu peux pas faire semblant de ne pas aller mal. Des années de relation toxique ont tué beaucoup de choses en toi, comment faire semblant d’être calme et posée ? Toi aussi, tu te présentes au flics bourrée et échevelée, couverte de marques mais “bon courage monsieur”.

🦝🦝🦝

Une agression n’est pas vécu de la même manière par l’agresseur-e et l’agressé-e. Je sais pas pourquoi j’ai besoin de le rappeler.

Moi, par exemple, je me fais faire des tatouages de Gumball. Et malgré l’affection que je porte à un des personnages, il ne figurera JAMAIS sur ma peau car il porte le prénom de mon tout premier agresseur. J’arrive à boire le café qui porte son prénom sans avoir la nausée depuis une petite année seulement (d’un autre côté, ce café est dégueulasse). Ce prénom provoque chez moi des remontées traumatiques dramatiques que j’arrive à canaliser, avec le temps. Mais parfois, si tu me mets en présence d’un objet ou si tu m’exposes à une image, je suis full PTSD et j’explose à l’intérieur. Je ne suis plus sa victime depuis presque 30 ans, et j’ai encore des remontées très violentes. Je suis folle…ou alors je suis traumatisée, au choix.

Dire que je suis folle renvoie le problème dans un endroit que moi seule peux gérer. Si je suis folle, c’est de MA responsabilité que d’aller mieux. Si on acceptait mon statut de victime traumatisée, la responsabilité serait collective et les questions chiantes : pourquoi on laisse un mec comme ça continuer à travailler avec des enfants ? Quid des (au moins deux, dans mon cas) autres victimes connues qui n’ont pas souhaité porter plainte à cause de la pression de leurs proches ? Pourquoi personne n’a compris ce qui se passait avec moi malgré les signes plus qu’évidents de mal-être ? Ce qui se passait, c’est pas que j’étais sage, c’était que j’étais sidérée en permanence, en ayant trop peur de parler.

Alors non, on va dire que je dramatise. Peut-être que j’ai menti. Puis, hey, regarde là avec ses cheveux violets tout neufs et ses tatouages de Gumball, elle bosse pas, elle écrit des trucs politisés, elle est bipolaire, elle est tarée, voilà.

Il est plus facile de me déclarer folle que de réfléchir à toutes ces questions qui font chier car elles dénoncent plusieurs problèmes extrêmement graves (la pédocriminalité, le viol c’est extrêmement grave, par exemple). La société va bien, mon cas n’est qu’une anomalie dans la matrice, tout comme les tueurs de masse blancs sont des “loups solitaires” qui n’illustrent absolument pas les tensions sociales mais sont, eux aussi, déclarés “fous”

Anders Behring Breivik n’était pas fou, c’était un nazi (Ole Berg-Rusten/NTB scanpix via AP)

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…la folie de ces tueurs leur épargne presque le jugement négatif. Il était dans un délire, ne savait pas ce qu’il faisait même si la tuerie a été planifiée depuis 8 ans. La folie les dédouane un peu, même si elle n’empêche pas la mise en prison (on en reparlera, de ça, aussi). On comprend qu’ils soient victimes de la société (sans répondre au problème pour autant) et qu’ils aient exprimé leur frustration sur des gens. Le tueur “fou” a une excuse là où la tueuse “folle” est perverse.

Dans les deux cas, on oblitère les problématiques sociales ou on les porte à décharge. Mais jamais on ne s’interroge sur ce qui a réellement provoqué le passage à l’acte. La folie est une niche infinie et le patriarcat, le capitalisme, le néolibéralisme, jamais remis en cause ouvertement. Habile.

Lorsque j’ai été voir la médecienne du travail pour expliquer ma longue maladie, j’ai explicitement indiqué que retourner sur mon lieu de travail provoquerait des trucs sans doute graves. Elle m’a classée dans les “inaptitudes d’origine non professionnelles”. Parce qu’accepter que j’aie pu être victime de harcèlement et de discrimination c’est lancer toute une procédure chiante et ennuyeuse pour tout le monde. Donc on m’a fait sortir par la petite porte en ignorant mes deux recommandés mettant en lumière ces signes évidents et factuels de discrimination, merci, au revoir. Le directeur du site où je travaillais a en main mes courriers mais a aussi eu, précédemment, en main toute une enquête interne sur le harceleur. Il sait que ça va aller aux Prud’hommes, mais il enfouit ça sous le tapis, en se disant, à raison, que personne ne va croire une tarée handicapée comme moi.

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La prochaine fois que tu croiseras un “fou” ou une “folle”, j’espère que tu te demanderas d’où vient ton jugement. Lulu, qui me tape des clopes devant le supermarché, est ostensiblement déviant car semi-SDF, sans dents, bourré H24. Il est fou, peut-être, j’en sais rien, mais dis moi qui l’a expulsé de son logement, qui ne cherche pas de solution avec lui, qui le laisse juste crever entre son marchand de sommeil et la rue. Il disparaît, parfois, quelques semaines, et un autre le remplace. Et il revient, sans souvenir de moi car il est trop endommagé pour rattraper le fil de nos échanges.

A mon sens, la véritable folie c’est de continuer à ne rien voir et ne rien faire. J’ai connu beaucoup de personnes perçues comme déviantes, on peut dire que 99% de mes relations amicales sont des relations de déviante à déviant-e. Je n’ai pas la peur de la pathologie et je suis conçue pour recueillir les confidences (C’est comme ça que j’ai noué une relation bizarre mais respectueuse avec un mec qui sortait d’internement car il avait stalké une femme pendant des années, il en parlait encore avec passion. Nos échanges m’ont appris beaucoup de choses.). Je connais les trajectoires de vie, les accidents, la détresse, la solitude. Certains récits sont à chialer de rage. Tout est fait pour ostraciser et écarter de la société les personnes non conformes. On les exclut du monde du travail, iels ont peur du monde du soin à cause des violences médicales, peu de personnes sont réellement aidantes et ces personnes n’ont de toutes façons pas les moyens d’aider sérieusement.

J’ai pas de conclusion, je suis assez amère, oui. J’ai juste envie qu’on cesse d’étouffer chaque signe de déviance sociétale sous une déviance individuelle fantasmée.

Ce n’est pas la folie qui fait naître un voleur, c’est la pauvreté. Ce n’est pas la folie qui fait naître un violeur, c’est le patriarcat. Ad lib.