Heure de réveil : 5h04

Le truc, quand tu souffres de douleurs chroniques, c’est que tu dois faire en permanence des choix entre pire et pire mais un peu moins SAUF QUE.

Par exemple, la cortisone, ça calme super bien la douleur, mais après je ne dors pas et je fais de la rétention d’eau. Ici, les AINS fonctionnent bien si je les prends le soir pour dormir. Le seul souci c’est que comme je ne me réveille plus, je suis beaucoup plus statique car habituellement la douleur me réveille, et je me lève donc avec une ankylose plutôt violente.

Là, je revois les visages, innombrables, qui m’ont dit “Mais…y’a rien à faire ?”. Non. Juste attendre que ça passe et gérer.

Je vais un peu parler de ça pour esquiver ce bon Donny T., empereur de tous les connards de la Terre.

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C’est très difficile à comprendre pour les personnes pour lesquelles la maladie a un début et une fin. Les malades chroniques n’ont, par définition, pas de fin en vue. J’ai espéré, avec le premier anti-TNF, et ça marchait pas mal au début sur les douleurs. Sauf que je dormais debout. Mais ne pas avoir mal en permanence, quel luxe ! SAUF QUE le fait d’avoir un système immunitaire compromis, perdre ses cheveux, avoir des ongles en carton, prendre du poids, ça fait reconsidérer le truc. Le pire était quand même l’immense fatigue, similaire à celle que je ressentais durant le premier trimestre de ma grossesse. Tu me poses, je dors.

Un lundi matin, lendemain d’injection, j’ai juste mis le petit couvercle sur mon café et écrasé le tout sur mon comptoir. Normal. La fatigue rend cognitivement diminué-e. Par fatigue, je peux, par exemple hier, sortir deux gobelets en plastique et deux pailles pour préparer le petit déjeuner des chats. Sauf que les chats ne boivent pas de yaourt aromatisé le matin, non, ça c’est l’enfant, et il lui faut un seul verre, merci. J’ai une routine très précise, acquise lorsque l’Enfant prenait encore le biberon.

Cuisine. Allumer la cafetière. Sortir les petites assiettes des chats et pivoter pour choper la pâtée, profiter de la position pour sortir un biberon, 1/4 de tour pour le lait, je pose mon mug sous le bec de la cafetière, je sors une fourchette et les vitamines de l’Enfant, j’ouvre la boîte de pâtée, je sers les petits moches, un en hauteur, l’autre au sol (sinon ils essayent de piquer la bouffe de l’autre), je sors mon mug de café, je verse de l’eau pour préparer le biberon, je dose le lait, je vais au salon pour nourrir ma progéniture et boire mon café.

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Quand tu fais 3 choses en même temps, quand c’est une habitude, ça va. Sauf le jour où t’as particulièrement la gueule dans le cul et que la pâtée finit dans des gobelets en plastique et le café dans le biberon ou le lait en poudre dans le café (c’est crade, faut pas faire ça). Quelque chose que tu réalises chaque jour depuis des mois (l’Enfant a juste changé de routine matinale mais je fais encore son petit dej) avec brio (yay !) peut devenir une impasse de 10 mn si tu es pas en état.

Ça m’arrive de rester hébétée, un truc à la main, en ayant tout oublié. Les mouvements se désynchronisent, c’est un peu comme taper au clavier en regardant le clavier. Le raccourci clavier que tu fais habituellement sans aucun souci te laisse totalement clueless. Mais quand tu ne regardes plus le clavier, tu le refais sans problème.

Lorsque je suis sortie de ma grippe épique en décembre dernier, j’ai fait un (léger) syndrome de renutrition inapproprié. Je n’avais quasiment pas mangé depuis 10 jours, j’ai fait un déjeuner normal, et là, un malaise comme rarement, tremblements, spasmes musculaires, vision troublée. Je connaissais le syndrome donc je n’ai pas paniqué. Enfin si, j’ai un peu paniqué parce que c’était assez sévère. J’ai pris du soluté de réhydratation, j’ai attendu que ça passe en me nourrissant petit à petit.

Mais le truc, c’est que ça a temporairement foiré ma relation oeil-main. Par exemple, je vais boire un café au café, très bien, mais si je regarde ma main prendre la tasse, ma main relâche la tasse. Il faut donc boire son café mais en regardant ailleurs (et avec les spasmes musculaires c’est chaud de toutes façons). J’ai mis 20 mn à boire ce foutu café. C’était pareil pour marcher ou descendre un escalier.

C’est passé avec le temps. Mais c’est terminé.

Les personnes avec des troubles neurologiques chroniques ne récupèrent pas toujours, voire pas si souvent, leurs capacités cognitives. Il y a la rééducation, mais ça ne peut pas subitement guérir à tout jamais une maladie de Parkinson.

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Les personnes non malades chroniques peuvent entrevoir ça lors de leurs propres périodes de maladie. “Imagine, t’as une entorse du genou, mais à vie ?”

Non-imaginable. Trop cruel, en plus. T’es là, t’as un genou d’équerre, tu te casses la gueule, et JAMAIS ça guérit. Hélas, les blessures du corps, surtout celles liées aux tendons/ligaments ne guérissent jamais à 100%. Tout comme pour les fractures où ton os garde une marque de cicatrisation, sauf que les os se réparent plutôt bien, comparé aux articulations.

J’ai comme ça une tendinite de mayonnaise. Une tendinite provoquée par moi faisant de la mayonnaise. Le truc improbable. J’ai plus jamais refait de mayonnaise, déjà, et dès que je n’utilise pas un batteur à œufs, ça se réveille. Le Très-Haut bénisse les batteurs à œufs qui me permettent de passer outre. La technologie au secours des pancakes. Magnifique.

Lorsqu’on est atteint d’une maladie chronique, on aménage.

Je met mes chaussures toujours assise. Mes chaussures sont des Osiris en 38/38,5, non seulement elles sont super cool, mais en plus les semelles orthopédiques tiennent bien dedans.  Mais que les montantes, les basses provoquent d’autres douleurs. J’ai collé des poignées à mon buffet, au dessus des vraies poignées, mais plus haut pour que je n’aie pas à me pencher. J’ai des techniques pour m’habiller et mettre mes chaussettes. J’ai des techniques pour tout et la canne pliante dans le sac. Récemment, j’ai commencé à observer toutes ces mini-stratégies mises en place plus ou moins consciemment, c’est assez intéressant et déprimant. Je sais instinctivement quand je dois me lever et marcher un peu pour ne pas laisser l’ankylose arriver. Je fais mon ménage entrecoupé de petites pauses car je ne peux pas avoir d’activité trop intense et le ménage, merde, des fois c’est trop intense pour moi. Je sais quand je dois abréger ma sieste car la douleur de la staticité pointe le bout de son nez.

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On s’adapte, comme ça. Mon champ des possibles diminue petit à petit, mon psychisme fait avec (ou pas) et le corps aura le dernier mot.

Se sentir de plus en plus limitée, contrainte, est une épreuve sérieuse pour le moral. Surtout en sachant que la maladie progressera encore. J’évite de regarder en arrière, quand je pouvais aller en soirée sur un coup de tête, quand je marchais des milliards de kilomètres pour aller à un rendez-vous, quand une nuit dehors ne me portait pas préjudice, ou quand je réussissais à m’endormir dans des lieux improbables. Tu me diras, meuf, moi aussi j’ai perdu en mobilité depuis mes 20 ans, c’est ça, vieillir.

C’est ça, vieillir, en effet. Excepté que ta lombalgie matinale ne dure pas 3h (je n’ai toujours pas désankylosé, je suis debout depuis 90 mn)(edit : 3h après, c’est passé, youhou), que tes bêtes accidents de la vie ne laissent pas de marque trop durable sur toi, et, surtout, que tu ne subis pas la même douleur chaque jour depuis trop longtemps. J’ai déclaré les symptômes à l’âge de 15 ans, ça fait donc 25 ans, plus de la moitié de ma vie, que je perds petit à petit en mobilité et que j’ai des poussées inflammatoires de plus en plus violentes.

J’essaye d’expliquer ça aux personnes valides, je sais que je le fais sans doute mal, car personne ne peut se rendre compte, tout comme je ne peux pas me rendre compte d’une vie avec une hyperacousie, par exemple.

Je ne me plains pas, je documente. Parce que j’ai eu ça, aussi. “Un peu de kiné ça ira” “Reprends le sport ça fait du bien” “Non mais t’as pas tout le temps mal, quand même ?” et le fameux “Tu as testé le yoga ?”. Changer de médecin, aussi, j’adore. “Change de médecin”. Fastoche. J’ai fait ça récemment, j’attends avec impatience mon rdv du 24 février 2024 au CHU Henri Mondor.

“Oui mais il faut faire quelque chose !”
Ok, et quand le médecin ne te sauve pas ? Et s’il ne sait pas te sauver, juste atténuer les symptômes ? Et si la médecine elle-même n’était pas omnipotente ? Tu sais combien de personnes en situation de handicap n’ont tout simplement aucun accès à des soins ? Moi non plus, mais c’est déjà beaucoup trop.

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C’est quand tu es malade que tu réalises que la Sécurité Sociale, c’est quand même pas trop mal. C’est quand tu perds ton emploi que tu réalises que les allocations chômage c’est plutôt utile. Et puis tu vas mieux, tu retrouves un job, et tu oublies. Nous, on oublie jamais, on ne peut pas, cette saloperie nous suit toute la vie et grapille en scred tous les trucs cools qu’on pouvait faire avant.

L’autre super-pouvoir que les malades chroniques ont (le seul, en vrai, le reste c’est du flan), c’est celui de SAVOIR sans demander. Lorsqu’on rencontre une personne elle aussi malade, on ne pose pas les questions usuelles, on SAIT. On sait que, quelle que soit l’affection, c’est la merde et ça te place dans une configuration psychologique bien particulière. On ne se dit pas, par exemple “Mais tu as essayé de consulter ?”, on ne demande pas les détails croustillants de la pathologie pour se rendre plus vivant-e (On m’a fait ça, le “tu as mal où, comment ?” juste pour faire semblant de s’appitoyer). Je connais maintenant beaucoup de personnes en situation de handicap et c’est agréable de se sentir écouté-e, non jugé-e, c’est chouette de savoir qu’on peut se conseiller les un-es les autres sans tomber dans les travers des personnes valides. Je sais que si une pote me raconte qu’un truc a fonctionné, elle ne me le dit pas pour son ego, elle veut réellement aider en étant elle aussi directement concernée.

Je sais aussi que le rôle d’aidant-e est difficile, tkt. C’est difficile de réaliser que même avec la meilleure volonté du monde, on ne pourrai jamais guérir l’autre. En plus, si l’autre est comme moi et en a plein le cul d’aller chez des médecins, ça level up la pénibilité. Oui, j’en ai plein le cul. Si je devais aller aux urgences à chaque gros couac, j’y serais encore et j’y aurai même amené ma petite tente et mon réchaud à gaz (pour le café). Donc quand ça merde, je serre les dents, je chouine pour faire bonne mesure, et j’attends que ça passe. Les valides croient qu’on apporte du soulagement lorsqu’on va aux urgences, d’ailleurs, c’est presque attendrissant, cette confiance en la surpuissance médicale fantasmée.

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Ce que j’ai envie de dire avant de finir ce billet, comme un genre de conclusion, tout ça, c’est que les groupes d’entraide entre malades sont fondamentaux.

Le Dr Méchant m’a dit “Mais vous avez été chercher sur Google, c’est ça ?”, j’ai répondu “ça fait 20 ans que je suis malade, un peu que j’ai envie de me renseigner !” et ça l’a vexé. Non, mec, tu ne portes pas tout le savoir du monde à toi tout seul. T’as fait des décennies de fac de médecine, tu pratiques, mais tu n’es pas malade toi-même, alors tu ne sais que l’aspect physiologique des choses. Tu ne connais pas les petites astuces, les aménagements, les impossibilités invisibles. Tu ne sais pas que si tu me poses dans un canapé trop mou avec une névralgie cervico-brachiale, je ne peux plus jamais en sortir et je suis désormais coincée dans le Monde du Canapé pour toute la vie. Tu ne connais pas les astuces pour se pencher sans se faire trop mal et sans plier les genoux parce que mes genoux ne peuvent pas se plier sans douleur. Tu vois mes analyses sanguines, mon imagerie médicale, et c’est sensé te suffire pour me soigner. Et en plus, tu me parles mal, avec ce ton suspicieux, des fois que je sois une simulatrice de génie, et tu t’attends à que je traite en sauveur ? Sans déconner ?

Si j’avais pas eu les potes, je vivrais moins bien. La médecine m’apporte certains médicaments, WhatsApp m’en apporte d’autres, mais c’est incomparable avec le soutiens de mes pairs. Savoir ce qui se passe lorsqu’on souffre, c’est pas mal.

Alors, merci, ce billet de l’empathie un peu décousu est pour vous, les potes, les personnes aidantes, les personnes qui ne sont pas inquisitrices ou atteintes de curiosité morbide, les personnes qui ont compris que, parfois, toutes les questions ne sont pas bonnes à poser. Et un merci spécial aux ami-es souffrant de spondylarthrite et/ou de bipolarité euxlles aussi. Vos conseils et votre bienveillance sont précieux, j’ai plus appris dans les groupes de soutien que sur Google, n’en déplaise à ce médecin qui me prive de traitement de fond pour 2 ans juste parce que je connais mon corps.