Heure de réveil : 5h55 (baston de chats)

CW : réflexions sur la mort, crise existentielle.

Tout à l’heure, on grave Greta (la souris pénible d’Animal Crossing New Horizons) sur mon bras. Greta c’est une représentation de ce lieu où j’écris dans le vide et où parfois l’écho me répond. Je suis toujours suspendue dans l’attente de mauvaises nouvelles, mon corps réclame mais je ne sais pas ce qu’il réclame.

Il y a quelques jours, genre avant-hier, j’ai vu une vidéo sur le barrage de Fréjus qui a cassé en 1959. L’auteur “note” l’événement sur divers critères, donc le “legacy” (héritage ou patrimoine). J’ai réalisé en cherchant à qui demander qui a connu cette catastrophe que le membre le plus vieux de mes ascendants directs était sur le fil et que ma mère serait bientôt mon ascendante la plus âgée.
Et ça m’a foutu un coup, mein gott, j’ai eu un vide intersidéral de plusieurs minutes à compter mes mort-es.

Vieillir, c’est voir les gens mourir autour de soi.

Les vieux, les adultes, les ados, les enfants. Par toutes sortes de tourments, on les prend.

Ah oui, pardon, la vidéo :

(https://www.youtube.com/watch?v=T59-NVMqz-g)

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Je te rassure, je ne vais pas énumérer mes mort-es. Le plus jeune avait 5 ans, la plus âgée 96.

Me rappeler que la vie est une compétition contre la mort n’a pas aidé mon moral, mais d’un autre côté, enfin, c’est la vie, non ? De mourir. Parfois, ça touche des gens qui n’ont pas du tout l’âge de mourir et le départ est d’autant plus douloureux. On pense à l’injustice de ces morts jeunes sans se douter que la crise de la quarantaine va nous claquer dans le bec ce listing épouvantable au détour d’une vidéo sur un barrage mal conçu et mal fabriqué.

Après, je pense au coût et à la rentabilité des infrastructures, je me dis qu’on est vraiment des imbéciles de penser toujours aux coûts et jamais aux bénéfices (humains, financiers) de celles-ci. Ma vibe anticapitaliste repart de plus belle et je rage sur un nouveau sujet. J’y peux rien, la colère me maintient en vie.

Ma propre espérance de vie est de toutes façons réduite par le traitement. Je sais que ce qui me sauve aujourd’hui me tuera demain.

Je repense donc au barrage de Fréjus qui a emporté 423 vies en s’écroulant. Il suffit de la décision non-éclairée de trois connards pour prendre 423 vies. Comment ces gens peuvent-ils se regarder dans un miroir en se disant “j’ai fait mon travail” ? Mystère du profit financier. Il y a beaucoup d’exemples de décisions de ce type, entre les mauvaises constructions et les gains fait consciemment sur la vie des autres (je pense à l’esclavage, oui).

Je n’ai jamais compris cette capacité à ignorer la souffrance de ceuxlles qu’on exploite. Pourtant, je pense à mes propres mort-es dans mon vortex existentialiste. Je ne pense pas aux mort-es des autres, je pense à moi et à l’impact que cela a eu sur moi.

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Il m’a fallu du temps pour ne toujours pas comprendre le flux de personnes entre les deux portes.

Worldometer m’a tenu un bon moment.

Le screen a été pris le 26 janvier à 6h58

On est en janvier, 4,6 millions de décès cette année. Le monde gagne 53 277 âmes et nous sommes 8 milliards sur Terre, errant en se demandant ce que faire de nos vie tandis que des milliardaires se la donnent en disco club tout en discutant des prochaines coupes budgétaires qu’ils feront subir à leurs employé-es avec l’approbation de leurs actionnaires.

Bientôt, ce billet rejoindra les 2,7 millions d’autres articles publiés sur des blogs et je me demande à quel moment le barrage va céder.

Aujourd’hui, 9036 personnes sont mortes de faim. 21 418 parturientes sont décédé-es depuis le début de l’année. 74 309 suicides. 93 542 décès sur les routes. On est à 26 jours de 2023 et je ne comprends déjà plus ces chiffres. Ma ville compte presque 34 000 habitant-es et j’ai déjà du mal à les visualiser. Parfois, je regarde les lumières aux fenêtre et je pense à ces vies cloisonnées.

Pensent-iels à ces morts ? Pensent-iels à leurs mort-es ?

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Sans doute que non, la perspective est trop effrayante. Alors on fuit et on consomme pour oublier. On s’achète un nouveau buffet, comme moi, pour se faire croire qu’on vaut encore quelque chose en dessin et qu’un meuble est nécessaire pour entreposer tous ces cartons à chaussures débordants de matériel. Mon bureau sera plus propre, mais est-ce que ça fera de moi une personne moins nulle ? Je ne sais pas, je te dirai quand je l’aurai installé.

Je consomme des tatouages pour me réapproprier mon corps et me sentir en vie. Et ça fonctionne. Je me sens en vie quand ma peau vibre sous l’assaut de tout un tas d’aiguilles motorisées qui m’injectent de la couleur.

Souvent, je me demande à quoi bon, et je pense à ce type qui a fait taxidermiser sa peau après sa mort. Cela dit, l’idée de garder des peaux ne date pas d’hier. Et c’est l’objet d’un marché, évidemment, pourquoi se poser la question ?

N’empêche, je comprends qu’on veuille laisser sa trace sur le monde, au moins jusqu’à l’effondrement. Je suis très joyeuse, ce matin, oui, pourquoi ?

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En attendant, les gens partent, et nous on est là, bras ballant à se demander quel est notre numéro de ticket. Si on connaissait ce chiffre, je crois que ce serait pire encore. On passerait notre temps les yeux rivés sur Worldometer à surveiller le temps qu’il nous reste et ça nous foutrait un coup. Comment prévoir un accident ? J’en sais rien, c’est sans doute une expérience quantique.

J’aurais bien fait une fin à la “faut profiter de la vie” mais non. A quoi bon ? Tu fais bien ce que tu veux de ton échéance, cette injonction à s’enjailler sur les mort-es me laisse indifférente. Leur mort nous fait nous sentir en vie, car nous sentons encore quelque chose.

Puis tu imagines, penser à chaque personne décédée dans des conditions inhumaines ? On a presque atteint 57 000 décès aujourd’hui. Et produit presque 6 millions de voitures. Ça n’a aucun sens, aucun. 527 058 enfants de moins de 5 ans sont morts depuis le début de l’année. On ne peut pas appréhender ce genre de chiffres. Je sais à peine combien de personnes vivent sous le toit de mon immeuble ! Tu le sais, toi, comment tes voisins vivent ? Moi non, je les connais à peine. Donc je ne peux pas envisager le reste du monde sérieusement.

Le plus grand stade vide du monde est situé en Corée du Nord (parce que les stades gigantesques, c’est important quand ta population crève de faim) et peut contenir 150 000 personnes. Le Stade de France, à Saint Denis, peut contenir environ 80 000 personnes. La plus grande salle que j’ai connue c’était le Zénith de Paris (6 804 places). Et c’était déjà claustrophobisant.

Et si cet aveuglement était nécessaire pour ne pas se retrouver à juste attendre la fin ? Notre cerveau tente peut-être de préserver ce qu’il reste de notre santé mentale en floutant les frontières. Ce serait un bon move. Tout comme mon cerveau annule les râleries de mon fils qui, chaque jour d’école, geint en s’assurant bien de démarrer la journée du mauvais pied. Je pense qu’accumulées, ces râleries provoqueraient chez moi beaucoup trop de rage. Je ne dis pas du tout ça parce qu’il est présentement en train de nous taper une crise.

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Bon, de toutes façons, tout le monde passera l’arme à gauche à un moment ou à un autre. Alors à quoi bon ? Je ne sais pas à quoi bon. Continuer à vivre comme on peut ? Fêter toute la vie notre vie ? J’aimerais que ce soit aussi facile.

Je n’ai pas vraiment peur de ma propre échéance, car elle peut intervenir là, maintenant, ou dans 50 ans malgré tous les pronostics. Cette incertitude me réconforte, quelque part. Je n’aimerais pas connaître la date de ma mort ou voir dans le futur. C’est bien foutu, quand même. Ça m’évite de considérer celle des autres, animaux de compagnie inclus. La variable reste inconnue et je vais aller me refaire du café pour oublier.