- Le Capitalisme Patriarcal – #1 Introduction
- Le Capitalisme Patriarcal – #2 Le Capital et le genre
- Le Capitalisme Patriarcal – #3 Omnia sunt communia
- Le Capitalisme Patriarcal – #4 Le capital et la gauche
- Le Capitalisme Patriarcal – #5 L’invention de la ménagère
- Le Capitalisme Patriarcal – #6 Origines et développement du travail sexuel aux États-Unis et en Grande-Bretagne]
Heures de réveil : trop. Nan, sérieux. Trop.
Du coup, j’ai repris mon Frederici et on continue sur “Le capital et la gauche”, une tribune coécrite avec Nicole Cox
Le texte est paru en 1975 et ce serait bien qu’on se souvienne de ça : il s’est passé pas mal de choses en 47 ans et ça serait intéressant de voir en quoi la gauche a tellement progressé dans son rapport au féminisme (edit : cette phrase me fait rire à la relecture)
Pour rappel, les citations du livre débutent par 🐦 et celles de sources externes par 🐧
‘🐝🐝🐝’
En 1975, donc, Frederici et Cox pensaient que la gauche se croyait plus en capacité de décider pour les femmes que les femmes elles-mêmes. Tout en restant abolitionnistes, note bien.
On parle des femmes qui quittent la gauche en masse dans les années 60 et comme je n’y étais pas, j’ai trouvé un article de l’Obs sur le contexte des années 60.
🐧 “Mais c’était aussi des années de croissance record, l’apogée de ces Trente Glorieuses dont on ne pouvait imaginer qu’elles couraient à leur fin. La société de consommation prenait ses aises et, dans le même mouvement, suscitait sa propre contestation. Avant d’être percutée de plein fouet par le choc pétrolier de 1973.
Le monde était dangereux. Plus dangereux peut-être qu’il ne l’a jamais été. La crise de Cuba, en 1962, amena la planète au bord de l’apocalypse nucléaire. Les années 60, ce sont les années de guerre froide et la construction du mur de Berlin. C’est la guerre d’Algérie qui s’achève et l’escalade vietnamienne qui commence. C’est la victoire éclair d’Israël dans la guerre de Six- Jours et bientôt les débuts du terrorisme palestinien. Ce sont les assassinats, à cinq ans d’intervalle, de John Kennedy et de Martin Luther King.”
(L’Obs, Les années 60 : dix ans qui ont changé le monde)
Chez l’INA, on propose un texte assez complet sur la période. Et c’est cool. Enfin non, c’était pas cool, comme période, m’enfin maintenant on est pas non plus énormément dans la coolitude.
Je garde donc en tête le consumérisme et la surconsommation, l’illusion de ressources terrestres infinies, la montée des luttes contre les inégalités et une certaine espérance (RIP petit ange parti trop tôt). J’ai pas lu que ça mais la fiche Wikipédia fait 3 dicos en ce qui concerne l’histoire de l’extrême-gauche en France. Note : la blanchisation des figures noires des droits civiques aux US comme Rosa Parks et Martin Luther King et la récupération de leur combat. J’ai passé une partie de la journée à mater des docus mais je ne vais pas TOUT te raconter ici. Les années 60 et 70, c’était plutôt funky. Pun intended.
Niveau “laisse, je vais faire”, on reste ici en terrain connu, on va dire, notamment avec l’obsession de la “laïcité” et l’absence de prise en compte du travail ménager. Sans parler des députés qui giflent leurs femmes même que c’était sa faute, ou ceux qui trébuchent sur des femmes au détour d’une chambre d’hôtel, provoquant des saillies telles que le fameux “troussage de domestique”. Sans déconner, le prochain mec politisé qui me parle d’exemplarité des féministes, je lui fais manger environ 36 petits fours surgelés. Faudra bien mâcher.
‘🦑🦑🦑’
La gauche est restée misogyne, oui. En difficulté, elle tente de glisser sous le tapis les éléments gênants, mais y’en a un sacré paquet, vu que ce sont des dominants.
Bref.
J’ai toujours l’image du mec de gauche qui me sort un “tais-toi, fillette, tu ne sais pas ce qui est bon pour toi”, on va dire qu’en 47 ans, pfiout, va me falloir un congélateur séparé pour nourrir tout ce beau monde.
“🐦 Comme le dit l’un de ces “féministes” autoproclamés : “les femmes aussi ont besoin du mouvement ouvrier […] et aucun mouvement composé exclusivement de femmes ne pourra le remplacer”
(p.112 – Eli Zaretsky dans “Socialist Politics and the Family” – 1974)
Alors ok, sauf que les ouvriers ont aussi besoin des femmes, donc heu on fait comment ? Puis remplacer le mouvement ouvrier ? D’où ? On en est même pas encore à la question de classe, là, en 2022, chez beaucoup, nous on veut qu’on arrête de nous tuer, de nous imposer des trajectoires de vie et des grossesses indésirées et surtout de parler à notre place et c’est franchement pas gagné. Je me suis tapé audiovisuellement du beauf de l’INA sur les féministes et je te jure que les commentaires de chaque article sur chaque média parlant des femmes vaut son pesant de “les mentalités ont évolué OU PAS”. Oui, maintenant ils le disent un peu moins dans les médias mais la misogynie gauchiste est bien vivante, tous courants confondus. Faut leur laisser la place de diriger le mouvement au lieu de parler casseroles, ça a tellement bien marché jusqu’ici…
Back to 1975. “La complainte du phoque en Alaska” de Beau Dommage, Gloria Gaynor, ABBA, Dick Rivers, “You’re Sixteen” de Ringo Starr (qui avait 34 ans à l’époque dis donc) ou encore “Petite fille du soleil” de Christophe (30 ans). Je vais calmer cette nausée persistante à la lecture du top 50 de 1975, je reviens.
‘🦝🦝🦝’
Durant cette période, Frederici participe au mouvement “Wages for Housework“, “Un salaire pour le travail ménager”. Je pense que tout est dans le titre et dans les articles précédents. Cette réclamation de la reconnaissance de la valeur du travail ménager provoque encore les mêmes réactions : retournez me faire un sandwich si vous connaissez si bien la cuisine, arrêtez avec vos luttes en macramé, nous on parle sérieusement, ici, vous n’avez pas votre place dans la lutte des classes, vous ne travaillez pas vraiment. Force est de constater que ça a pas des masses changé.
Frederici pose l’hypothèse que des femmes indépendantes financièrement, ça n’arrange pas trop trop les hommes. Et puis, tout ce bel argent, on le vole à qui, hein ? Aux hommes, voilà.
Et là, c’est le drame.
🐦”La gauche s’identifie totalement au point de vue capitaliste. La gauche, sous toutes ses variétés, ne souhaite pas détruire le capital, le surtravail que nous sommes forcés de faire, mais elle souhaite le rendre plus efficace. Sa révolution est une réorganisation de la production capitaliste qui va rationnaliser notre asservissement au lieu de l’abolir. Pour cette raison, quand la classe travailleuse refuse le travail, la gauche s’inquiète aussitôt de “qui va nettoyer les rues””.
(p.114)
Han merde, Silvia, tu vas avoir des problèmes 😅
‘🍒🍒🍒’
Mais…la Lutte des Classes est la Lutte des Travailleurses. Si Marx parle autant de l’usine, c’est que cette rationalisation lui parle. Il faut savoir gérer la production et la reproduction au millimètre parce qu’on doit PRODUIRE pour vivre, tu vois ? Donc les personnes qui travaillent pour de vrai sont utiles et potentiellement révolutionnaires. Ils peuvent accepter des associations de femmes qui vont militer en vendant des gâteaux, mais c’est pas aussi sérieux que la Véritable Lutte. Lorsqu’on parle encore aujourd’hui de la semaine de 30h, ça éructe à gauche. Lorsqu’on parle du droit à ne pas produire, du revenu universel, ça coince encore. Ici, je me permets de rappeler qu’on est en 1975. La situation a quand même évolué malgré mes constats de mauvaise foi et on trouve des mouvements ou rassemblements politiques qui ont capté qu’il y avait un truc à jouer au sujet de la vie des gens. L’idée d’un revenu universel existait peut-être en 1975, j’en sais rien, mais elle ne ne mentionne pas. En tout cas, les bonnes femmes doivent suivre, pas l’ouvrir. Suivre et fabriquer des bébés.
Je dirais qu’on se situe ici dans la gauche de type réformiste, tu peux me corriger (par écrit) si je me trompe.
Je n’ai en revanche aucun mal à croire que la misogynie ait eu cours dans les milieux politiques de gauche, toutes gauches confondues, étant donné qu’elle a toujours cours aujourd’hui. HA ! Rep à sa ! L’avantage pour les féministes c’est qu’elle est rendue bien plus visible de nos jours et que nous disposons d’un peu plus d’espace médiatique pour revendiquer nos trucs et nos machins.
🐦 “La transformation révolutionnaire n’est possible que parce que le prolétariat est engagé directement dans un travail socialisé et qu’il répond donc en tant que classe à la condition préalable d’un mode de production socialiste. Tant que le travail des ménagères demeure privatisé, elles ne sont pas capables de se figurer l’ordre nouveau ni de mener des forces productives pour briser l’ancien.”
(p.115 et 116 – citation de Wally Seccombe dans la “New Left Review”)
Les femmes peuvent contribuer, mais pas participer activement. Nique l’agentivité. En tout cas, pas celles qui sont au foyer, parce qu’elles n’ont pas la notion de Vrai Travail, tu vois ? Elles ne sont pas exploitées de la même manière, et ce qui fait chier c’est que même les plus grands penseurs de gauche ont exploité des femmes. La leur, leurs maîtresses, leurs assistantes, tout ce petit monde invisible qui faisait des omelettes et des haricots verts le soir quand le véritable travailleur rentrait. Lorsqu’on utilise un travail qu’on ne considère pas comme du travail, on n’exploite pas. Ouvrir les possibilités de lutte reviendrait à avouer cette non prise en compte. Jenny von Westphalen, l’épouse de Karl Marx, recopiait ses écrits et aura 6 enfants dont seuls 3 survivront
🐧 “Une jeune paysanne, en service depuis son enfance chez les Westphalen, Hélène Demuth, est venue les aider. Elle partage leur misère et couche sur un grabat dans la pièce où Marx jusqu’à trois heures du matin travaille. Un enfant naîtra de ces passagères amours ancillaires. Pour éviter le scandale, Engels, qui n’est pas seulement le collaborateur du mari, mais le dispensateur des subsides du ménage, endossera sa paternité.”
(Le Monde – ” La Vie amoureuse de Karl Marx “, de Pierre Durand Par PAUL MORELLE – Publié le 19 septembre 1970)
Marx a bel et bien profité des femmes de sa vie (encore plus si on prend en compte le travail de ses filles, Jenny, Laura et Eleanor), je serais lui je…bah je serais morte, ok, tu marques un point.
‘🐙🐙🐙’
Lorsqu’on veut “libérer les femmes”, c’est pour les faire travailler pour de vrai. Si Moulinex libère la femme, c’est pour qu’elle puisse laver son linge en machine pour avoir plus de temps devant elle. Du temps qui se doit productif, bien sûr. Si on automatise les fonctions ménagères, c’est pas pour te permettre de te la couler douce en lisant des bouquins de Silvia Frederici, c’est pour que tu puisses bosser. Si on maintient et qu’on soutient les métiers comme assistante maternelle ou aide ménagère via la CAF, c’est pas pour rien. Si une nounou peut garder 4 enfants sur toute une journée, c’est bien pour renvoyer les femmes (“qualifiées”) au travail le plus rapidement possible après la mise bas. Sauf qu’elle, elle est payée pour ça. Parce qu’elle est productive. Toi, si tu gardes tes gosses, tu fous rien. Cherche l’erreur.
🐦”Tous ces éléments compliquent et rendent très difficile toute réglementation du fait sexuel et toute tentative de créer une nouvelle éthique sexuelle conforme aux nouvelles méthodes de production et de travail. Par ailleurs, il est nécessaire de procéder à une telle réglementation et à la création d’une nouvelle éthique […] La vérité est que le nouveau type d’homme que réclame la rationalisation de la production et du travail ne peut se développer tant que l’instinct sexuel n’a pas été réglementé conformément à ce type, et n’a pas été lui aussi rationalisé”
(p.120-121 – citation de Gramsci, 1919)
Ingouvernables, insaisissables. Où va-t-on poser les femmes après la révolution ? Chez elles pour élever leurs petits communistes ? A l’usine ? Je ne sais pas à quoi est due cette fascination pour l’usine (la révolution industrielle je dirais) mais cette nécessité de contrôle, de rationalisation et d’interventionnisme dans les familles ne me donne pas envie. C’est clair qu’en terme de rationalisation de la productivité, l’usine est le meilleur exemple. Pour autant, a-t-on vraiment envie d’y envoyer l’ensemble des travailleurses ? C’est une grande énigme pour moi, j’avoue. Je comprends le fond et c’est le contrôle social qui est recherché ici. Autant Gramsci m’a fait rêver sur l’hégémonie culturelle, autant cette citation me fait flipper.
Pourquoi vouloir à tout prix contrôler la vie des personnes et surtout celle des femmes ? La vie n’est-elle que plans quinquennaux et directives autoritaristes ?
‘🥦🥦🥦’
Et où classer les ménagères ? Travailleuses ? Pas travailleuses ? Participantes ou pas ? Non parce que c’est bien gentil, ces rationalisations de la productivité mais on fait quoi, de nos enfants, de notre foyer ? Si on délègue à d’autres, qu’on paye pour le faire, pour soi-même aller bosser, pour les payer, c’est bien qu’il y a un travail effectué. Le ménage que tu fais chez toi est gratos, celui que tu fais chez les autres est un travail salarié. C’est peut-être le moment de se rendre compte que le travail domestique est un vrai travail, que les femmes au foyer sont des travailleuses, mais ça entraînerait une conséquence indésirable : la reconnaissance de ce travail et la question du salaire qu’on lui fait correspondre. Faudrait faire des trucs de ouf genre reconnaître la valeur de ce travail qui en est bien un, et reconnaître au passage la valeur des femmes.
Ce refus tout net de considérer la question pour en rester à l’usine idéale revient à valider l’idée capitaliste du travail. Après tout, les valeurs de la famille sont surtout associées aux politiques conservatrices, non ? Le foyer, tenu par une épouse gentillette qui pond des marmots et les élève tout en préparant un pot au feu reconstituant pour son tendre époux, c’est pas super de gauche, enfin, pas de MA gauche. Mais plus ça va, moins je me sens de gauche donc on va dire que c’est pas déconnant. Cette vision surannée du foyer est un des points communs entre les deux bords politiques. De toutes façons, tout le merdier est géré par des bonhommes, je n’ai aucun espoir de changement de leur part et je ne leur fais plus confiance.
Je reviens sur la misogynie gauchiste juste avec “Quattenens” et les autres hypocrites, plus pressés de grimper les échelons que de se montrer raccord avec ses discours à la maison.
On ne sait pas où nous mettre, simplement car l’idée d’une nouvelle puissance féminine (perçue comme triviale, le raccommodage c’est pas trop trop révolutionnaire) est indésirable. Puis ça pose trop de questions qu’on a surtout pas envie de se poser. Il n’y a qu’à voir les réactions lorsqu’on parle de la charge mentale ou de répartition des tâches…ouais tu plies tes chaussettes, bravo, tu veux un bon point ?
‘🍿🍿🍿’
Une véritable remise en question est nécessaire, mais elle sera forcément douloureuse et se fera avec nous. Comme quand tu te rends compte que ce n’est pas un foutu lutin qui ramasse tes chaussettes pendant la nuit depuis tout ce temps. Trop compliqué de se demander ce qu’on coûte à sa femme. Trop difficile de se dire qu’on utilise une personne sans la payer.
Alors, on rabaisse, on diminue, on fait en sorte qu’elles produisent sans se poser de question en décourageant leurs ambitions. On les exploite, et je pense que le terme d’exploitation c’est pas non plus trop trop révolutionnaire, hein ? On ne le dit donc pas. On utilise d’autres termes, plus doux, comme “tâches ménagères”, on verse des allocations, éventuellement, pour maintenir les enfants dans le système, on invente la fête des mères et on fait de beaux poèmes sur Maman, la seule, l’unique.
🐼 “Mais non, ne vous en faites pas, quand la révolution aura eu lieu on en reparlera”
(N’importe quel homme politique de gauche entre -1187 et 2022)
Le texte est de 75, je relève pourtant la même hypocrisie sous des aspects plus progressistes. On ne sait toujours pas quoi faire des femmes au foyer, car on a toujours pas envie de les “payer à rien foutre” comme les chômeurses. Le problème est toujours le même : reconnaître le travail c’est aussi reconnaître la valeur de ce travail, et si le travail a de la valeur, alors il doit être rémunéré. C’est une question que les hommes n’ont pas du tout envie d’aborder car c’est envisager que toute la thune ne leur revienne pas, et ce à tous les “échelons”. A cela, j’ajoute que la coercition financière est une excellente méthode de domination. Contrôler l’argent des femmes, c’est contrôler leur liberté d’agir. Une femme indépendante financièrement PEUT te lourder comme le gros boulet que tu es sans doute. Enfants et précarité financière participent à cette coercition organisée qui plaît aussi bien à la gauche qu’à la droite.
Notre asservissement arrange tout le monde, peu importent les soi-disant bonnes intentions de jours meilleurs, ne pas penser ce sujet revient à exclure les femmes du champ politique.
Bon, je te laisse, j’ai un congélateur et des petits fours à acheter.