Heure de réveil : 6h45 (wow !)
Hier soir j’ai fait ma pyjama party pré-confinement avec une pote, telle une ado attardée qui continue de porter des chaussures de skate et a les cheveux roses à 38 piges. N’empêche, ma rhumato avait jamais vu des Osiris montantes et elle a tout à fait validé le port de ces accessoires dans le cadre de ma pathologie. J’ai tenté de me les faire rembourser par la CPAM mais j’attends encore la réponse, ils ont un peu de retard dans le courrier, je n’ai envoyé mon CERFA que fin 2018.
Oui donc en gros je viens de rentrer à la maison et j’ai grave la gueule dans le flou. Je vais faire un peu court parce que j’ai qu’une envie : me recoucher.
Edit : j’ai menti.
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Hier je pensais à W., un ami qui est le genre à vraiment se déplacer de super loin pour venir te voir quand tu l’invites à l’arrache au nouvel an. Il est adorable.
Et il est daltonien. Désolée pour l’outing, je vais changer ton initiale pour préserver ton anonymat. Voilà.
Tu vas me dire “Il n’y a aucun rapport entre ces deux trucs” et je te dirais oui et non. On parlait de couleurs pour choisir je ne sais quoi et là, BIM, “J’en sais rien je suis daltonien”. Une amie présente pose une question que tout le monde se pose : “C’est pas trop dur de confondre les couleurs ?”
Je trouve que c’est un super exemple et je vais tenter de t’expliquer.
En primaire on a fait les tests pour détecter le daltonisme et l’instit en a profité pour nous expliquer le concept. Puis, je sais pas, ça m’a travaillée. Ça m’a vachement travaillée. Jusqu’à ce que ma mère vienne me chercher, et qu’on s’arrête à un feu tricolore.
Et là, l’épiphanie.
La couleur en elle-même n’importe pas, c’est le “label” qu’on lui associe qui est signifiant dans notre cas du feu rouge. Le feu “Stop” est rouge, c’est le premier des trois. Une personne daltonienne dit même probablement “un feu rouge” même si ce qu’elle associe au rouge est du gris foncé. Je sais, c’est bateau mais j’étais en primaire hein.
Par un hasard improbable je me suis retrouvée 20 ans plus tard à lire (deux fois…) la Philosophie de la Liberté de Rudolf Steiner, le Roi des Anthroposophes, pour un article et ça m’a fait un peu me replonger dans la philo. C’était bien cool d’ailleurs. La philo, pas le livre de Steiner. Brr.
J’ai trouvé une vidéo, en anglais, de Vsauce intitulée “Is Your Red The Same as My Red?”1 Si ça se trouve mon vert est ton bleu, on ne peut absolument pas le savoir. C’est fascinant de mindfuck.
Le plot twist attendu c’est que ça marche avec la compréhension de l’autre. On a toustes été élevées par toutes sortes de personnes qui nous ont transmis un référentiel, un prisme de lecture du monde qui nous a aidées à nous construire. Une fois que t’as pigé ça je pense que tu peux comprendre la plupart des comportements de tes semblables. Amie ou ennemie, lae semblable.
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Une personne en dépression aura un référentiel du monde altéré par la maladie. Les choses pourront lui sembler ternes, moches, inutiles, et ce même si tu as appris à jongler avec des oeufs Kinder pour l’amuser un peu. Même devant le spectacle le plus drôle du monde, elle aura ses lunettes crades et ne ressentira pas tout le potentiel fun de la situation.
Elle n’y peut rien. Elle peut se soigner, oui, mais si jamais t’entends parler d’un médicament qui guérit la dépression, tu m’appelles, je t’en prendrai deux palettes quitte à péter le PEL.
Les personnes atteintes de paranoïa sont aussi dans ce type de distorsion (je pense aux mines sur la faille de San Andreas et à ce type qui m’en a collé un parce que je rentrais pas dans son délire). Les paranos ne “veulent” pas être paranos, iels ont un prisme de lecture totalement différent. Tout est totalement et parfaitement logique pour euxlles.
Les personnes anxieuses connaissent bien ce sentiment, d’ailleurs. Tu fais UNE connerie, t’as l’impression que tout le monde le sait, que tout le monde te déteste, tu tournes et tu retournes le truc dans tous les sens et tu te persuades que tu finiras seule avec des chats sans aucun-e ami-e. Alors qu’objectivement t’as juste fait une micro-bourde insignifiante comme prendre un petit four avant de le reposer sur le plateau au mépris des règles élémentaires d’hygiène.
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Les enfants élevées dans le body-shaming, en gros la vaste vaste majorité des personnes AFAB2, se trouveront grosses.
J’ai connu extrêmement, extrêmement peu de femmes qui affirmaient être satisfaites de leur corps. Même les plus sublimissimes femmes que j’ai pu admirer et trouver méga canon ont des complexes. Des complexes totalement acquis grâce à un référentiel qu’on nous pulvérise à la tronche depuis notre naissance.
On est élevées avec un certain nombre de standards qui vont forcément varier d’un entourage à l’autre.
L’idée de prisme de lecture est ultra primordiale pour les personnes aidantes, surtout concernant les pathologies psy, puis en général aussi. Un référentiel bien niqué peut te faire faire des trucs assez sinistres : c’est ce qu’on constate chez les grands pervers et les tueurs en série : Eros et Thanatos, l’Amour et la Mort, sont liées d’une manière pathologique. La notion Eros/Thanatos est classique, habituelle, mais lue avec un œil dysfonctionnel elle peut prendre un tout autre sens. Je m’avance peut-être mais Eros/Thanatos c’est aussi à mon avis ce qui pousse les gens à faire des enfants en temps de guerre : la proximité de la mort, l’urgence, le désespoir, le sexe.
Après mon épiphanie du feu rouge, j’ai vraiment beaucoup analysé ce qui se passait autour de moi, longtemps. J’ai réalisé que mon instit avait une vie à côté, que les gens aussi, que dans leur ensemble étaient seuls dans leur tête car aucun mot ne pourra jamais expliquer parfaitement ton ressenti, et aucune explication n’atteindra ton interlocutrice avec une fiabilité de 100% car elle va la recevoir et la traiter avec son propre filtre.
Je trouve ça à la fois beau et effrayant. Mais beau, surtout, car on a finalement un univers à nous, qui nous est personnel, un référentiel unique au monde, constitué de milliers de petites expériences, apprentissages, erreurs ou triomphes. Personne ne peut rentrer dans ta tête, franchement, je sais pas pour toi mais me concernant c’est une excellente nouvelle.
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Alors j’essaie de garder cette notion en tête quand je discute, quand je lis des gens, quand je débats. Je ne valide pas le fait que le faf se comporte comme un connard parce qu’il a eu une éducation de connard, parce qu’on a du libre arbitre à un moment mais ça m’explique COMMENT on peut en arriver à sortir des horreurs pas possibles sur ses congénères. Quand tu grandis dans la peur, t’as plusieurs manières de t’en sortir. Si on t’apprend que l’inconnu et la nouveauté sont une menace pour une autre notion acquise qui est la République, la France ou quoi que ce soit, le filtre est posé, et tu lis le monde au travers.
C’est pas irréversible, heureusement que notre prisme de lecture varie au fil du temps, sinon tu trouverais que Peppa Pig est le meilleur dessin animé de tout l’univers et je serai obligée de mettre fin à tes souffrances.
Les gentes changent, parfois. Il y a des réalisations soudaines suite à une expérience de vie, des rebrousse-chemin, des trucs entre les deux.
Pis comme si c’était pas assez amusant, on peut avoir différents filtres qui se combinent.
Je trouve juste que l’image du daltonien est parlante : ton rouge sera jamais le même que le mien ♥
- https://www.youtube.com/watch?v=evQsOFQju08 [↩]
- Assignées Femme At Birth : dont le sexe de naissance est similaire à des organes génitaux féminins [↩]