3 novembre 2020 [«Ce que je ne perçois pas n’existe pas»]

Heure de réveil : 2h06 (enfant)

(Je viens de perdre une grande partie de mon billet, le dégoût a un visage : le mien)

Je suis totalement vide. Encore un coup à avoir mille idées de billets et pouf pouf. Je pourrais encore une fois dire que la neutralité rationaliste n’est qu’une illusion de mec cis mais j’ai pas envie.
Je vais taper à côté pour attaquer par la bande histoire de faire croire que je sais jouer au billard alors que pas du tout. 🎱 Je ne sais pas si ça t’est arrivé de dire un truc un peu difficile, porteur de sens, et que quelqu’un-e te réponde «Ah ben moi pas du tout». BIM.

Merci de cette intervention aussi utile qu’éclairée, Karen.
Il y a quelques temps je me suis assez fortement agacée pour un truc ridicule. On mange des potatoes au four, l’Enfant dit que ça pique la langue et effectivement elles sont légèrement épicées. Monsieur Papa, lui, droit dans ses bottes «Non, c’est pas épicé».

«Ce que je ne perçois pas n’existe pas»

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Est-on nécessairement obligé-es d’expérimenter, toucher, sentir pour comprendre ? Je sais que l’esclavage a existé et existe encore sous d’autres formats alors que je suis blanche comme le cul de Guenièvre. Je n’ai pas besoin de l’avoir «perçu» pour être sûre de son existence. J’étais pas là non plus en 1515 à Marignan, pourtant je sais qu’il s’est passé «un truc» à ce moment-là. M’en demande pas plus, mes cours d’Histoire sont trop loin. Je n’ai jamais marché sur Pluton, je sais pourtant qu’elle existe.

Alors c’est quoi cet angle mort ?

Je ne suis ni docteure en philo ni spécialiste des questions métaphysiques, je ne suis pas non plus vulcanologue mais ça, à la limite, tu t’en fous, sauf si tu as une passion secrète pour Haroun Tazieff.
C’est bateau : on a tendance à rejeter ce qui nous heurte ou nous bouscule un peu.

Mon mari n’avait jamais considéré l’idée que sa perception gustative n’était pas universelle même s’il ne supporterait sans doute pas un plat extrêmement épicé sa mère.
C’est ni «bien» ni «mal» mais c’est un exemple intéressant.

Comme je te le disais cette semaine, ma perception de la couleur rouge n’est sans doute pas la même que la tienne. Il est donc normal que ma perception papillesque soit unique.
Pour moi ça coule de source, d’où ma surprise quand j’ai réalisé que c’était pas forcément le cas partout. Et surtout, le déni. Parce qu’en vrai j’ai mis de longues minutes à lui faire admettre que si, si, on pouvait trouver ça épicé.

🌶🌶🌶

Je ne dirais pas que c’est «typiquement masculin» parce que c’est faux. Mais les mecs cis mettent quand même vachement plus de temps à admettre l’altérité que les autres. S’ils l’admettent un jour.
C’est ce que ça fait quand tu penses que ta propre expérience de la vie et du monde sont universelles. Et c’est logique de penser comme ça étant donné qu’on lit ce monde avec nos propres yeux et tous les biais que ça comporte (Ouh j’ai dit «biais» attention !).

Là où ça devient moins normal, c’est le refus d’accepter d’emblée l’expérience biaisée de l’autre. Pourquoi ton biais à toi serait plus pertinent ?
«Le harcèlement de rue ? Jamais constaté»
«Faut s’obliger à passer Noël avec ses parents, tu le regretteras quand tu ne seras plus là»
«Je m’installerais bien à Dubaï c’est super cool comme pays»
«Le voisin de mon frère a reçu une gifle de sa nana, moi tout ce que je dis c’est que les femmes sont aussi violentes que les hommes»

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«Mon expérience d’homme cis blanc est universelle»

PERSONNE N’EST NEUTRE PUTAIN 🔥
Après tout ce teasing, 🐙 UNLEASH THE KAREN
(Oui j’ai perdu mon texte après ce paragraphe et je suis bien gavée, j’étais moins énervée à la V1)

Les mecs cis blancs ont tout fait pour nous convaincre que leur vision du monde était à prendre comme le mètre étalon (haha) de l’Univers.

On ne teste pas les médicaments sur les femmes car le cycle hormonal oblige à corriger les données¹. Alors on s’est dit que ça irait bien comme ça
On a pas appris que les symptômes de la crise cardiaque chez les femmes étaient très différents que ceux des hommes. Et des femmes meurent à cause de cette «neutralité». Mais ça, hey, ils l’expérimentent pas, alors ça n’existe pas ! La vie est bien foutue…

Tu es née quelque part, de quelqu’une. Tu es située. Dans un lieu, une époque, une culture. Ton expérience n’est QUE subjective. On ne sait même pas si on ne vit pas dans une simulation ou dans l’esprit dérangé d’une personne en train de rêver. Les 38 années que j’ai passées ici bas ne sont peut-être que la fraction de seconde d’un univers qui est déjà mort.

Ça me semble bien audacieux de décréter qu’on est neutre. En fait, c’est même totalement con. Décréter une neutralité relative à ta propre perception ne la rend pas tangible et objective. Neutralité par rapport à quoi ? A qui ?

ET C’EST PAS GRAVE ON S’EN FOUT !!!

Si les gens sont parfois aussi chouette, si on avance, c’est justement parce qu’on est toustes teintées de «quelque chose» qui fait notre identité. Sans les barjos et la sérendipité on en serait pas là, John Bob. La vie n’est PAS un exercice épistémologique. Tu peux t’exercer, tu peux tenter d’approcher cette neutralité mais elle est par définition inaccessible. La neutralité c’est une abstraction qui doit te permettre de, justement, reconnaître le manque de neutralité afin de porter un regard critique sur toi-même.
Si tu sais et admets que tu es fondamentalement biaisée, à mon sens, tu te rapproches de la neutralité tant fantasmée. Mais ça oblige à remettre en question l’universalisme de ta perception.
Alors, comme t’es dominant, t’as dit «La Neutralité c’est Moi» y’a quelques siècles et roule ma poule. Plus c’est gros, plus ça passe.
Chut.

C’est comme si l’inconnu et l’inattendu provoquaient des réactions de rejet et de peur trop fortes pour être surmontées.
(Je fais bien l’étonnement ? Non, hein ?) En réalité, c’est nous, les minorités, qui devraient aider à façonner la vision du monde. Nous on a conscience de l’exclusion, du sexisme, de l’injustice. On l’expérimente directement. Alors pourquoi on voit encore des conférences, réunions ou assimilées qui réunissent un panel de mecs blancs pour parler des Droits des Femmes ? Hein ?

Il faut un peu d’humilité pour reconnaître que, oui, on est situé-e, mais ça, ils sont nombreux à ne pas l’avoir compris. Il ne faut pas craindre la remise en question. Péter toutes ses bases pour avancer c’est un move toujours intéressant. Moins confortable, mais intéressant. Je sais que je sais que dalle, je nage dans l’opacité et l’illusion, ça sera le cas toute ma vie.

Pourtant…en soi…est-ce grave d’être subjective ?
Je sais pas, on dirait que c’est un péché puni de mort ou de bannissement alors que ça peut être un outil des plus utiles. Partager la richesse de nos expériences ça me plairait vachement plus que de vivre dans un monde qui n’est pas conçu pour m’accueillir décemment.

🐝🐝🐝

Pire, c’est un monde hostile qui m’agresse si je transgresse (Et je transgresse, oh oui, je transgresse !). Un monde façonné par des gens qui ne sont pas moi, qui ne le seront jamais et qui ne sauront jamais ce que c’est que d’être une personne opprimée pour son genre ou son handicap.
J’ai déjà lu (en milieu zet) que mes expériences dans le domaine des violences physiques et sexuelle commises sur des femmes et des enfants discréditait mon discours qui était «orienté».

Perso j’ai arrêté les frais à ce moment-là. Je me sens bien placée pour parler de pédocriminalité, pourtant, c’est un sujet que je connais bien, y compris au niveau des études (J’ai des souuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuurces !!!). Mais non, je montre de l’émotion quand j’en parle, je ne suis pas neutre. Le fait que je sois concernée par le sujet ne me rend pas apte à en parler.

D’accord…

Et pourquoi on devrait accepter ça ? Au nom de la pureté scientifique ? Parce que deux types ont décidé que c’était comme ça ? Ils ont déjà imprimé 200 000 exemplaires du Petit Livre Zet alors maintenant c’est trop tard ?
Allez vous faire cuire le cul, les enfants.
Allez bien vous faire cuire le cul.

Mon expérience déviante et traumatique de la vie est tout aussi importante que la tienne. Pas plus, pas moins.
Deux vies, deux mondes, c’est tout. Prétends autant que tu veux que ta neutralité est la Neutralité, je ne te croirai pas, y’a que tes potes pour te croire. Tu domines ici, maintenant, parce qu’un ensemble de circonstances l’ont permis. Aujourd’hui tu t’ériges en modèle du Monde Libre, parce que tu le peux, pas parce que c’est juste.

On nous a toujours bien fait fermer nos gueules, pour ne pas nous entendre, et on ne comprend pas pourquoi on ne nous entend pas.

Alors, forcément, ça fait tout drôle quand on l’ouvre et qu’on vous montre une fraction infime de toute cette violence que vous nous infligez.

Deal with it 🔥