Heure de réveil : 5h30 (ankylose)
TW : mort mystérieuse, PAS de photo du corps (tu peux trouver facilement)
Ce matin, je vais te donner une nouvelle, reçue il y a deux jours (mais j’avais d’autres trucs plus urgents à dire).
On a retrouvé l’identité de l’Homme de Somerton.
Si tu fais “HAN !!!” 😱 comme moi c’est que tu connais ce mystère qui dure depuis 73 ans.
Si tu fais “mais qu’est-ce qu’elle raconte ?” tu vas découvrir une des plus anciennes morts mystérieuses, qui a donc attendu un sacré bout de temps avant d’être résolue.
🦄🦄🦄
J’ai fait un article sur l’affaire en 2013 mais on va résumer ici.
L’histoire de l’Homme de Somerton, c’est l’histoire d’un type qui s’allonge sur une plage de Somerton Park, près d’Adélaïde, en Australie, en décembre 1948. C’est comme ça que l’ont décrit les personnes passées à côté sans vraiment le voir.
☠️ Le souci c’est qu’il n’était pas juste allongé pour cuver une gueule de bois mais bel et bien mort. L’autre souci c’est qu’il n’avait pas été identifié jusqu’à présent.
Tu vas me dire, des gens morts non identifiés, y’en a, et tu as raison.
Alors, qu’est-ce qui a rendu ce cas épique ?
👉 Pas de cause de la mort établie avec certitude, absence de toxiques mais pas d’autre cause possible selon le légiste. On est en 1948 et loin de posséder la technologie nécessaire à des retrouvailles avec son cousin perdu de vue depuis 40 ans. (Oui, l’ADN).
Mais ce sont surtout les effets personnels du mort qui vont le rendre aussi célèbre.
🐳🐳🐳
Près de lui :
🐦 “[…]un ticket de train de seconde classe allant jusqu’à Henley Beach depuis Adélaïde (non utilisé), un ticket de bus de la ville (utilisé), un petit peigne américain en aluminium, un paquet de chewing-gum aux fruits à moitié plein, un paquet de cigarettes de la marque « Army Club » contenant des cigarettes de la marque « Kensitas » et une boîte d’allumettes Bryant & May au trois quarts vide. Le ticket de bus a été utilisé pour descendre à un arrêt situé à environ 1 100 mètres au nord de la position du corps de la victime. L’homme n’avait pas d’argent dans ses poches.”
(Wikipedia1)
Pas d’argent dans les poches, mais à la seconde inspection, on retrouve une petite poche secrète dans le pantalon. A l’intérieur de cette poche, deux mots, arrachés dans un livre.
👉 “Taman Shud“, c’est à dire “Terminé” en persan.
Ces mots appartiennent à un Rubaiyat d’Omar Khayyam, un poète, philosophe, astronome et mathématicien persan, ayant vécu entre, approximativement, entre 1048 et 1131 de notre ère.
Un Rubaiyat est un recueil de poèmes.
Omar Khayyam est également mathématicien mais je ne pane strictement rien à ses travaux, donc je vais faire un bête copié collé, comme ça, si ça te parle et bien heu…cool ?
🐦 “Dans son Risāla fī’l-barāhīn ˓ala masā’il al-jabr wa’l-muqābala (Démonstrations de problèmes d’algèbre) […]al-Khayyam entreprend une classification des équations de degré trois avec leurs racines positives. Il échoue dans sa tentative de résoudre ces équations par radicaux mais il décrit le moyen d’obtenir ces racines à l’aide d’intersection de coniques (cercles, hyperboles équilatères, paraboles). Il démontre que les équations cubiques peuvent avoir plus d’une racine. Il fait état aussi d’équations ayant deux solutions, mais n’en trouve pas à trois solutions.
Son deuxième traité Sharh. mā ashkala min mus.ādarāt kitāb Uqlīdis (Commentaires sur les difficultés de certains postulats du livre d’Euclide) […] offre une réflexion sur l’axiome des parallèles. Son raisonnement s’appuie sur un quadrilatère dont les deux angles de base sont droits, et les côtés latéraux de même longueur. Le but est de démontrer que les deux autres angles ne sont ni aigus ni obtus. Ce même quadrilatère sera repris plusieurs siècles plus tard par le mathématicien Giovanni Girolamo Saccheri. On trouve également dans ce traité des réflexions sur les fractions.
À ces deux ouvrages, on peut ajouter un Traité sur la division d’un quart de cercle dans lequel al-Khayyam détermine la valeur approchée d’une racine d’une équation cubique et un traité Problème d’arithmétique cité par ses successeurs et qui devait contenir des méthodes des binômes et de calculs approchés de racines nièmes.”
(Wikipedia2)
Je mets ça pour qu’on se rappelle d’où viennent les “chiffres arabes” (d’Inde, en fait) et une bonne partie des connaissances médicales de l’époque.
🌊🌊🌊
La question se pose donc : quel est le fuck ?
Pourquoi une pochette secrète avec ces deux mots ?
Et pour quelle raison la totalité de ses effets personnels, y compris ceux présents dans la valise qu’on retrouvera plus tard, sont démarqués ? Pas d’étiquette, pas d’indice probant sur la provenance des vêtements.
Le contenu de la valise :
🐦”Dans la mallette se trouve une robe de chambre à carreaux rouges, taille 7, des chaussons rouges en feutre, 4 paires de caleçons (mais pas de chaussettes), un pyjama, du matériel de rasage, une paire de pantalons marron clair sur lesquels on trouve du sable, un tournevis d’électricien, un couteau de table taillé pour en faire un instrument tranchant, une paire de ciseaux aux pointes aiguisées ainsi qu’un pinceau à pochoir utilisé sur les bateaux de commerce pour marquer la cargaison.
La mallette contient également un carton de fil ciré orange de la marque Barbour, d’un « type inhabituel », qu’on ne trouve pas en Australie ; le même type que celui utilisé pour repriser la doublure des poches de la victime. Toutes les marques d’identification sur les vêtements ont été retirées, mais la police trouve le nom « T. Keane » sur une cravate, « Keane » sur un sac à linge et « Kean » sans le « e » sur un tricot de corps, ainsi que trois notes de blanchisserie: 1171/7, 4393/7 et 3053/733,34. La police pense alors que la personne qui a enlevé les identifications de vêtements a volontairement laissé en place ceux mentionnant « Keane », sachant qu’il ne s’agissait pas du véritable nom de la victime. Une enquête ultérieure révélera finalement que les marques « Keane » retrouvées étaient les seules à ne pas pouvoir être enlevées sans abîmer le vêtement.”
Pas de pièce d’identité, évidemment, sinon je t’en parlerais pas maintenant.
Rien avec les empreintes dentaires.
Rien avec les empreintes digitales.
🤷♀️
🐠🐠🐠
Après la diffusion du portrait dans la presse, plusieurs personnes viennent l’identifier ou se présentent pour dire “Si, si, je suis vivant”, sans succès.
Rien n’est cohérent, dans ce cas.
La victime a été décrite comme en excellente forme physique, mais pas avec des mains de bûcheron qui ont travaillé, habillé avec des vêtements provenant sans doute des États-Unis. On évoque même la possibilité d’un danseur de ballet. Un danseur de ballet perdu sur une plage avec un fragment de bouquin pas très courant à l’époque ? Qui meurt mystérieusement sur cette plage-là, dont les chaussures vernies sont impeccables alors qu’il est sensé avoir marché sur le sable ?
👽 Et, aussi, quel est ce code inscrit au dos du Rubaiyat d’Omar Khayyam ?
“WRGOABABD
MLIAOI (barré)
WTBIMPANETP
MLIABOAIAQC
ITTMTSAMSTGAB”
🤔 Oh, et le numéro de téléphone inscrit ?
Un numéro en liste rouge d’une infirmière nommée Jessica Thomson et qui a offert un exemplaire du Rubaiyat d’Omar Khayyam à un militaire nommé Alfred Boxall.
Ce dernier fut retrouvé, bien vivant, et en possession de son exemplaire du recueil, les mots “Tamam Shud” toujours accrochés à la page.
Pas de bol.
Rien ne colle, rien n’est cohérent, chaque piste mène à une impasse.
Si ça se trouve le Rubaiyat d’Omar Khayyam faisait partie de l’abonnement à France Loisirs, à ce stade.
Serait-ce un espion assassiné sur la plage ? Pourquoi ?
Le code n’a jamais été percé. L’ampleur de l’affaire a pourtant mis les spécialistes des spécialistes de la cryptographie sur le coup mais RIEN. Que dalle. Makach walou.
On a même été jusqu’à chercher les personnes porteuses de petite particularités génétiques au niveau de l’oreille et des dents.
🐙🐙🐙
Et puis, en 2022…
🐦 “Avant son enterrement, un moulage a été fait sur le visage du défunt, pour poursuivre les investigations à son sujet et conserver ses traits. Quelques mèches de cheveux sont restées incrustées dans le plâtre. À partir de cette inestimable trace d’ADN, Derek Abbott et la généalogiste américaine Colleen Fitzpatrick se sont lancés dans des recherches poussées pour identifier l’homme en reconstituant son arbre généalogique, explique la BBC. L’an dernier, les restes du défunt ont été exhumés pour poursuivre l’enquête. Plus de 4000 noms croisés avec l’ADN plus tard, un nom est sorti du lot : Carl Webb. ”
(Vanity Fair3)
🙀 Est-ce que ce début de résolution ne serait pas l’extraction ADN la plus improbable au monde ? Des follicules retrouvés sur le moulage. Sans déconner. J’oscille entre l’admiration et la pure terreur des avancées sur l’ADN. Quand tu vois les chambres de fumigation qui permettent de choper des résidus ADN dans l’air ou sur des surfaces lisses tu te dis que c’est pas le moment d’entamer le désherbage de ton jardin, si tu vois ce que je veux dire.
C’est à ce moment que, moi, j’exulte, car ma théorie était :
“Un concours de circonstances, un mec bourré qui avait ce bouquin parce que les poèmes persans étaient à la mode et qui n’aimait pas avoir des étiquettes qui le grattent dans ses vêtements”
🦕🦕🦕
😎 L’explication la moins sensationnelle est souvent la meilleure.
C’est pas fun, parce qu’on adore élaborer des théories extravagantes en oubliant toujours le pur hasard dans l’équation. Mais la vie n’est pas fun. La vie est chiante, tellement prévisible qu’on en meurt toujours à la fin.
👉 Le code ?
Carl Webb faisait des paris hippiques, il est très possible que ces assemblages de lettres soient des indicateurs ou rappels concernant ses paris, et rien de plus. Ce qui explique l’incapacité à percer un code qui n’en est pas un.
👉 Pourquoi Somerton ?
On en sait rien, mais il se pourrait qu’il se soit rapproché de sa future-ex-veuve. Il a aussi peut-être raté le train et pris le bus à la place, ce qui explique le ticket de train non composté retrouvé sur lui.
👉 Le livre ?
Carl Webb…était lui aussi poète. Il est totalement envisageable que le Rubaiyat d’Omar Khayyam ait été commandé par une librairie en plusieurs exemplaire suite à un effet de mode.
🍒🍒🍒
Toujours est-il que, pour moi, la révélation du nom de l’Homme de Somerton a été comme une libération. Je pensais qu’on allait encore se faire des films un bon moment, que le mystère ne serait jamais résolu et que ça resterait tel quel pour toujours.
Voir le titre qui annonçait qu’on l’avait nommé m’a bouleversée. C’est bête, je ne connaissais pas le bonhomme mais j’étais sûre que c’était beaucoup moins épique que ce qu’on pouvait imaginer.
👻 Et comme souvent : la réalité est décevante.
C’est une semi-résolution intéressante, en ce sens. Pas d’histoire d’espionnage, des explications simples à une mort compliquée.
Reste à confirmer la cause de la mort et vérifier la toxicologie. Je ne sais pas de quelle manière la toxicologie pourrait être réalisée, on a exhumé ses restes mais je n’ai pas plus de précision. J’imagine que l’exhumation fait suite à la découverte ADN, sinon on se serait pas emmerdés à choper des follicules sur le moulage du torse.
Je ne suis pas sûre qu’au delà du nom on réussisse à trouver beaucoup d’autres éléments. J’espère me tromper mais je suis peu encline à croire dans les pistes mystérieuses, comme tu as pu le constater. Je suis une dangereuse rationaliste qui ne s’étonne plus des aléas de la mort depuis un moment, déjà.
🦀🦀🦀
🖤 Si tu veux, on pourra parler de morts mystérieuses ou curieuses (la personne qui s’est enfermée dans une statue de dinosaure pour être retrouvée plusieurs jours après par un père et son fils, le jeune homme qui a été retrouvé des années après sa disparition dans le conduit de cheminée d’une maison vide, ce genre de choses), là où la réalité est toujours moins amusante que la fiction.
L’explication est souvent décevante, mais ce type de résolution “simple” nous rappelle que, finalement, le hasard fait les choses. On a peu de prise sur la banalité de la mort. Ainsi Jack Daniels et son coup de pied mortel (pour lui) dans un coffre, les crop circles et les mystères pas si mystérieux de la Zone 51.
La réalité n’est pas toujours funky. C’est pour ça qu’il faut toujours mettre un peu de joie soi-même dans sa vie, en allant par exemple se faire un café d’anthologie, un café long avec du lait parce que son estomac digère tellement bien l’assemblage des deux liquides mélangés que ce serait dommage de s’en priver.
Pour en savoir plus :
Anglais
- ‘Tamam Shud’ and the five other clues that have failed to solve the Somerton Man mystery
- Bombshell claim on Somerton man mystery: ‘I saw his dead body’
- THE ULTIMATE GUIDE TO THE SOMERTON MAN MYSTERY
- Solving the Somerton man mystery: no Russian spy, just a bit of a loner who wrote poetry?
Français
- Saurez-vous résoudre l’énigme du mort de Somerton Beach ?
- Un corps exhumé pour percer un mystère vieux de 70 ans