En août 2022, j’ai commis un article sur Mortelle Adèle qui m’a valu un petit backlash assez inattendu.
Mon propos était que c’était pas si bien que ça, que la BD était problématique sur plusieurs points (et elle a été écrite par un homme, mais ça, à la limite, pourquoi pas), notamment sur les clichés féminins jugés indésirables ou sujets à moquerie.
Pour les non-initié-es, Mortelle Adèle est une BD jeunesse qui parle d’Adèle, une enfant qui torture son entourage, en gros. On m’a vendu ça comme quelque chose d’empowerant, de transgressif, voire “culte”, donc j’en ai acheté 4 tomes. Et pas plus. Là, tu vas me dire que je choisis pour mon enfant, et que c’est assez nul de le priver de Mortelle Adèle tout ça à cause de mes idéaux féministes à la con, et tu as raison mais qu’à moitié.
L’Enfant n’aime pas la cruauté envers les animaux. Voir un chat dans un micro-ondes ou ligoté à une fusée, ça ne le fait pas rire, au contraire, ça l’a paniqué et angoissé.
Et moi, j’aime moyen l’entendre demander si “les filles, c’est nul ?” tandis que la BD descend allègrement les deux “pouffes” de la classe d’Adèle, les deux meufs populaires, au cheveu luxuriant et à l’attitude de pimbêche.
On m’a vendu ça comme “féministe” et révolutionnaire, j’ai trouvé les mêmes clichés que partout. La seule exception est que Denis la Malice, le Petit Spirou ou Titeuf s’appellent Adèle. Le contenu n’est pas le même, mais les clichés restent. Surtout ceux concernant les “pouffes”, ces filles complètement nulles et à benner.
❤️❤️❤️
Tu vois, si on me parle de filles à jeter, je tique un peu. J’ai aussi eu affaire à ce genre de fille terrorisante et qui a tout bon, à l’école. Mais ce sont bien 3 garçons qui m’ont poussée dans l’escalier et rouée de coups de pieds parce que je portais une jupe et que j’avais envoyé bouler un de leurs potes qui était venu tenter de m’agresser à la maison. J’ai connu des ultra-pimbêches qui ont le cheveu soyeux , de longs cils et des vêtements à la mode. Aucune ne m’a défoncée derrière le gymnase. Aucune n’a tenté de m’agresser sexuellement. J’ai été victime de rumeurs, oui, mais ça ne m’a pas blessée plus que ça.
Ici, c’est l’instant confession dont je n’ai même pas honte : je regardais assidûment Premiers Baisers et Hélène et les Garçons, j’ai regardé beaucoup de comédies romantiques et des pelletées de drama coréens ou japonais. Je me souviendrai toute ma vie du jour où un cousin de la famille n’ayant pas eu le mémo m’a offert une Barbie. Les Barbies, c’était nul, j’avais pas droit car c’était nunuche. Mais mon rêve secret était d’en avoir une, et d’avoir des Polly Pocket.
Mon adorable voisine Mélanie (coucou !) m’a ramené le château de Cendrillon Polly Pocket l’année dernière. J’ai sautillé et j’ai battu des mains comme une gosse de 40 balais. L’objet est exposé sous vitrine et un de mes projets est de le repeindre (il a pris un peu le soleil) et de lui créer un décor féérique à la hauteur de sa magnificence. Ce merveilleux château m’a permis de réaliser qu’on s’autorisait ce type de collections, une fois adulte, un peu au second degré. On surjoue le rose et les paillettes et c’est ok, seulement si on le fait en reniant volontairement les codes. Si on est trop conforme à ces codes, on est jugées, tout comme les adultes qui adorent Disney sont jugé-es.
J’ai aussi eu le gros coup de bol en chopant une figurine de 30 cm de Leonardo, la Tortue Ninja, j’ai aussi battu des mains et tout le merdier, car j’adorais plus que tout les Tortues Ninja. J’aimais Olive et Tom, mais aussi Lady Oscar et Creamy, de même que toutes les magical girls disponibles à la télé dans les années 90. Je suis aujourd’hui assez (beaucoup) fan de shonen (les animés et mangas “à destination des garçons” comme Naruto ou Black Clover), mais aussi fan de shojo (idem mais “pour les filles” avec de la romance). J’aime le contenu violent, gore, monstrueux, et j’aime aussi voir une scène de retrouvailles qui me met les larmes aux yeux. J’aime les jeux violents, mais aussi les visual novel “pour fille” et les dating sim (des jeux vidéos présentant des situations, en général dans un contexte scolaire, où ça drague et vit des histoires d’amour).
J’aime les histoires d’amour mièvres, la couleur rose, je me maquille presque tous les jours, je prends soin de mes cheveux roses et violets, mon look vestimentaire est plutôt non-genré mais j’aime bien accessoiriser avec des trucs bien flashy et ROSES et/ou à paillettes.
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C’est en devenant féministe que je me suis enfin autorisée à assumer mon côté girly. Jusque là, je faisais semblant d’être un mec comme les autres. Un vrai dur, qui serre les dents et boit de la bière avec ses potes. On critiquait les “filles”, mais moi, j’étais pas comme ça, évidemment, j’étais différente et vraiment beaucoup mieux que ça.
J’ai réalisé que je passais ma vie à me contrarier, à m’insulter. J’ai suivi la tendance des dominants pour espérer faire partie du club. J’ai dénigré beaucoup, beaucoup de femmes pour faire style je suis mieux, plus cool, moins nunuche. Je ne suis jamais entrée dans le club, évidemment, car j’étais là en tant qu’enjeu sexuel, le trophée à pécho pour se la jouer, la meuf indraguable qu’on finit par soumettre.
Les valeurs dites “féminines” ne sont PAS indésirables. J’ai vu récemment une vidéo de Nick DiRamio au sujet des Mâles Alpha où il était dit que que “les hommes gossip 40% de plus que les femmes, mais ils appellent ça du réseautage”. Gossip : rumeurs, secrets, confidences. Pour compléter ceci, j’ai aussi vu une vidéo de Hoots sur le réseautage préventif : quand les femmes s’organisent pour faire des listes de prédateurs, ou informer les autres de la présence d’un prédateur dans leur Tinder, leur entreprise ou leur cercle amical. Les travailleuses du sexe ont de telles listes, vouées à les protéger : si un patient se montre brutal, agressif ou agresse, il est “fiché” autant que possible, pour que les collègues n’y aillent pas.
Le “gossip” est un bon exemple de comportements vus comme nuisibles : les femmes piapiatent en permanence, entre elles, on sait même pas ce qu’elles se disent au lavoir, bordel, bande de sorcières. On ne veut pas que les femmes communiquent en secret. Pas parce qu’elles s’échangent des recettes de poisons, mais parce qu’elles se préviennent entre elles. Les ragots, ça sert à savoir ce qui se passe dans ton voisinage. Et si tu es victime de la violence de ton mari, c’est toujours bien de pouvoir en parler discrètement. Démanteler ou interdire les ragots, c’est priver les femmes de leur seul outil de prévention, dans un monde de justice faillible.
Les ragots de mecs restent des ragots. On ragote pour rester dans son petit boy’s club et avoir le meilleur salaire possible. Le “réseautage” n’est que prise de café clope au resto et confidences sur le service ou ses employé-es. Étant curieusement, et à tort, jugée comme inoffensive, j’ai assisté à beaucoup de situations de gossip masculin, car ils oubliaient que j’étais là. J’ai eu les “comment virer cette conne ?”, les moqueries sur le physique des femmes, toujours des femmes, ou les compliments sur le superbe cul de la cheffe de projet. Le réseautage se construit entre couilles, dans un entresoi naturel. Les infos transmises sont souvent à l’opposé de celles transmises par les ragots de bonnes femmes : quelle meuf est célib ? Avec qui tenter sa chance ? Qui est frigide et rabat-joie ? Qui a déjà testé celle-là ? Le niveau n’est pas très très haut, vraiment, et j’en ai subi, des confidences.
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On est pile dans ce que je veux expliquer, et tant mieux, parce que c’est moi qui écris ce billet donc j’aurais bien l’air fine si je ne savais pas où aller, tiens.
Ragot féminin = nul
Ragot masculin = valorisé
Le même comportement, à savoir parler en douce à ses pairs, sera taxé de “à chier” ou “utile” en fonction du genre qui lui est rattaché. Surtout, le ragot féminin est dangereux, pour les dominants : elles se préviennent entre elles, ça diminue mes chances de jouer au connard. Il faut absolument VAINCRE les discussions entre filles et les soirées pyjama, parce que ce comportement abusifs risquent d’être exposés, et ça, ça permet aux femmes de se protéger, et ça c’est nul et même pas du jeu.
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Une nuance est à apporter : oui, le marketing genré. Oui, ça fait vendre du rose aux filles. Et alors ? Si j’ai pas envie de jouer aux petites voitures, tu peux bien me lâcher la grappe un peu, merci. Niveau jeu vidéo et productions culturelles télévisuelles, effectivement, on a eu droit à de sacré merdes qui ont propagé les clichés sexistes des auteurs qui les portaient. Mais moi je jouais à Duck Tales sur Gameboy, à Mario ou Mario Kart et j’ai fait à peu près beaucoup trop de Final Fantasy pour ma santé mentale. J’ai vu vite fait passer les productions genrées, mais je ne me souviens d’aucun titre. Les joueurs sont aussi des joueuses, et elles ne jouent pas toutes à Léa Passion Poney. Et quand bien même. C’est cool, les poneys.
Et alors ? Tu vas me dire que dans Naruto, on prône la paix et la non-violence ? Les valeurs portées par cet animé que j’aime d’amour ne sont vraiment pas meilleures. Le sens du sacrifice, de l’abnégation, la glorification de la souffrance et l’héroïsme des blessures mortelles, les coups reçus et les épreuves surmontées avec de la volonté pure, sans déconner, c’est pas beaucoup plus intelligent. Naruto ou Asta, dans Black Clover, nous disent “Quand on veut, on peut”. Alors que heu non. Jamais je ne serai une ninja, je peux même pas poser le pied droit par terre.
Les productions à destination des garçons sont TOUT AUSSI TOXIQUES en fait.
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Et, est-ce que vaincre le sexisme passe par vaincre les femmes ? Si les valeurs dites féminines sont indésirables, que nous reste-t-il ? Et qu’en est-il du body-positivism et de l’anti-slut-shaming ? On l’a oublié quelque part en route.
J’ai déjà lu des échanges à base de “au secours, ma fille aime le rose !!!” qui parlaient du formatage à l’école et ça m’a rendue triste dans mon petit cœur. Mieux : on valorise lorsque nos enfants assignés garçon portent du rose ou des robes en affirmant que c’est extraordinaire…mais on empêche nos filles de se déguiser en princesse tous les jours.
Moi, je suis de la team “Abolissons la monarchie” donc les princesses, BON. Mais l’esthétique de la robe de bal est extraordinaire. Le froufrou peut être magnifique. Pourquoi pas ?
Le principe, c’est plutôt, à mon sens, de leur apprendre qu’iels sont libres de choisir. Y compris lorsqu’iels choisissent Mortelle Adèle. Si la lecture est cathartique, tant mieux ! Si voir un chat dans un micro-ondes ne provoque pas de pleurs, tant mieux ! Aucune production culturelle n’est exempte de clichés, mais il faut les reconnaître.
En revanche, j’ai le droit de dire que cette BD n’est pas si cool que ça. J’ai le droit de dire que c’est pas ma came et de m’en servir comme prétexte à faire un billet sur le pink bashing.
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Oui, il existe des harceleuses-pimbêches à l’école, et oui, c’est utile de donner à nos gosses les outils pour y répondre et reprendre confiance en euxlles. Mais la pimbêche a aussi une vie, qui n’est peut-être pas simple non plus, et si elle doit être dénigrée, autant que ce soit sur ses qualités intrinsèques que sur son brushing.
J’ai connu des pimbêches, j’en ai sans doute été une. On peut répondre sans passer par la case sexisme, en vrai. On peut parler de l’égoïsme, du côté hors sol, de la vantardise, du narcissisme ou de la cruauté, sans attaquer les cheveux ou les vêtements. Ce sont les attitudes qui sont toxiques, et, souvent, elles sont apprises à la maison. Si tu traites ta fille comme la huitième merveille du monde en la persuadant qu’elle est supérieure à tout le monde, elle va le croire et se comporter en tant que telle. C’est le travers que je retrouve à Adèle : elle est très narcissique, antisociale, cruelle, jugeante et maltraitante. Elle se pense supérieure et le fait savoir en martyrisant ses copaines. Est-ce vraiment de l’empuissancement ou bien un simple retournement de stigmate ? Adèle pourrait parfaitement être un garçon. Elle répond en tout points aux clichés de sales gosses de BD. C’est juste que c’est une fille.
Lorsqu’elle pose des questions à sa mère, elle a toute la condescendance féministe possible. Adèle juge sa mère, sévèrement, car elle se fait avoir. Elle méprise ce qui est perçu comme de la faiblesse. Et moi, j’aime pas ça. Je suis totalement d’accord pour questionner et soulever des problèmes, sauf si ça passe par l’humiliation et le dénigrement.
Je me suis rendu compte de mon propre biais, dont j’ai eu très honte, en jugeant une maman à la sortie de l’école. Elle avait le cheveu blond et permanenté, un petit manteau en cuir et fourrure, un petit sac à main et des bottines, l’air pincé et hautain. Je l’ai jugée comme “maman lambda” ou “normie”. Alors que j’en sais rien. Faut pas juger sur le look, sauf s’il consiste en un uniforme (rappel important !). Si ça se trouve elle est hyper funky une fois les portes closes, ça m’étonnerait, mais on en sait rien. Me rendre compte que je me comportais de manière sexiste et jugeante m’a assez choquée. Qui je suis, pour lui dire qu’elle a l’air tarte ? Et moi, j’ai pas l’air tarte ? Voilà. Touche à ton cul, meuf.
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Je dis ça alors que je refuse de voir le film Barbie qui me semble être une campagne marketing Mattel sur fond de récupération d’idéologie proto-féministe. Je fais bien ce que je veux de ma vie. J’aime les poupées Barbie, je rêve d’avoir le van de Barbie (oui), j’adore les figurines mignonnes avec des yeux immenses, mais je ne veux pas voir ce film. En revanche, je ne l’interdirai pas à mon fils s’il a envie de se faire son idée. On s’en fout. Juste : laissez-nous faire nos trucs.
On peut aimer le girly de manière totalement non-ironique. On peut adopter un look de “pouffe” si on en a envie.
Est-ce si grave de ne pas suivre à 100% le modèle de la Cause ? Et c’est quoi, exactement, ce qu’on DOIT faire ? Comment doit-on présenter ? Je pensais qu’on fracassait les codes pour les investir. Je pensais qu’on pétait les murs pour se libérer, personne ne m’avait prévenue qu’il fallait abandonner autant de trucs à la porte.
Moi, j’aime les trucs de gonzesses. Les fleurs, les dentelles, le kawaii, les couleurs pastels et boire du thé avec mes amies. Est-ce que ça m’empêche d’éclater le patriarcat dès que j’en ai l’occasion ? Non. Le thé fait une très bonne arme, au besoin.