7 octobre 2022 [Le monde va mal. Ou pas. Ou pas.]

Heures de réveil : 8 octobre 2022

Je te jure je viens d’écrire ça. 8 octobre 2022.

J’étais laminée de fatigue, le corps douloureux, je me suis réveillée à 1h17 et rendormie à 3h, douleurs, puis chats à 6h. Ma gueule dans le cul fait de la spéléo.

Il faut que je retrouve un souffle, je suis beaucoup trop déprimée en ce moment, dès que je regarde les news (ce que je fais chaque jour), je bade, quand je regarde mon fil Telegram sur les actualités des guerres en cours avec des vidéos de tanks qui tirent ou de vrais gens plus en vie, je double bade. Et pas qu’en Ukraine. En Iran c’est grave la merde et ça sera réprimé dans la violence. On a un conflit à Taïwan aussi, qui pue, mais qui pue la fin du monde.

Lorsque je vois tout ça, je me dis à quoi bon les bouffonneries, et j’attends le grand flash sur le balcon en fumant, les yeux à moitiés clos, paisible et achevée.

Mais j’ai un enfant, dont je suis responsable. Plongée dans ma béatitude nihiliste, je pense à lui et les choses prennent une toute autre couleur. Qu’est-ce qu’on a foutu ? Et puis maintenant, c’est un peu tard, on l’aime tellement fort…on peut pas le rendre.

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Je lui explique les conflits petit à petit. Lorsqu’il parlait armes de guerre j’ai montré une vidéo (inoffensive) de mon fil Telegram des enfers (Damned History si tu veux toi aussi plonger dans les abysses et l’insouciance heureuse du narrateur qui a l’air particulièrement réjoui de la life), avec un tank qui tirait. J’ai dit voilà, il y a la guerre. Tu vois ton copain (dont j’ai oublié le nom) ? Ses grands parents habitent en Pologne, et à mon avis ils ont peur car ils sont proche de l’Ukraine. Tu te souviens de notre ancienne voisine du dessous avec son bébé ? Et bien elle est Biélorusse. Elle doit avoir peur pour sa famille, tu sais ?

J’ai ensuite expliqué qu’on vivait en temps de paix, dans un pays riche, qu’on avait nous aussi vécu plusieurs guerres dans le passé, et que ses arrières grands parents l’ont faite, cette guerre. J’ai raconté comment mes grands parents se sont rencontrés, dans une rame de train aux ampoules bleues pour que les avions ne les voient pas facilement.

😿 Et j’ai amorcé le récit du fascisme, au vu de mes aïeux absolument dans le groove (rappel peut-être utile : je suis franco/allemande, famille maternelle Lorraine/Vosges antifa de l’époque, famille paternelle Hambourg, mon père est né en 1937 et a vécu la guerre, enfant. La branche allemande a beaucoup collaboré durant les guerres…).

🐦 J’ai dit tu sais, il y a des gens qui se sont dit que tous les autres n’avaient pas le droit de vivre (j’ai fait un parallèle avec le racisme car il a beaucoup de camarades racisé-es et que ça lui parle), et ils en ont tué, plein, plein. 6 millions (là je pense à Maus et j’ai les larmes aux yeux). Et certaines des locomotives qui emmenaient les gens dans les camps ont été construites par ma famille. Je n’étais pas née, mais j’en ai honte. Je veux que tu saches cette histoire quand tu seras plus grand, parce que c’est très important. Et ce qui se passe en Ukraine est grave. Les tanks, dans la vraie vie, ça tue des personnes. Les armes d’assaut sont fait pour tuer des personnes en situation de guerre. C’est pas drôle.

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Je veux dire, ok, toutes les personnes qui jouent à des FPS (First Person Shooter : jeu en vue subjective où tu vois éventuellement le bout de ton flingue et où tu dois massacrer des gens, souvent en situation de guerre) ne sont pas dangereuses. Mais les simulations de guerre, fondamentalement, j’aime pas. Je comprends le frisson et l’aspect stratégique, le reste, non. Je ne juge pas pour autant. C’est juste qu’on présente des scènes de guerres à des enfants en leur disant que c’est cool de faire pan pan sur des fausses personnes. On les entraîne à la violence, à la désensibilisation, surtout. Sans accompagnement parental, sans explications, sans rien. C’est normal de jouer à la guerre.

Je sais aussi que, statistiquement, plusieurs tueurses ont joué à Final Fantasy ou Dragon Quest, pourquoi pas Farmville (il y a un fait divers avec un enfant négligé par sa mère qui jouait trop à Farmville il me semble + un autre cas en Corée ou au Japon avec un MMORPG, je dis ça de tête, je verrai à la relecture si je cherche les liens)(Non, la fée de l’édit a pas envie), Counter Strike ne rend pas violent.
En revanche, un FPS dans les mains d’Anders Breivik (le tueur de masse qui a tué 77 personnes à Oslo et Utøya) peut aider à une désensibilisation pathologique et à s’entraîner.

C’est pour ça qu’au lieu de dire “Mon fils ? Jamais !” ce serait pas mal d’accompagner un minimum tout ce petit monde.

Puis merde, j’ai achevé le score de 5000 zombies tués sur The Secret World et j’ai buté des boss dégoulinants de suie et de sang, qui suis-je pour juger ?

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J’ai fait mon petit speech à l’Enfant (7 ans) sur la guerre. Il fallait. J’ai vu le sourire de mon fils s’effacer quand j’ai répondu à son avant-dernière question : “Maman, tu plaisantes, hein ?” et se fermer définitivement quand j’ai répondu à “Mais pourquoi les gens font ça ?” 😳

🐦”Les gens, parfois, lorsqu’ils sont malheureux ou qu’il manque quelque chose à l’intérieur d’eux, ils se vengent sur les autres parce qu’ils pensent que le monde leur en veut, et qu’ils ont le droit de demander réparation. C’est pour ça que R. t’embête dans la cours, tiens : il lui manque quelque chose et je crois que toi, tu l’as, cette chose. Alors il se venge sur toi parce que c’est injuste que tu sois un cool kid et pas lui. Tes camarades savent que tes parents n’ont pas de problème d’argent, rien qu’à voir tes vêtements, tes baskets et tes affaires. Ils savent, à nous voir, qu’on est des parents plutôt sympas. Tu as tes deux parents, qui t’aiment, qui prennent soin de toi, tu habites un endroit confortable, tu es privilégié (oui j’ai sorti le mot hier pour amorcer la prise de conscience). Alors que tu as des copains, et bien…tu ne sais pas ce qu’il se passe chez eux. Parfois ils n’ont pas de papa, parfois c’est difficile de trouver à manger ou à s’habiller. Parfois un de leur parents n’est “pas gentil” mais ils n’osent pas le dire à l’école. Alors, quand ils te voient, toi, bizarre mais heureux, ils ne sont pas contents parce que eux aussi voudraient être aussi heureux.
– C’est des gros rageux.
– Oui, voilà, mais les rageux ont toujours de bonnes raisons de l’être, à leurs yeux.
– Tu as fini de réparer Steam ou pas encore ?
– …
– Et est-ce que tu peux me donner mon goûter ?
– Tu as écouté, tout le truc ennuyeux juste au dessus ?
– (son air s’assombrit”) Oui, mais je ne veux plus en parler pour le moment.”

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C’est chialant, de faire ça. J’ai remplacé son précédent agenda Minecraft qui présentait des armes dans les pages (des AK47 oklm dans un agenda scolaire, rien à battre des tueries dans les écoles et rien à battre qu’il n’y ait pas d’AK47 dans la version non modée du jeu.) par un agenda classique mais avec la même couv + stickers.

C’est chialant parce qu’il a 7 ans. Il a vécu et vit encore une pandémie meurtrière, né en 2015, il n’aura jamais connu d’été “doux” et est totalement habitué aux fortes températures. Pour lui, internet partout est normal, de même que le terrorisme et la violence du monde. Je lui ai expliqué que j’étais très malade, que j’aimerais travailler de nouveau mais que je sais que je n’en suis pas capable. “C’est pas juste pour toi, pauvre Madame Maman !” et il me souffle magique dessus, des fois que ça marche. Ça marche pas, mais c’est trop adorable donc je fais un peu semblant. Je lui ai dit que les adultes aussi avaient peur, que ceux qui n’avaient pas peur faisaient semblant.

“Oui, mon cœur, tout le monde a peur. Et quand tu caches ta peur, des fois, ça te rend bizarre et hargneux, parce que tu détestes les gens que tu penses être sans peur. Mais en vrai, tout le monde a peur.”

En vrai, tout le monde a peur. Vraiment tout le monde.

🦈🦈🦈

Peu importe la thune, et, au contraire, l’argent et la peur d’en perdre est une des peurs les plus répandues. Plus que de perdre sa vie, pour beaucoup. Je dis ça en pensant aux personnes décédées durant des selfies suicidaires en haut d’immenses bâtiments ou devant des trains. La reconnaissance des autres est parfois plus importante que ta propre vie et l’argent est roi. Lorsque tu es roi, tu ne sais plus ce que c’est que de ne pas l’être, et tu te comportes comme si c’était normal.

Tout le monde va te dire “je me fiche de l’argent” mais c’est faux. Tu te retrouves demain avec zéro euro et zéro épargne, tu peux perdre ton travail, si ce n’était pas déjà le cas, tu peux perdre ton logement et tes proches. Personne ne se fout de l’argent, sauf les personnes qui en ont. Facile de dire que ce n’est pas ça qui fait le bonheur quand “ça” te nourrit, te loge et te blanchit (pun intended) sans effort. En revanche, lorsque tu dois choisir entre te nourrir, te loger et te soigner, l’argent devient vite un enjeu majeur. “L’argent ne fait pas le bonheur”, ce bullshit méritocrate privilégié de l’infini 🙄

C’est un conditionnement total de dire que l’argent ne fait pas le bonheur. On te dit “Tu n’es pas heureuse ? Tu n’as pas d’argent ? C’est absolument sans aucun rapport, décorrélation totale”

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On a peur de ne plus avoir d’argent et la seconde thématique néolibérale, c’est l’insécurité.

“Insécurité”

Mais en fait, si on regarde d’un peu plus loin…

Ce qu’on appelle “l’insécurité” a bel et bien diminué (globalement) en France, je te colle ici un article d’Alternatives Economiques collectivisé en PDF car en accès abonné-e. Les dangers du Dehors sont moins élevés, mais on nous vend du jeune de “banlieue” jogging basket casquette qui n’a qu’une idée en tête : te dépouiller de ton précieux argent gagné à la sueur de ta rentabilité ou de ton héritage, c’est selon. Tout comme on va chercher la thune chez les personnes précaires, ces gens qui touchent éhontément 3 clopinettes de la CAF.

🦅 Alors que les plus grands prédateurs sont souvent les mieux payés. Un mec riche pourra harceler moralement ses employé-es pendant plus de 10 ans, on peut être nombreuxses à faire confiance en la justice et à le dénoncer, mais il sera augmenté et rien ne se passera. Toute ressemblance avec des faits similaires que je vis actuellement serait totalement fortuite.

Parce que la peur nous rend cons. Quand on a peur, on se replie sur soi, je le sais, c’est ce que je fais. Le repli va prendre différentes formes mais l’extrême droite en aura toujours le bénéfice, parce que le but, c’est ça. Nous refermer sur nous-mêmes, dans un sentiment d’unité nationale absolument terrifiant (je veux pas être unie avec des faf, désolée), tirant à vue sur les contestataires, tous ces gens, là, qui essayent de nous sortir de notre sidération totale face au monde. On fait chier car on dit “Si tu fais confiance, si tu tentes le coup, des fois c’est cool”.

Je suis actuellement dans la sidération et il y a de quoi, franchement. L’Apocalypse c’est pas un flash lumineux, c’est 36 saisons de Plus Belle La Vie passés au ralenti et toi attachée à ton fauteuil les yeux grands ouverts avec une perfusion de Xanax et une perfusion de caféine, histoire que t’en rates pas une miette tout en restant bien sage.

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Mais hey, le monde va beaucoup mieux !

On est tenté de rationaliser, comme Steven Pinker qui balaye toutes les incertitudes d’un “c’était pire avant” relativiste. En oubliant que la violence s’est surtout transformée au fil du temps. Le harcèlement moral et les discriminations en entreprise, le rejet des personnes LGBT+, le racisme systémique, le sexisme…

Sur le premier tableau, en triant sur “Atteinte à la dignité des personnes” (qui comprend le harcèlement, la diffamation, la discrimination), la courbe fait :

Tu vois une corrélation avec les débuts d’internet ou pas ? Nan c’est ptet que moi, hein. Mais on a beau dire le monde est cool, on évolue, on apprend de nos erreurs, macache ouais.

Depuis #metoo et #balancetonporc, les plaintes ont augmenté, l’effet a pu être mesuré, notamment par ce biais :

VIOLENCES SEXUELLES : LA LIBÉRATION DE LA PAROLE SE TRADUIT EN PLAINTES

“Les plaintes pour agression sexuelle ont progressé de 31,5% par rapport à la même période en 2016”

Une victoire à la Pyrrhus. Mais une victoire quand même.#Droit #Police #Justice #MeeToo pic.twitter.com/xmmUwRhWTA

— Victor Mollet (@VictorMollet) 25 janvier 2018

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Certaines choses avancent. D’autres pas.

Les chiffres, on leur fait dire ce qu’on veut.

Est-ce que, parce que le monde est globalement moins violent, il faut cesser de lutter ? Non, et c’est le danger du relativisme à la Pinker.

Est-ce que ce début de phase maniaque arrivera à relever un peu mon moral ? Non parce que c’est chiant d’avoir l’euphorie bienvenue en parallèle à la dépression face au monde (que je décorrèle de la dépression chronique, on est ici dans le réactionnel), d’un côté je suis pleine d’énergie, de l’autre je me demande à quoi bon continuer à me faire chier.

J’ai raté plusieurs jours, cette semaine. Parce que justement, c’est ce désespoir que je ressens qui m’empêche d’écrire, parce que “à quoi bon” ? Je sais comment je vais sortir du truc, je sais juste pas quand. C’est pour ça que je tente d’autres modalités d’écriture en zone de confort à partir d’aujourd’hui (l’iceberg de la culture internet et les trucs cringe c’est doudou). Il faut que je sorte de ça, sinon tu vas réaliser qu’en réalité, je suis une emo-girl de 14 ans qui fait un peu plus que son âge.