Partie 2 sur 5 dans la série Femmes domestiques


Avant d’entamer nos lectures et de nous interroger sur les femmes au foyer, je pense qu’un rappel du contexte historique est plus que nécessaire. En tout cas, pour moi, ça l’était, mes cours d’Histoire sont loin. Il est plus que probable que j’aie fait une erreur ou une étourderie : n’hésite pas à me l’indiquer.

Contexte politique

Révolution, révolutions, évolutions ?

Nous l’avons vu dans l’épisode précédent : on situe l’invention de la ménagère vers 1850. Cette construction capitaliste avait pour but d’augmenter l’espérance de vie, de diminuer la mortalité infantile, et de « caser » les hommes. Une femme à la maison est nécessaire à la société toute entière. Une femme sans droit de vote et sans possibilité de divorcer, même pas citoyenne, juste ménagère, une femme domestique, c’est super utile, ça fait des bébés et les poussières.

Mais en 1850, on est au beau milieu d’une Révolution qui précède le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte (1851). Le Second Empire durera de 1852 à 1870. Il s’achève avec la défaite à Sedan face aux Allemands (encore eux !).

À partir de 1870, c’est la IIIème République, avec Thiers, Mac Mahon, Grévy, Carnot, etc.

En août 1914, l’Allemagne déclare de nouveau la guerre à la France, et nous voilà dans la Première Guerre Mondiale.

La période n’est pas extrêmement complexe sur le fond, mais la multiplicité des événements, les renversements, les conflits, les répressions, en font un joyeux bordel.

Ne t’en fais pas : les droits des femmes c’est encore de la science-fiction pour les politiciens, même si des femmes sont en lutte. 

Pour te repérer, je t’ai trouvé des frises chronologiques 1789/1914. Clique pour agrandir.

 

Le spectre de la guerre

Non seulement la France est instable politiquement à l’intérieur de ses frontières, mais le contexte européen est extrêmement tendu. Il n’y a pas qu’en France que des révolutions ont eu lieu : les victoires populaires ont inspiré beaucoup de monde. L’influence française en termes de zbeul est un sujet de grande fierté.

Et on fait quoi, quand on ne sait plus quoi faire ? La guerre.

Et pour faire la guerre, il faut quoi ? Des soldats.

Et pour faire des soldats ? Il faut des bébés. Encore plus de bébés. Des bébés à l’infini, des bébés en ribambelle, des bébés ici, là, des bébés partout, des bébés maintenant, il faut des bébés, plus de bébés. J’espère avoir réussi à traduire correctement l’esprit du temps. Réarmement démographique !

C’est soit ça, soit pour faire des équipes de foot.

Image par Emilian Robert Vicol de Pixabay

Et les femmes, dans tout ça ?

Alors ça tombe bien, car la période a été une des plus terribles pour les femmes révolutionnaires. On se foutait bien de leur gueule, on les envoyait en prison, on les exilait, si on ne les tuait pas directement. En gros.

La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen ne concernait QUE les hommes. Va me dire que l’inclusif n’est pas nécessaire, tiens. Ce document précieux et historique ne concerne que moins de 50% de la population (il faut être majeur pour voter) mais on a l’illusion d’un truc de ouf, alors qu’il formule tout en excluant des normes auxquelles les femmes sont, elles aussi, obligées de se soumettre, mais sans pouvoir bénéficier des droits qui vont avec. Le droit de vote est l’un de ces combats.

Illustration de Chavannas, carte postale, 1909

Une sacrée arnaque, oui.

Elles ont beau former des Clubs de Femmes, pour réfléchir ensemble, produire des écrits, des journaux, tout le monde se fout de leurs gueules.

Encore un peu de documentation ? Mais je t’en prie, voici une vidéo que j’ai trouvé très bonne sur l’histoire des féministes durant cette période qui correspond à la première vague du féminisme (note-le, ça sera dans le devoir de fin de module) :  

Et le Colonialisme ?

C’est impossible de ne pas parler du colonialisme français à cette époque.

Il s'agit d'une frise des conquêtes coloniales et de la politique coloniale entre 1870 et 1917

J’ai retrouvé des manuels d’enseignants « expatriés », notamment en « Indochine » (Vietnam, Laos, Cambodge). Je n’ai pas encore eu le courage d’encaisser ce qui serait dit, car c’est clairement dans un but d’évangélisation locale et il va me falloir un peu de temps. Mais ce sera fait. En tout cas, la question coloniale est, en France Métropolitaine, peut-être en arrière-plan par rapport au contexte en mode yoyo sur des dizaines d’années.

Par ailleurs, mis à part pour l’Algérie, il n’y a quasi aucune information qui arrive aux oreilles du clampin moyen à propos des pays colonisés. L’ambiance étant, on va pas s’mentir, au racisme crasse (on parlera aussi de l’eugénisme, je te le promets), j’imagine que les gens n’y prêtaient pas vraiment attention. Je peux me tromper. Si je me trompe, tu me le dis, et je change ce paragraphe.

Non signé, « Ce que devient un député. Première session. — Deuxième session. — Troisième session », L’Illustration, 8 août 1846

Contexte social

Une France qui se transforme durablement

Même si le contexte est hautement instable, certains bouleversements impactent encore la France aujourd’hui. 

Les inégalités entre ruralité et urbanisation vont croissant : avec l’essor de l’industrialisation, les populations se déplacent et les campagnes se vident. Les progrès en agriculture nécessitent également moins de main d’oeuvre pour de meilleurs rendements (en gros on découvre les pesticides et les engrais). Les bassins miniers sont découverts et exploités, l’industrie se colle aux mêmes endroits, les populations se déplacent là où il y a du travail. On connaît la suite, avec l’effondrement industriel.

C’est la période où, fortune aidant, les très riches deviennent la Haute Bourgeoisie : banquiers, industriels, hommes d’affaires… La Moyenne Bourgeoisie, c’est l’équivalent des classes dites « moyennes » d’aujourd’hui : les personnes qui travaillent et qui réussissent à s’en sortir correctement. La classe ouvrière voit le jour durant cette période, des mouvements politiques émergent en réponse aux conditions de travail catastrophiques.

« La femme est la prolétaire du prolétaire »
– Engels, L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État (1884)

Ce que Engels veut dire ici, c’est que le plus précaire des précaires des oubliés de la vie sera dominant sur sa conjointe, s’il en a une. Il aura le droit de tenter de la dresser comme il l’entend. Elle va faire quoi ? Aller porter plainte alors qu’elle n’est pas citoyenne et est sous la tutelle de son mari ?

Daumier « — Citoyennes… on fait courir le bruit que le divorce est sur le point de nous être refusé… constituons-nous ici en permanence et déclarons que la patrie est en danger !… », série Les Divorceuses No 1, Le Charivari, 4 août 1848

Dans le même temps, la science avance

On en sait de plus en plus sur l’hygiène et la médecine, permettant ainsi une meilleure survivabilité des nourrissons. La mortalité infantile diminue, donc, avec l’éducation des femmes et une meilleure compréhension des maladies, infections, pathogènes. On comprend de mieux en mieux comment éviter les maladies, même si se laver les mains reste en option.

En 1865, Louis Pasteur dépose le premier brevet, concernant la conservation du vin par pasteurisation. Cette découverte et ses applications sont un élément central du Progrès : on peut désormais mieux conserver certains aliments, car il va sans dire que, même s’il a été inventé vers 1834, personne n’avait vraiment de réfrigérateur à ce moment-là.

Et puis, on en sait de plus en plus sur le corps des femmes et les hormones. On sait qu’il y a une fenêtre de fertilité plus ou moins éloignée des menstruations, que la température basale change légèrement, et on met ça à profit, pour avoir (ou pas) des enfants. Les anciennes recettes pour provoquer des avortements ont fait leur petit chemin, depuis les poches des sorcières jusqu’aux faiseuses d’anges.

Les moyens de contraception existent, on l’a vu dans Les Philtres #8, je t’y renvoie si tu veux en savoir plus.

 

Toustes à l’école…ou presque.

L’école a été rendue obligatoire par Jules Ferry en 1882. Mais elle était évidemment genrée. Aux garçons le sport, les maths, les trucs sérieux, aux filles la pouponnerie et l’éducation ménagère. M’enfin, on leur apprenait à lire et à compter. Car c’est utile pour tenir un livre de comptes, je suppose.

Cours de Morale, cours de Civisme, cours de Poésie, on tient les femmes bien éloignées du savoir scientifique, mais on leur apprend à devenir des femmes vertueuses.

Malgré tout, cette éducation au ménage a permis une meilleure santé à toute la famille. On aurait préféré que les hommes aussi puissent bénéficier des conseils ménagers, mais, hey, on ne peut pas être citoyen ET père de famille, c’est beaucoup trop de boulot.

Bertall, « Jeu de volant. — Le père est à la Chambre », « Jeu de bouchon. — Le père est au cabaret », Les Enfants à Paris, illustration extraite de Le Diable à Paris. Le Tiroir du Diable, 1846, vol. II, p. 257

Rôles féminins

En termes de rôles, on l’a vu, les femmes sont désormais idéalement au foyer avec des enfants. Elles sont chargées des tâches domestiques, de l’éducation des enfants, de la cuisine et de la gestion du foyer. Si elles ne se marient pas, elles seront enseignantes, religieuses, ou les deux. Le choix n’est pas super vaste en matière de plans de carrière.

Un atelier de couturières au début du XXᵉ siècle
Rue des Archives/RDA
Photographie anonyme, Romorantin, 1905

Attentives aux autres, elles prodiguent les soins aux enfants, aux malades et aux personnes en fin de vie.

Moralement, la femme au foyer est une représentation de la Vertu et du Courage. L’abnégation infinie, le sens du sacrifice, faire passer les autres avant soi, toujours être présente et disponible, être la ressource la plus précieuse de la maison, en somme.

Mieux qu’une cheminée à grand tirage, adoptez une femme domestique !

Coll. IM/Kharbine-Tapabor
Photographie anonyme, vers 1908.

Droits des femmes

Bon, alors, ça va aller vite. Ce ne sont pas des Citoyennes. Elles ne peuvent pas voter, on les a d’ailleurs sorties de force de la politique. Elles n’ont pas non plus accès à la propriété ou à l’argent gagné. Sous tutelle du père, puis du mari, elle se transmet tel un fardeau à une autre famille.

Le divorce ?

C’est compliqué. Si au Moyen-Âge les liaisons pouvaient cesser sans fracas, la présence de l’Église se fait de plus en plus forte au fil du temps. Le divorce est interdit en 1563, lors du Concile de Trente. En 1791, le mariage devient laïc, en 1792 on peut rompre un mariage.

BIZARREMENT, c’est 60% des femmes (à la louche) qui demandent le divorce. Et ça, ça ne va pas du tout. En 1804, des restrictions sont appliquées pour le divorce qu’il faut sérieusement justifier. En 1816, la loi « Bonald » abolit le divorce. En 1884, le divorce pour faute, très restrictif, est rétabli.

1941 : on interdit le divorce avant 3 ans d’union sous Vichy. Ce n’est qu’en 1975 que le divorce est modifié « en mieux », et en 2005, enfin, la procédure se simplifie et ne nécessite plus de « faute ». 

  1. Voilà. Ici, on est au début des années 1900.

Daumier, « Toast porté à l’émancipation des femmes, par des femmes déjà furieusement émancipées », série Les Divorceuses No 5, Le Charivari, 12 octobre 1848

Aparté sorcières

J’en profite pour dire que la chasse aux sorcières n’a pas eu lieu au Vème siècle et n’a pas été organisée par des « teubés incultes ». Non. Les chasses aux sorcières, ça commence au XVIème siècle et ça se termine au XVIIIème.

La dernière sorcière condamnée en tant que telle était Anna Göldi, elle a été exécutée en Suisse en 1782. 10 ans avant la Révolution Française. 1782.

Puis, l’éducation. 

D’accord, c’est super utile de savoir gérer un foyer, j’te jure, c’est cool. Mais elles avaient ça et la religion, niveau éducation.

Leurs talents et fonctions sont donc utilitaristes. Elles doivent fonctionner, servir, être utilisées au mieux, telles des ressources naturelles. Si elles travaillent (hérésie !), elles n’ont jamais accès aux « métiers d’hommes ».

Là où un homme apprendra la culture, celle qu’on projette, la femme apprendra la culture, celle qu’on sème.

Tout doit être optimisé pour une utilisation plus efficace. Mon langage est très déshumanisant, hein ? C’est normal, on colle à l’époque.

Parlons peu, parlons torchons

Être une ménagère modèle en 1900’est tout sauf simple. Si tu penses galérer avec ta charge mentale, tu galères, mais moins que les ménagères de ces années-là.

  • Lessive : planche, savon, eau chaude. Lavandière était un travail des plus épuisants, qui cassait les corps tout autant qu’un travail d’usine. Tremper, savonner, rincer, essorer, faire sécher à l’infini, à la seule force des bras. En 1851, un brevet est déposé pour la première machine à laver le linge à manivelle. 1908, première machine à laver électrique.
  • Vaisselle : tout est bien évidemment lavé à la main, il faut cependant connaître quels produits utiliser avec quel matériau. Cela fait partie des savoirs des femmes bien domestiquées.
  • Alimentation et cuisine : dans ces années, plusieurs produits (miel, viande, vin, huiles, entres autres) étaient régulièrement contrefaits. Il fallait être particulièrement avisée pour acheter quoi que ce soit, peser chaque dépense de manière rationnelle pour perdre le moins possible. Les aides culinaires (bouillon, gélatine, fond de sauce) n’existaient évidemment pas et un repas pour 10 personnes nécessitait un investissement massif en temps et en argent.
  • Autres responsabilités : une femme en milieu rural aura souvent une basse cour comprenant divers lapins et volatiles. Elle aura aussi en charge le verger et le potager. Une femme en milieu urbain aura souvent besoin de travailler pour acheter ce qu’elle ne peut cultiver. Le travail est permis, à la discrétion du mari, cela va sans dire. Préférence est donné au travail à domicile, ou chez des employeurs bien sous tout rapports (bonnes, cuisinières, nounous). On est servante chez soi ET chez les autres.

On va le voir dans l’article suivant, l’économie domestique est une science qui pèse ses 300 pages illustrées. Les conseils concernant les batteries de cuisine et les différents matériaux (fer blanc, alu, cuivre, fonte) sont toujours d’actualité et très précis. Oui, je veux changer ma batterie de cuisine, et je pense que ces conseils d’il y a 120 ans sont plutôt bons.

Si tu habites dans le Nord, vers là bas, tu peux aller à l’Écomusée de l’Avesnois voir des machines à laver anciennes, y’en a !

Regarde moi cette merveille, elle s’appelle « Le Thor ». Ça claque.

Qui étaient les féministes ?

Sans ces bonnes femmes, on n’en serait pas là. Il en manque mais cette petite liste peut mener à plein d’autres découvertes lors de tes recherches. C’est en vrac, parce que. Je suis fatiguée, voilà. Bon. Je pose aussi les liens vers leurs fiches Wikipédia, je fais ce que je veux :

  • George Sand (1804-1876) Écrivaine et intellectuelle française, connue pour son œuvre littéraire et son engagement social.
  • Louise Michel (1830-1905) Militante anarchiste et féministe, célèbre pour son rôle dans la Commune de Paris.
  • Hubertine Auclert (1848-1914) Suffragette française, elle milite pour le droit de vote des femmes, publie des articles et fonde le journal La Française.
  • Marguerite Durand (1864-1936) Journaliste et militante, elle fonde le premier journal féministe, La Fronde. Elle lutte pour les droits des femmes, notamment le droit de vote et l’égalité professionnelle.
  • Natalie Clifford Barney (1876-1972) Écrivaine et salonnière, elle soutient les droits des femmes, milite pour les droits des lesbiennes et l’égalité des sexes. Établit un salon littéraire, le Salon de l’Amazone  qui devient un lieu de rencontre pour les intellectuels et les artistes.
  • Clara Zetkin (1857-1933) Militante socialiste et féministe allemande, active en France et en Allemagne, elle défend l’égalité des droits et organise des conférences internationales sur les droits des femmes.
  • Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859) Poétesse et écrivaine, elle aborde des thèmes féministes dans ses œuvres. Son travail met en lumière les luttes et les souffrances des femmes.
  • Virginia Woolf (1882-1941) Écrivaine britannique, bien que son œuvre soit principalement des années 1920, elle commence à développer ses idées sur l’égalité des sexes dans les années précédentes. Elle plaide pour l’éducation des femmes et leur indépendance économique.
  • Flora Tristan (1803-1844) Écrivaine et militante socialiste, elle est l’une des premières à relier les luttes des femmes et des travailleurs. Son livre, L’Union ouvrière, défend l’idée d’une solidarité entre les classes et les sexes.
  • Pauline Roland (1805-1852) Éducatrice et militante, elle est l’une des premières à proposer des idées sur l’éducation des femmes. Elle s’exprime aussi sur le droit au travail et l’émancipation des femmes.
  • Rosa Luxemburg (1871-1919) Bien qu’elle soit principalement connue pour son engagement socialiste, elle défend également les droits des femmes et leur inclusion dans la lutte révolutionnaire. Elle critique la marginalisation des femmes dans les mouvements politiques.

Coll. Kharbine-Tapabor
Des suffragettes françaises vers 1910

Pour finir avant de continuer

…hey, c’était intense, hein ? Ouais, moi aussi. Pfiout. J’espère que tu as pu tirer quelque chose de tous ces mots.

Le prochain épisode parlera d’un livre contemporain d’économie domestique Républicain (= laïc) et je te donnerai évidemment les conseils batterie de cuisine, t’inquiètes.

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