Partie 5 sur 5 dans la série Femmes domestiques


Nous sortons de la période 1848 – 1914 pour continuer notre périple au royaume de l’éducation des enfants.

Jusqu’ici, on était encore dans la Belle Époque. Belle Époque pas pour tout le monde, bien sûr. N’empêche, la vie est plus confortable qu’au XIXème siècle et c’est pas mal cool. Des progrès en médecine, des innovations technologiques, l’accès à de nouvelles ressources via l’appropriation injuste de territoires d’outre mer, ça se la donne grave à Paris et dans les grandes villes.

Sauf que, politiquement, c’est toujours un merdier pas possible. Merdier pas possible sur lequel je ne vais pas épiloguer car je te conseille l’excellente série de vidéos sur la Première Guerre Mondiale de la chaîne YouTube « L’Histoire nous le dira » :

Et donc, encore, ces satanés Allemands reviennent.

Je me permets, je suis franco-allemande, j’ai droit. J’en ai pas chié toute mon enfance à me faire traiter de nazie si c’est pour pas pouvoir vanner un peu.

1914 : une guerre mondialisée

L’assassinat de François-Ferdinand d’Autriche dans des circonstances totalement rocambolesques (voir ici sur le Musée de la Grande Guerre) déclenche la première vraie guerre globale, mondialisée.

On fait la guerre en Alsace-Lorraine, comme d’hab, j’ai envie de dire, mais on s’entretue également dans les Balkans et dans le Pacifique. Tout le monde se met sur la gueule avec des armes lourdes, fabriquées par les nouvelles industries et modes de prod…destruction. Ces armes sont plus que mortelles et redéfinissent totalement les styles de combat qui deviennent surtout des guerres de position, avec les tranchées et tout ça.

Heureusement, la France avait préparé ses enfants de longue date à ce futur conflit. Quand je te dis qu’on encourage la natalité avant tout pour ce genre de problème, je ne te mens pas. Les pertes seront extrêmement lourdes de tous les côtés, faut des soldats pour remplacer les soldats.

 

Les enfants à la guerre

Cela fait longtemps qu’on les prépare, à l’école. Si les filles continuent leurs apprentissages genrés de bonnes mères de famille, les garçons subissent des entraînements physiques, les jeux de guerre sont encouragés avec des armes en bois. La haine du sale Boche est soigneusement transmise et on rejoue les batailles à qui mieux mieux. 

Cet entraînement n’est pas anodin du tout : filles et garçons sont surtout conditionné-es au patriotisme.La France est Grande, la France est Fière, les enfants sont de bons patriotes, défendre leur pays au péril de leur vie est quelque part leur destinée. Les garçons se préparent à tomber au champ d’honneur, fantasment des conflits épiques de l’époque précédente sans se douter qu’ils finiront dans les tranchées, mutilés, traumatisés ou juste morts.

Les filles, elles, savent qu’elles auront pour rôle de soutenir l’effort de guerre. Elles devront être courageuses et défendre la France à leur manière.

Il existe des femmes soldats, mais le rôle des femmes sur le front se cantonne surtout à la logistique et aux soins aux blessés.

 

Un formatage profond

Les éléments de patriotisme retrouvés dans les livres de la période que nous avons pu voir préalablement ont bien sûr contribué à cet engouement pour la guerre. Elle n’était pas forcément vue comme un fléau, plutôt une libération. On allait récupérer l’Alsace et la Lorraine, nom de dieu ! On allait enfin régler nos comptes !

Pour que les enfants soient dociles, il faut s’y prendre tôt. On efface l’ego le plus possible en considérant encore et toujours ces enfants comme des êtres à modeler, des extensions de leurs parents, c’est tout juste si on leur prête une personnalité qui leur est propre. Cela était déjà apparu très nettement sur les études de texte des articles précédents. Des livres d’éducation où on ne parle presque pas des enfants ??!

Ce qui était étonnant pour moi dans ces livres d’éducation prend ici tout son sens : l’effacement de soi au profit de la Patrie est crucial pour l’engagement en guerre. L’esprit de sacrifice pour quelque chose de plus grand que soi, que sa propre vie, ça ne s’acquiert pas à coup de bisous dans le cou.

 

L’effort de guerre au féminin

Et ouais, qui va fabriquer toutes ces armes dans les usines ? Les femmes.

Qui va reprendre la main sur l’agriculture ? Les femmes.

Qui va aussi gérer les enfants, les blessés, les personnes âgées ? Les femmes.

Et c’est qui qu’on tond à la libération ? Ah, pardon, pas la bonne guerre.

La première difficulté de ces femmes, c’est que les outils de travail ne sont souvent pas adaptés. Et puis aucune femme, ou si peu, n’a été formée aux « métiers d’hommes ». Le patriarcat s’est pour ainsi dire tiré une balle dans le pied sur ce coup-là.

Ce sont les femmes qui labourent, qui sèment, qui prennent soin des récoltes qui serviront à l’effort de cette guerre qui va durer 4 ans. Malgré les conditions abominables, elles continuent de nourrir leur Brave Patrie.

Ce sont aussi les femmes, bien avant Rosie The Riveter, qui occupent les postes à l’usine.

 

Des pertes inimaginables

Note : en plus de la guerre, il y a eu une pandémie de Grippe Espagnole. Les chiffres sont très difficiles à préciser : manque d’archives, destruction de celles-ci, confusion sur le terrain. Pas évident de déterminer si un soldat déjà affaibli dans les tranchées est mort de la grippe ou des autres innombrables saloperies qui cohabitent dans la boue.

Comme c’est une guerre mondiale, je vais essayer de trouver des chiffres à ce niveau, je préciserai ensuite pour la France en bonne chauvine que je suis.

Le Monde Diplomatique propose une infographie intéressante sur la seule croissance de la population : 

Dans cet extrait, toujours du Monde Diplo

« La pandémie de grippe qui sévit dans le monde en 1918 et 1919 aurait causé de 20 à 40 millions de morts. Le bilan de la première guerre mondiale est, lui, d’environ 9,5 millions de morts. »

Source : Histoire des sciences médicales, tome 38, n° 2, 2004.

 

J’ai aussi ce joli graphique qui montre les creux démographiques suivant les deux guerres mondiales : 

En prenant les tableaux, on passe de 41 620 000 habitant-es en 1913 à 38 670 000 en 1918.

Cette guerre est (jusqu’à la suivante) le conflit le plus meurtrier de l’histoire du monde. 

Émancipation

Ces femmes ont conscience de leur sacrifice, elles ont conscience de leurs efforts, il serait donc injuste de les renvoyer au foyer une fois la guerre terminée, hum ?

Non, allez, ce ne serait vraiment pas drôle…hein ?

Et bien : bof.

Oui, les femmes gagneront des droits, surtout au niveau de l’accès à l’emploi et à l’éducation, mais elles ne seront citoyennes qu’au moment du droit de vote, en 1944. Le courage dont a fait preuve le « sexe faible » a presque compté pour du beurre aux yeux des hommes.

Et puis, les bébés. Il faut encore restreindre le droit à l’IVG et trouver des mesures pour obliger les femmes à retourner au foyer pour en pondre encore quelques-uns. Les droits gagnés durant la Grande Guerre se délitent tranquillement durant les années qui suivent.

Un pas en avant, un pas en arrière… c’est ce qui va se passer en France jusqu’aux années 70. Et oui, ce n’est qu’en 1975 que le divorce est de nouveau envisageable.

Paye ta France des Lumières, hein ? 

Dessins d’enfants

Nous allons terminer ce billet par une section particulièrement difficile. Car les perdants, ce sont les enfants. Comment voyait-on la guerre ? Quelles étaient les représentations que les enfants s’en faisaient ?

Je te propose donc de regarder ensemble des dessins d’enfants qui parlent de la guerre. Voir leur trait parfois maladroit représenter la mort et les canons, ça restera en moi certainement toute ma vie.

Sur différents sites dont tu trouveras les liens juste en dessous, j’ai pu trouver une collection riche et intéressante.

L’incendie de la Cathédrale de Reims

Tu sais, Julot ne joue plus avec nous, il ne veut jamais faire le boche.

Regarde, le môme toto il s’est coupé à la main pour faire croire qu’il était un blessé de la guerre.

Tout pour la France
Emprunt National : les enfants de ma classe versent bien leur souscription.

Le coq gaulois annonce la victoire et la paix. 14 juillet 1916.

Les femmes des mobilisés quittent leur travail habituel pour fabriquer des obus et des armes dans les usines.

Les femmes meurent par le fer. Les maisons sont brûlées.
Les enfants meurent par la faim.
Les hommes pour la patrie.

Incendie de l’hôtel de ville d’Arras, Jean Yves Riedberger

 

Je suis impressionnée et attristée par le soin apporté à ces dessins. Que dire de plus ? 

Regarde. 

Souviens-toi ce que tu dessinais à l’école primaire.

Moi, je dessinais des girafes, pas la mort des miens.

 

 

Dans la même série<< post précédent : Femmes domestiques #4 : un modèle d’éducation Catholique (1872)