J’avoue ne pas m’être posé la question de qui a créé le Front National (FN puis RN pour Rassemblement National) jusqu’hier, lorsqu’un mec random sur les réseaux sociaux plein d’aplomb a sorti :
« Le RN a été fondé par des résistants, révise ton histoire. »
C’est relativement simple de provoquer une réaction en moi : tu tiens des propos chelou ou tu fais le sachant condescendant.
Bingo.
Maintenant, je veux savoir si c’est vrai.
Table des matières
Débarrassage de biais
D’emblée, ça semble gros, mais…n’oublions pas que les gens sont les gens. Qu’une personne trahisse son camp politique, je veux dire, ça arrive. Et je pense que, par respect pour leur identité, on devrait les considérer comme leur genre politique de destination plutôt que de les considérer comme appartenant à leur genre politique de départ. Euxlles ne font absolument pas le même effort, faisons preuve d’ouverture d’esprit en reconnaissant que si on a fondé le Front National, il y a de fortes chances qu’on soit d’extrême-droite. Vite fait.
Une personne communiste (oui je me suis documentée quand même, et oui, j’ai vu passer ça) qui finit au FN, c’est un rouge brun, donc un brun, parce que rouge + brun ça fait brun. Révise ta colorimétrie, Jean-Nuisible.
Puis il y a « résistant » et « résistant », hein ? Bizarrement, en juin 45, il n’y avait plus que des résistant-es. Tous les collabos avaient fondu au soleil.
Le Docteur Petiot, tu sais, le type qui s’est fait passer pour un résistant, passeur de personnes juives ou dissidentes, pour mieux les voler et les tuer ?
« À partir de 1942, il propose un passage clandestin en Argentine à des personnes craignant d’être poursuivies par la Gestapo. Les candidats à l’évasion sont invités à se présenter chez lui, de nuit, munis d’une valise contenant bijoux, espèces et argenterie. Sous le nom de « docteur Eugène », il recrute deux rabatteurs : un coiffeur, Raoul Fourrier, et un artiste de music-hall, Edmond Pintard. Les prétendants au voyage disparaissent mystérieusement sans atteindre l’Amérique du Sud – pas même Yvan Dreyfus, un prisonnier envoyé par la Gestapo pour infiltrer le réseau. »
Vu la période, n’importe qui pouvait prétendre n’importe quoi, il ne se serait pas fait choper (bêtement), il aurait absolument pu faire croire qu’il avait sauvé toutes ces personnes.
La fondation du Front National
Allez, on va mater ça. J’ai un article de Cairn, nommé Les Origines du Front National, par Grégoire Kauffmann en 2016.
On a donc un mouvement qui débute par les « jeunes néofascistes du mouvement Ordre Nouveau (ON) » qui ont pour emblème la croix celtique (à un moment va falloir capter que c’est aussi un signe ostentatoire idéologique, mais on n’en est pas là).
Ces personnes sont contre l’ordre bourgeois, veulent défendre l’Occident, la pureté blanche, évidemment, et cherchent une troisième voix entre communisme et capitalisme. AH ! Un début d’explication sur la récupération.
Il est aussi indiqué que Jean-Marie Le Pen était « modéré » à l’époque et que le rassemblement frontiste fait meh. Et qu’il a fait main basse sur le parti. Passionnant.
Post-68, c’est la débâcle mais les militants apprennent à devenir de plus en plus violents. C’est la fin de l’OAS (Organisation Armée Secrète, défenseuse des intérêts français en Algérie), alors il faut bien compenser cette envie de destruction.
Ensuite, on fonde le GUD (Groupe Union Droit/Groupe Union Défense) car les milices, c’est rigolo.
Un foutoir pas possible
En résumé : tout le monde se trahit et se tire dans les pattes. En tant que gauchiste, je ne vais pas me moquer, parce que ce serait l’hôpital qui se fout de la charité. Et je suis bien charitable, oui oui.
On parle d’Ordre Nouveau, terme récupéré en Italie, il y a des acronymes de partout, et ceci :
« Alors en pleine ascension électorale, le MSI prétend rester fidèle à l’idéologie fasciste qui fonde son identité depuis sa création en 1946. Des critiques s’élèvent néanmoins au sein du parti pour dénoncer les tendances conservatrices, électoralistes et parlementaires d’une direction qui, au nom de l’anticommunisme, aurait abdiqué toute velléité révolutionnaire et, en prêtant main-forte aux majorités de la Démocratie chrétienne, renoncé à la pureté de ses fondamentaux . (Source) »
Il est à noter que cette acclimatation au capitalisme et à ses douceurs les accompagnera sur la durée. Le fascisme étant l’outil du capitalisme, c’est peu étonnant : les deux vont main dans la main. Good cop, bad cop.
Dédiabolisation du parti
Jean-Marie Fucking Le Pen (Né en 1928, il est toujours en vie, btw, la haine, ça conserve). Le fail arrive, et il devient…directeur de la SERP, une maison de disques qui réédite les chants du IIIe Reich, mais aussi les chœurs de l’Armée Rouge, des chants de la CGT et du Front Populaire. Ça, ça n’est pas mentionné et j’ai dû le chercher. Parce que, même si l’info ne me fait fondamentalement pas plaisir, bah c’est une info. En revanche, la maison était bel et bien tenue par des fascistes.
Sur ce point, là aussi, on peut se demander ce qui, dans le communiste, intéresse autant ces gens-là. Au doigt mouillé, je pense autoritarisme et tankie (les communistes prônant une reprise violente des territoires et de la force de travail), pour un fanatique de la guerre comme lui, c’est cohérent.
En effet, le mouvement communiste est tout sauf monolithique. Je sais que ça te la coupe, désolée. De l’autoritarisme, on en retrouve partout, et on va le dire vite : Staline. Staline était communiste. Respectait-il l’essence de son parti en se mettant au service de son pays ? Absolument pas. Le mec a pris le pouvoir, a dézingué ses adversaires et a tué des millions de personnes. On en parlera si tu veux, mais pour l’instant, on cherche comment dédiaboliser. Enfin « on ».
Quels sont les résistants qui auraient fondé le parti ?
À partir de la liste fournie par Wikipédia (même pas honte), on va faire un petit tour d’horizon. Il s’agit ici des personnes présentes le 5 octobre 1972 au Congrès Constitutif du Front National pour L’Unité Française.
- Jean-Marie Toujours en vie : lui, on le connaît
- François Brigneau : journaliste à Minute et écrivain issu d’une famille de gauche ayant hébergé des Juif-ves d’Allemagne. Il collabore durant la Seconde Guerre Mondiale et s’engage dans la milice. Il est notablement anticommuniste et antisémite.
- Victor Barthélémy : ancien du PCF (Parti Communiste Français), il éditera un livre Du communisme au fascisme, histoire d’un engagement aux éditions Albin Michel.
- Rolande Birgy : ancienne résistante (ah, voilà), qui a sauvé des gens durant la guerre et sera récompensée par l’État d’Israël en 1984. Elle est cependant membre de la Jeunesse Chrétienne, et c’est à mon avis ici qu’on peut trouver des réponses. Curieusement, ce n’est pas elle qui est mise en avant par les militant-es RN.
- Pierre Bousquet : Waffen-SS de la division Charlemagne, trouvant le FN trop modéré, il quittera le parti en 1980.
- Dominique Chaboche : frontiste un jour, frontiste toujours, secrétaire général du parti et trésorier.
- Jean-Maurice Demarquet : croix de guerre 39-45, frontiste à J+1
- André Dufraisse : connu pour avoir collaboré avec l’Allemagne nazie, il milite à la CGT de 1931 à 1936. Il aime la guerre et on le surnommerait « Tonton Panzer ».
- François Duprat : fils de résistant, auteur spécialisé en négationnisme, assassiné en 1978.
- Pierre Durand : militant et journaliste, codirecteur de la maison de disques SERP (cf. plus haut). Poursuivi pour incitation à la haine raciale dans les années 90.
- Roland Gaucher : ancien trotskyste, collabo durant l’Occupation, journalistes, entre autres, à Minute.
- Léon Gaultier : Waffen-SS, lui aussi travaillera chez SERP (faut bien aider les potes)
- Roger Holeindre : scout résistant durant la guerre, il se porte volontaire en Indochine et en Algérie. Il se dit de droite et devient journaliste. Dès 1965, il vote à l’extrême droite.
- Serge Jeanneret : journaliste, instituteur, d’extrême droite depuis le début.
- Alain Robert : aujourd’hui membre de l’UMP, pote d’Alain Madelin et Gérard Longuet, ça reste une progression. Une progression vers quoi, je ne sais pas, mais une progression.
- Pierre Sergent : tout est dans le nom. Militariste à blinde (haha) mais résistant, a participé à la libération de Paris.
Et Georges Bidault, alors ?
Oui parce qu’on me bassine avec ce nom. Georges Bidault était un résistant français. Chrétien-démocrate, partisan de l’Algérie française il a toute la panoplie. Ses activités sont toujours teintés d’idéologie religieuse, c’est peut-être un point d’achoppement.
En effet, il est simple de faire cohabiter ces deux logiques : la Foi Chrétienne en toute mansuétude pour venir au secours des personnes en danger, l’idéologie conservatrice sous Red Bull pour protéger à tout prix son pays de l’invasion ennemie. Quel que soit l’ennemi. En tant que chrétien, il a le sentiment d’avoir accompli son devoir deux fois.
Excepté qu’il aurait quitté le parti directement après sa fondation, refusant de s’allier avec « Les petites frappes fascistes d’Alain Robert ». Il quittera ensuite la France suite à son accusation d’appartenance à l’OAS.
Un mec bien, quoi.
Et là, je suis désolée, mais je ne comprends pas. Pour quelle raison on le met, lui, en avant, alors qu’on a de beaux cas d’usages de reconversion dans la liste de base ? Pourquoi pas Rolande Birgy avec sa médaille ? D’accord, on va dire au-delà de la misogynie. Parce que c’est le plus connu ? Mais c’est nul, comme exemple.
On a les résistant-es qu’on mérite
Après avoir déroulé cette liste, on se rend rapidement compte que résister et collaborer peuvent cohabiter, pourvu que le but soit commun. Il n’est pas anormal de vouloir défendre son pays en temps de guerre, même si on est un enfoiré raciste et antisémite. Dans ces périodes d’urgence, j’ai envie de dire qu’on ne demande pas la carte du parti de chaque personne qu’on croise et qu’on accepte l’aide de qui on peut.
Je te rappelle qu’en 1945, il était moins simple d’aller stalker tout ce beau linge sur Facebook pour observer leurs like malheureux.
Par ailleurs, il est plutôt simple de se déclarer résistant-e après coup. Vu le merdier ambiant, pas mal de collabos se sont « reconvertis » pour ne pas subir. Comme avec le Docteur Petiot, on invoque une situation exceptionnelle, un climat chaotique, et on peut passer de l’autre côté de la frontière morale.
Parce que si on les écoute, tout le monde a été résistant pendant la guerre. Tout le monde était du bon côté. Normal. On est toujours du bon côté.
Au départ, je me disais que les réunions devaient être folklo, entre résistant-es et collabos. Puis j’ai réalisé que ce n’était sans doute même pas un sujet d’importance, la haine, ça rassemble nationalement.
Les Points communs
De tout cela, il ressort des passions communes : l’Algérie est le dénominateur commun de beaucoup de ces profils. Colonialisme, préférence nationale, ségrégation, exploitation.
Puis, les armes, la guerre, pan pan boum boum. Z’aiment bien la guerre, l’action, le frisson et peut-être aussi la possibilité de tuer gratuitement au nom de notre Brave Patrie.
À noter : l’attrait pour le communisme. Comme dit plus haut, je soupçonne fortement que le communisme en question soit la version stalinienne autoritaire du truc. Et puis, on l’a vu dans cette liste, si on est né dans une famille de gauche, le chemin vers l’extrême-droite est juste un peu plus compliqué. Cela me semble peu étonnant qu’on se revendique du même parti que ses parents avant de réfléchir par soi-même et, là, réellement, faire de la merde.
Les liens avec la chrétienté sont ténus (officiellement), mais on retrouve toujours cette ombre-là. C’est sans doute une manière de légitimiser l’impensable au nom de valeurs totalement déformées. Ici, je dois expliquer que l’Église a un tout petit peu, légèrement, collaboré avec le fascisme durant 39-45. Je ne dis pas que les chrétien-nes dans leur ensemble ont collaboré, je ne me permettrai pas. Mais la position de l’Église a été très ambiguë durant cette période.
Finalement, j’ai examiné ces profils, un peu, beaucoup plus longuement que le résumé que j’en ai fait. Et tout ceci est cohérent. Pas valide, pas bien, mais cohérent. Ces gens ont trouvé une base militante commune et ont transcendé leurs différences pour accomplir leur sinistre besogne.
On fait quoi de ces infos ?
Il est toujours intéressant de se pencher sur les affirmations outrancières des gens. Parfois, une semi-vérité (Georges Bidault) peut en cacher une autre. Comme des personnes ayant résisté durant la guerre et qui ont ensuite choisi la préférence nationale et tout le merdier.
Maintenant, on sait. On sait que, techniquement, oui, il y a eu des résistant-es et même des communistes lors de la création de ce parti. Et ça ne change strictement rien.
Ce qu’on sait aussi, c’est que ces personnes se sont réunies dans un objectif commun. Ce que je vais dire n’est pas valable pour tout, mais si tu choisis d’être un connard, tu peux le devenir assez facilement. En revanche, si tu es un connard, tu auras bien du mal à me convaincre que tu es anarchiste, tu vois ?
On ne naît pas d’extrême-droite, on le devient 🖕