Je ne m’attendais vraiment pas à ça. Pourtant, j’en ai vu, du masculiniste bien crade, du propos puant de racisme, de la vanne sexiste.
Pour compenser, ce billet sera illustré avec des trucs mignons sans aucun rapport avec le texte.
Mais là, ça m’a touchée pleine tête. J’ai vu mon enfant, mon fils. Dans 4 ans, il aura 13 ans. Comme les jeunes que j’ai vus par pelletées interroger des inconnu-es sur internet pour se rassurer sur leur physique.
Ce qui m’attriste, ce que mon regard de maman voit, c’est l’insécurité affective extrême de ces enfants. On ricane à propos de l’éducation bienveillante mais c’est quand même redoutable sur tout un ensemble de difficultés souvent rencontrées, comme l’estime de soi ou les relations avec les autres.
Un enfant de 13 ans qui émet ce genre de critiques sans appel sur son propre physique, c’est alarmant. Cela signifie qu’il se pense laid, sans autre attrait qu’un potentiel visage normé. Il ne considère pas les potentiel-les partenaires en termes d’attraction autre que physique. Et il risque ensuite d’enchaîner les relations toxiques car personne ne lui aura appris à poser ses limites ou à respecter celles des autres.
Table des matières
Bonesmashing
On en revient à cette pratique extrême qui consiste à se casser les os du visage pour les obliger à se réparer “correctement” et ainsi remodeler tout ça.
En vrai, cette pratique est rare.
Elle est préconisée mais aussi rejetée, sa mention entraîne souvent des débats, mous, entre le faire ou pas le faire. Ici, la modération existe. Elle reste floue, mais les gens interviennent pour avertir. Non pas que ça soit mal, juste parce que ça ne fonctionne pas aussi bien que ce qu’on vend.
La pratique a été suffisamment décriée et débunkée pour que cela soit devenu quelque chose à aborder avec précaution. Cela est assez rassurant, je dois dire, car ce n’était pas le cas avant.
Am I doomed ?
“Suis-je foutu ?” est une phrase qui revient souvent. Mon premier contact avec ce terme a été une photographie d’oreille où le pavillon était un peu replié sur lui-même. J’ai passé quelques longues secondes devant cette photo, à me demander quel était le fuck.
Être foutu, c’est être né avec des “tares” physiques irrécupérables, comme une oreille repliée et un visage insuffisamment bien proportionné.
Heureusement, les membres les plus aguerris savent quel type d’opération chirurgicale rechercher dans ce genre de cas.
Ce qui est dangereux c’est qu’on explique que quand on veut, on peut. Il n’y a aucune acceptation du complexe dans ce milieu. Le complexe doit être éradiqué et jamais soigné en soi-même. Toujours corrigé, jamais accepté. Et ça, c’est super triste et très problématique au niveau de l’éducation et de la formation de la pensée.
Juste à portée
Dans ces forums, on parle beaucoup phrénologie (Lombroso, tout ça) et de différences raciales. Les personnes racisées (et surtout les personnes noires) sont moins bien considérées. 90% des modèles sont blancs, les 10% restants sont Richard Ramirez..
Imagine maintenant, t’as 13 ans, tu te trouves moche et tu veux intégrer ce groupe de beaux gosses. Tu te rends compte que les propos racistes et antisémites n‘entraînent aucune conséquence et sont même valorisés. D’autant plus que les membres éminents en tiennent aussi.
Il est par contre de ton devoir de freiner la dégénérescence de l’espèce humaine. Par des caractéristiques que tu ne transmettra pas à tes enfants car elles sont artificielles.
On t’apprend ensuite que si tu es blanc, ou suffisamment clair de peau, il existe des solutions à ta portée pour maximiser tes caractéristiques visagières. Rien n’est perdu, tu n’es pas foutu ! Il ne tient qu’à toi de démarrer ce parcours vers l’élévation !
Le problème avec la perfection…
Le principal danger, c’est qu’on apprenne aux enfants à avoir une pensée fasciste et eugéniste en plus de la certitude que leur beauté est primordiale et totalement entre leurs mains.
La beauté et le fascisme sont étroitement liés, dans ce contexte. L’esthétique fasciste est en soi le fascisme. D’accord, non, c’est plus compliqué. Mais quand même, la pureté des traits, du corps et de l’âme peuvent faire de toi un surhomme à la Nietzsche.
Dans le fascisme, la beauté physique reflète la morale et l’engagement. Un corps beau, bien entretenu, l’adoption de ces critères comme les seuls valables, l’idée d’une supériorité raciale des gens “beaux” car blancs, tout ça forme un bundle très bien ficelé.
Contrairement aux autres mouvements, le fascisme ne nécessite pas de connaissance particulière mais une obéissance totale. L’esprit critique est dissuadé, la vie entière est normée.On suit le guide avec la conviction profonde que c’est nous, le surhomme. Car les femmes n’existent que pour servir.
Ce type d’acclimatation au mal est simple à mettre en place.
Les habitudes de forum, c’est
Une sorte de sas d’arrivée où on se présente.
Les modos et membres plus anciens répondent pour tester la personne.
On accède à la première couche semi-publique en remplissant un formulaire
L’enjeu est l’accès aux espaces privés secondaires, en gros ce qui est accessible quand on a fait ses preuves.
Le membre qui parvient à faire sa place, à suffisamment plaire aux autres, aura plus tendance à adopter les idées portées par la majorité dans le groupe. Si c’est bien vu d’être raciste, on sera racistes ou on ne relèvera pas les propos. Si les modérateurs du lieu tiennent ces propos, à qui les rapporter, de toute façon ?
Les screenshots problématiques que j’ai rapportés sont parfois issus des forums privés et publics. Il n’y a donc aucun effort fait pour cacher ces propos.
Et puis j’y ai pensé, oui, mais ce serait je pense assez brutal pour ma santé mentale de tenter une infiltration.
Le blackpill, c’est le doomerisme de droite.
Le blackpill, c’est la suite du redpill, qui est, disons-le, une référence biblique à Matrix. Dans ce film, le héros se voit offrir le choix entre rouge = entrer dans la Matrice pour lui péter la gueule et bleu = se rendormir dans son pod comme les autres humains qui croient avoir une vie. La pilule rouge (red pill) signifie qu’on sort du système.
Il est amusant de se souvenir que Matrix a été réalisé par deux femmes trans, mais seulement si on sait que les femmes trans sont la kryptonite des masculinistes.
Ce concept a bien évidemment été récupéré par les complotistes de droite qui y ont vu une métaphore du “moi, je ne suis pas comme les autres. Je suis réveillé. Je sache.”. Et c’est eux qui se foutent de la gueule des gens woke (éveillé-es), oui oui.
Redpill
La posture redpill est celle d’une supériorité impuissante, muselée, qui n’attend que le Grand Soir pour se dévoiler. Lorsque le monde aura flambé, c’est le connard qui te dira “Ah, tu vois ? Je te l’avais dit !” tandis que le bas de son pantalon prend feu.
Cette vision uniquement masculine (les femmes ne pensent pas) de la vie est désabusée, pleine de sarcasme, d’injustices et de violence. Ce sont eux qui te disent que le monde est super violent tout en le rendant encore plus violent.
Le doomerisme, c’est le fait d’attendre ou même de désirer la fin du monde.
Les principaux courants de pensées représentatifs du redpill sont Marc-Aurèle et le stoïcisme, le nihilisme et le pessimisme.
On a donc ici le kit complet de la pensée fasciste : le monde est foutu si on ne reprend pas le pouvoir, les autres ne savent pas ce qui est bon pour euxlles, il faut purger le système et les gens pour devenir les meilleurs de tout l’univers..
Enter the Matrix
Les incels (célibataires involontaires) font partie de ce groupe mais sont une sous-catégorie du redpill. Si on veut résumer, on pourrait dire que les incels sont des looksmaxers qui ont abandonné.
La communauté du looksmaxing en est une autre catégorie. Celle qui lutte pour sa beauté. Les deux communautés se foutent l’une de l’autre, tout en ayant conscience de la porosité des lignes.
Eliott Rodger, le Roi des Incels qui a fait 6 mort-es en Californie en 2014, était par exemple plutôt beau physiquement. Je ne sais pas s’il a subi de la chirurgie, mais ça ne m’étonnerait pas du tout. Son problème était qu’il se sentait si supérieur à quiconque que cela rebutait les meufs. Son journal est un amas de “J’ai rien fait, c’est les autres”, “Ces salopes ne veulent que les autres et pas moi”, “Je suis un produit absolument parfait, je ne comprends pas”.
Eliott Rodger
Ce type sert de modèle a beaucoup de redpillés. Le monde était si injuste avec lui ! Il lui a tout donné, la richesse, la beauté, l’intelligence, et pourtant, il galère à pécho !
La beauté est transactionnelle : mon doux visage contre du cul. Et encore, du cul mais on ne se marie pas, je veux une femme vierge et pure à l’autel, pas une traînée qui couche avec tout ce qui bouge !
Lorsque l’univers ne répond pas favorablement, c’est la faute des autres. Car on est parfait, mathématiquement parlant. Il semble donc normal d’exiger son dû.
Et quand on a pas ce que l’univers nous doit, on réagit comme souvent : en tapant une crise digne d’un enfant de 3 ans qui n’a jamais appris la frustration. Sauf qu’un enfant de 3 ans a une capacité de nuisance très inférieure à un homme adulte potentiellement armé.
La déprime
La déprime m’a tenue deux jours. En tant que maman, c’est un crève-cœur de lire toute cette souffrance montée de manière artificielle en épingle autour d’une oreille repliée.
Voir des jeunes de 14 ans tenir des propos super racistes et antisémites en n’étant jamais repris par les autres, ça déprime. Tu sens bien qu’il y a ce désir immense d’appartenance à un groupe, la solitude dans laquelle doivent se trouver ces gamins, une adaptation morbide au capitalisme moribond.
J’ai de la peine pour ces personnes qui n’ont pas d’estime d’eux-mêmes en dehors des critères imposés par leur communauté. Ce sont les autres qui te donnent ta valeur, qui donnent ou reprennent les points.
Bref : ça m’a rendue triste.