Ce matin, j’ai trouvé une vidéo de “Mous” (je pensais que c’était une vidéo de chamallow ou un youtubeur dans un fauteuil si profond qu’on n’en sort jamais, mais non) qui parlait de Touche Pas à Mon Poste et de Hanouna. Je suis une créature curieuse, alors j’ai maté :

C’était dur, sérieux. J’ai découvert qu’on avait laissé passer ça à la télé et j’ai mieux compris la décision de l’ARCOM contre C8 parce que v’la l’émission partisane anti-gauche et pro-milliardaires de ses grands morts. Sans déconner, je savais que c’était une émission pas terrible, mais je ne m’attendais pas à ça. Je ne suis pas tombée de l’armoire, mais j’ai pris un coup.

 

Un de mes privilèges de classe, c’est de ne pas avoir de télévision. Je ne sais plus vraiment à quel moment on a donné la nôtre, sans doute vers 2010, je ne sais plus. Elle nous servait à jouer à la console. On avait la TNT mais je ne regardais que Pierre Bellemare et les Enquêtes Impossibles.

La télé nous était totalement dispensable. Mon fils ne connaît pas la configuration de type salon autour d’une télévision. Mais on a plusieurs PC.

La vie sans L’ADSL, puis la fibre, nous est impossible. J’ai accueilli chaque génération de smartphone avec grand enthousiasme, depuis mes premiers Blackberry. L’arrivée de la 5G a été une joie en itinérance. Et puis comme ça, si on est en panne avec la fibre : voilà.

 

Et ça, plus ça va, plus je me rends compte que c’est un privilège.

Car on est aussi dans une famille de débunkers. C’est un des seuls sujets de litige avec mon mari : il fact-check tout ce que je lui dis et ça me vexe systématiquement car j’ai fact-checké avant.

Je me nourris via différentes sources.
En premier lieu, la presse mainstream. Google Actus, France Info, Le Monde Diplomatique, Alternatives Économiques, Courrier International.

Et puis, les réseaux sociaux. J’y fais tout aussi attention et je vérifie tout.

Pour finir, ma veille politique sur Telegram. Je suis autant de canaux de droite que de gauche. Chaque source y est évidemment à vérifier. J’y obtiens certains signaux faibles hyper intéressants, que je peux relier aux actualités mainstream. Je consulte tous les jours les news et leur interprétation, pour prendre la température politique du monde (on est tellement dans la merde).

Dans tous ça, le privilège est bien présent. Ne pas connaître Cyril Hanouna est un privilège.

Je suis politisée, je suis cultivée, je lis pas mal, je m’éduque en continu, mon esprit critique est plutôt solide. J’ai gagné ces compétences car j’ai eu la possibilité de le faire (milieu familial, scolarité en Littéraire plutôt bonne, rencontres intéressantes et inattendues) et que tout m’intéresse. J’en ai aussi eu le temps.

Très longtemps, j’ai eu cette pensée de dominante de me dire “Peuh ! Où les gens s’informent ? À la télé ? Hahaha !” Sans réaliser que la télé était souvent le seul vecteur à disposition des autres. Des personnes n’ayant pas grandi dans un contexte familial de gens qui lisent. Il faut du temps pour lire. Du temps, du calme, de la patience. Avoir du temps est un luxe et un Marc Lévy est mille fois plus simple à comprendre qu’un pavé de 575 pages sur l’Histoire des femmes entre le XIXème et le XXIème siècle. Tu as lu Bourdieu ? Moi, non. C’est prenant, ça réclame beaucoup de concentration, et les seules pour lesquelles je fais l’effort sont Silvia Frederici, Michelle Perrot, Christiane Bard.

En gros, mon capital culturel, plus important que mon capital social, m’a permis de me dégager des médias mainstream très très tôt dans ma vie. J’ai eu accès à des romans, des essais, souvent dans la bibliothèque familiale. Je lis très vite, aussi un livre de 150 pages n’est quasiment pas impactant sur mon temps libre. La prise de notes me ralentit mais me permet aussi de mieux appréhender ce que je lis. Pour moi, lire ne me vole pas de temps, car j’ai ce luxe d’en avoir. Je n’ai pas appris à lire vite en ne lisant pas.

 

Fun fact : au collège, on m’appelait “La bourge”. Parce que je lisais énormément et que j’étais cultivée. J’ai toujours trouvé ça injuste, car je ne vivais vraiment pas du tout comme une bourgeoise, au contraire. D’autres camarades, vraiment bourgeois-es, pour le coup, n’obtenaient pas ce qualificatif. Cette appellation m’a laissé perplexe quelques décennies avant que je comprenne ce concept de capital culturel. En tout cas, ça m’a éloigné des autres très tôt dans ma scolarité et dans ma vie, y compris professionnelle.

Autant te dire que je ne suis pas à l’aise dans cette période d’anti-intellectualisme, qui moque les gens qui “passent leur temps dans des bibliothèques et ne sont pas sur le terrain”. En effet, je ne suis pas sur le terrain, je suis en situation de handicaps, bande de bolosses. Est-ce que ça retire de la légitimité à mon propos ? J’ai vécu 42 ans ici bas, j’ai vécu des aventures, au moins un peu. C’est comme si on me disait que mon avis sur le monde professionnel n’est pas valide parce que je ne travaille plus à cause de mes handicaps. Dois-je montrer mes trimestres de cotisation pour justifier de ma vie professionnelle ?

Bref, passons.

À présent, je comprends bien mieux que la télévision ait une place importante dans la majorité des foyers.
C’est le point d’entrée, parfois unique, du monde extérieur à la maison. Surtout quand tu n’as pas le luxe du temps.

Et les émissions politiques sont, je suis désolée, excessivement chiantes. Je regarde Public Sénat sur YouTube, de temps en temps, c’est rarement punchy et le montage est souvent inexistant. Blast, le Canard Réfractaire, Dave Sheik, GaspardG, Hacking Social, Histoires Crépues, Linguisticae, Nota Bene, Off Investigations, et les autres font du bon boulot. En revanche, sur les chaînes à la thématique politique, beaucoup d’interviews (surtout sur Blast) restent chiantes comme la mort. 1h10 sur un sujet, champ, contre champ, ça se fait mais on a l’impression de se fader le pèlerinage de Compostelle. En plus, le langage nécessite des connaissances préalables, sinon on ne comprend pas une phrase sur deux. Capital culturel/20.

Je comprends qu’on se tourne vers des émissions plus divertissantes (ou les Enquêtes Impossibles) lorsqu’on a déjà le temps de rien faire. Il est très très rare que je me mette un truc d’intello lorsque je plie le linge. Avant, c’était Faites Entrer l’Accusé, aujourd’hui c’est du du YouTube : réact, commentaires, analyses de films, let’s play de jeux d’horreur ou drama. Je me fais déjà chier à plier le linge, je n’ai pas envie de me faire doublement chier en pliant mon linge, tu vois ?

J’ai aussi une sorte de passion téléréalité étasunienne, je regarde les commentaires sur 90 days fiance, Love is Blind, ou toute émission vintage de MTV (comme NEXT!). C’est excessivement inepte, mais j’y trouve des trucs intéressants à propos des relations, de la manipulation télévisuelle, de la manufacture des femmes domestiques. Je veux qu’Angela et Big Ed finissent leur vie ensemble, ce serait le plus beau cadeau à me faire.

 

La Culture c’est important, mais ce n’est pas accessible facilement. Et, bien sûr, c’est totalement voulu. On a besoin de classes dominées auxquelles on retire ses moyens de se défendre intellectuellement. Parce que personne n’est “trop con”. Personne. Les gens avec moins de ce capital culturel ne sont pas idiots, en tout cas pas plus que n’importe qui. Le public de TPMP n’est pas bête : il s’ennuie et on lui propose un divertissement facile à consommer. L’électorat RN n’est pas “con”, il est formaté. En vrai, il y a très peu de gens bêtes.

Mais la télé, c’est un truc de classe. Un outil très commode pour faire valoir une pensée collective qui va dans le sens des oppresseurs. Surtout parce que ce sont des oppresseurs (milliardaires) qui possèdent ces médias. “On ne joue pas contre son camp”, comme disait Bolloré lors de son audition devant l’ARCOM.

Et puis, cela n’a aucun rapport avec ce que le public veut. La belle excuse. Le public veut ce qu’on le conditionne à vouloir. Si la télévision proposait des trucs classe, on regarderait ces trucs classe.

On crée un cloisonnement avec cet outil. Les moins exposé-es, ceuxlles au capital culturel fort, se rendent souvent coupable d’une horripilante condescendance envers les gens qui s’informent via la télé (c’est-à-dire plus de la moitié de la population). On garde notre petit pré carré et même entre nous on est parfois puant-es d’élitisme.

Désolée, fallait que ça sorte.

Surtout que c’est aussi à nous d’ouvrir les portes, d’expliquer sans se moquer, de rentre cette fameuse culture accessible.

Non, parce que ce que j’ai vu, là, les quelques très (trop) longues minutes d’Hanouna au top de sa forme, c’est pas possible. Ce type est un tyran de mauvaise foi, avec une team de hyènes dont une se prend une tape sur le museau en public de temps en temps. Il faut asseoir l’autorité de Baba. Punition, récompense. Je ne devrais pas en être surprise, mais ma pseudo-hauteur m’a éloignée de l’individu autant que possible.

Sauf qu’on a quoi, à la place ? Des trucs chiants comme la pluie.

Je n’ai pas de conclusion. Je ne suis ni milliardaire, ni journaliste, mon boulot (faire des billets) n’en est pas un, et je n’ai pas de solution miracle. Juste, peut-être, se montrer moins fermé-es et hautain-es envers les personnes qui ne sont pas “moins cultivées” mais cultivées sur des thématiques différentes et qu’on leur a imposé. Combattre l’anti-intellectualisme, aussi, ce serait pas mal, mais avant ça, faut les faire, ces efforts. Si l’anti-intellectualisme performe aussi bien, c’est aussi un peu de notre faute.

Et puis, il faudrait arrêter de garder pour nous le bon contenu.  Et là dessus, je plaide coupable : 90% de ce que je regarde est en anglais.

Hey, ça te dit, on fait une liste collaborative de contenus un peu funky et informatifs ?

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