Les enfants de moins de 13 ans sont une source majeure de revenus pour les plateformes et les réseaux sociaux tels que YouTube, qui est la principale plateforme utilisée par ces derniers avant WhatsApp, Snapchat et Tik Tok.
Dans le top 10 des chaînes YouTubes les plus suivies, 4 sont des chaînes à destination des enfants (Cocomelon, Kids Diana Show, Vlad and Nikki, Like Nastya). Le business est juste improbablement immense.
Tu connais les Titounis ? Avec peu d’efforts d’animation, en utilisant des comptines libres de droits, cette créatrice française fait des millions. Et toi, tu es en PLS juste en entendant une souris verte pour la milliardième fois.
Un enfant aura tendance à cliquer sans fin, sur chaque vidéo, chaque publicité engageante, et surtout, chaque produit comportant ses personnages préférés : Peppa Pig, la Pat Patrouille, Dora, chaque personnage Disney, Marvel, etc. Que celle qui n’a jamais acheté du merch Minecraft ou Pokémon me jette la première pierre.
Aïeuh ! è_é
Retrouver les personnages qu’on a découvert sous forme épisodique sur des plateformes de streaming ou à la télévision provoque un grand intérêt. Les épisodes deviennent à la demande au lieu de dépendre de la programmation télévisuelle ou d’un parent.
D’autant plus que ces personnages sortent de leurs rôles définis et sont guidés par l’imagination de la personne qui les a scénarisés.
On pourrait crier à la violation du copyright, mais beaucoup tombent dans le domaine du “fair use” (utilisation raisonnable) et peuvent ainsi continuer à produire car situés dans la parodie.
Comme toujours, tout est pourri jusqu’à la moelle. Mais les chaînes appartenant à la catégorie du “ElsaGate” montent d’un cran dans l’immondice.
Table des matières
Qu’est-ce qu’ElsaGate ?
Définition
Il fût une période, entre 2016 et 2019 (à la louche) durant laquelle une flopée de chaînes de type “content farm” (chaînes produisant du contenu de faible qualité de manière industrielle) ont pu générer des contenus très problématiques sans aucune difficulté, sur YouTube et YouTube Kids, la plateforme dédiée aux enfants lancée en février 2015.
D’ailleurs, on parle bien ici de YouTube Kids, la version aseptisée, pas de YouTube pour les plus de 13 ans.
Tu te souviens des comptines où un petit doigt va à la ferme, un petit doigt va se faire un café, présentant une main (mal) animée avec de petites marionnettes ? Ces vidéos, faciles à produire, l’ont été par millions de millions. Je suis sûre que si je te susurre “Baby shark” (14 milliards de vues) à l’oreille, tu seras pris-e d’une irrépressible envie de m’envoyer dans une autre dimension avec plus ou moins de férocité. C’est de bonne guerre.
Sauf que…la règle 34. Règle 34 des internettes : tout ce qui existe a déjà été détourné en une version pornographique. Il existe un site de ce nom, que je te laisse chercher, si tu veux vérifier ça par toi-même. Pornographique ou pas, tout contenu est ou sera détourné pour en faire autre chose. Pas souvent des choses merveilleuses et saines.
En juin 2016, The Guardian fait un premier article sur certaines vidéos vraiment cheloues.Mais on doit le terme “ElsaGate” à un-e utilisateur-ice pseudommé “readwipedandblew” qui sortit un article judicieusement nommé “Elsagate Pedogate the many faces of Youtube” en 2017. Le ton est assez alarmiste, voire conspirationiste, on en reparlera.
Cette dénomination vient de Elsa, de la Reine des Neiges, personnage très souvent utilisé dans ces vidéos extrêmement dérangeantes, notamment par une des chaînes emblématiques de cette tendance : Webs and Tiaras.
Caractéristiques des vidéos ElsaGate
Bon, alors, c’est quoi le deal ? Pourquoi ces vidéos ont-elles provoqué cette petite a(d)pocalypse sur YouTube ?
Tout simplement car elles présentaient, sous un format live action (acteurs déguisés) ou animé des thématiques et des scènes absolument pas destinées aux enfants. On pouvait y trouver des simulacres de relations sexuelles, de meurtre, de kidnapping, mais aussi beaucoup de scènes impliquant grossesses, IVG, ou encore des kinks au sujet des aiguilles ou simplement de la scatophilie. Le tout sur fond de fun and games, hahaha, le caca.
D’autres personnages, comme Peppa Pig, le Joker, Dora, Bob l’Éponge, Mickey, Thomas le train , ont aussi subi les derniers outrages de mille et une manières.
En gros, les thématiques relèvent souvent de la déformation des corps, avec des composantes sexuelles, ainsi qu’une certaine passion pour l’arrachage de dents, la mutilation, la mort ou les violences parentales.
YouTube proposant un système de lecture en continu, couplé à un algorithme mal calibré qui proposera toujours le même type de contenu, saupoudré de zéro modération, ces vidéos sont devenues monnaie courantes sur YouTube Kids..
Tu le sais, je le sais, et ça nous rend marteau, les enfants adorent regarder 15 000 fois les mêmes trucs en boucle.
Voici quelques screenshots, tu vas vite comprendre…
Tu remarqueras sans doute le nombre de vues. Il est probable ( comprendre “sûr et certain”) qu’une partie d’entre elles aient été des vues achetées pour booster les chaînes en question. Les commentaires sur les versions YouTube pour les plus de 13 ans sont un bon indicateur de cela : ineptes ou simplement cryptés, transverses d’une chaîne à l’autre.
Quelques dizaines (centaines) de chaînes se sont ainsi greffées à ce créneau bien rentable.
Voici une chaîne Dailymotion ayant archivé une partie de la chaîne Webs and Tiaras :
https://www.dailymotion.com/zoeskinnerrescue
Impact d’ElsaGate sur les enfants
Influence sur le comportement des jeunes
Il est assez évident que montrer des situations de violence, du sang et des contenus à caractère sexuel, ça peut marquer des enfants, surtout jeunes.
Un enfant de 3 ou 4 ans ne verra pas forcément le problème avec une Elsa enceinte qui mange du caca, mais si on peut expliquer d’où viennent les bébés, la scatophilie est un peu moins au programme de maternelle. Que dire de Papa Pig qui frappe si fort Georges qu’il en finit au cimetière ? Ou des hurlements de douleur de Minnie chez le dentiste ?
On parle ici de “grooming”. D’habituation aux contenus problématiques. De sexualisation précoce. Destinées aux plus jeunes, le problème ne se situe pas forcément en commentaires, désactivés de toutes manières sur YouTube Kids.
Et puis, ça doit être kiffant de produire des trucs horribles, en sachant qu’on ruine l’enfance de millions de petit-es, non ? Je pense que c’est une des raisons. La malveillance pure. Savoir qu’on traumatise, qu’on pervertit les codes. Cependant, je pense qu’il n’existe aucune théorie du complot ou quoi que ce soit : pervertir l’enfance, c’est vieux comme le monde, Gotlib l’a fait aussi.
…sauf que Gotlib, c’était bien de la BD pour adulte, vendu comme tel.
Cela dit, on ne va pas se mentir, l’enjeu premier est la thune. Les enfants sont une manne pour les fermes à contenus, qui génèrent trouzmille vidéos à la seconde. Le marché de l’exploitation des enfants en ligne est un petit paradis, même si les enfants contournent très bien les publicités.
Face à des parents fatigués ou qui n’en ont rien à foutre, ou qui considèrent l’iPad comme une nounou, il est très facile d’embarquer les petits dans des tunnels de contenus similaires et ainsi d’engranger des millions en revenus publicitaires. Si en bonus on peut leur faire du mal, certains disent banco.
Réactions des plateformes
Alors, bien sûr, YouTube a réagi immédiatement et a retiré toutes ces chaînes une fois le problème remonté. Non ?
Non.
Les mesures ont été envisagées lorsque le scandale a éclaté dans les médias mainstream et que les annonceurs ont commencé à retirer leurs campagnes publicitaires de YouTube.
Google et YouTube ont également été épinglés par la FTC, la Federal Trade Commission, et contraints de payer 170 millions de dollars pour avoir enfreint la Children’s Online Privacy Protection Act (COPPA). Ce scandale s’ajoutant au précédent, c’est donc en 2019 (DEUX MILLE DIX NEUF) que des sanctions furent prises contre une partie de ces chaînes.
On parle de 400 chaînes supprimées, là.
L’amende de la FTC ne concerne que la collecte de données privées, mais elle a fait boule de neige auprès des annonceurs qui se sont retirés de manière encore plus massive. Taper au portefeuille, la seule chose qui fonctionne, hein ?
On parle ici d’une “adpocalypse”, contraction de “ad” (publicité) et apocalypse. La première ayant été provoquée par les propos antisémites de PewDiePie en 2017. Dans le même laps de temps que les vidéos du ElsaGate, des chaînes familiales ont été dénoncées, à raison, pour l’exploitation de leurs enfants (Toy Freaks, DaddyOFive, SevenSuperGirls).
Chaque adpocalypse a précédé des changements drastiques dans la modération des contenus. Les conséquences sur le YouTube destiné aux adultes ont été perceptibles. C’est une des raisons pour lesquelles on ne peut aujourd’hui pas dire “viol”, “pédophilie” ou “suicide” sans censure, démonétisation ou shadowban. Maintenant on dit “unalive” (dévivanter), et wow, c’est vrai que ça change tout.
Sauf que…si la censure est dure, la liste des chaînes encore en activité est longue…
Et si je te disais que le ElsaGate est toujours bel et bien vivant ?
Le “retour” récent d’ElsaGate
Signes d’une résurgence
Bon, tu te souviens de Peppa Pig ?
Et bien, sur le YouTube adultes, j’ai deux chaînes entières avec beaucoup de vidéos au contenu similaire à celui décrit plus haut. Sachant que YouTube Kids est en réalité peu utilisé passé un certain âge, voilà voilà.
Date des derniers posts : 2024
https://www.youtube.com/@peoplegame2
https://www.youtube.com/@GVAnimations
Zootopia, les Rainbow Friends et The Amazing Digital Circus en font aussi les frais…
La recherche sur YouTube Kids est extrêmement limitée, mais on peut trouver ce type de contenus :
Ce contenu “borderline” est facile à trouver sur YouTube Kids. Genre vraiment.
Que dire de YouTube 13+ sinon que j’ai trouvé en 5 secondes en tapant “weird peppa pig” ces trucs absolument improbables.
Les personnages ont bien sûr évolué avec la mode : on y retrouve des dessins animés NSFW sur FNAF (Five Nights At Freddy’s, un jeu d’horreur avec des mascottes, j’ai fait un article dessus par ici), Poppy Playtime, Roblox, Banban et tant d’autres. Mais il est tout à fait possible de retrouver du contenu ElsaGate classique, avec Elsa et Spiderman.
Il semblerait que YouTube Kids soit, cela dit, un peu mieux protégé désormais, et les alertes utilisateur-ices mieux prises en compte. J’ai dit “un peu mieux” car 99% des vidéos de cette plateforme ont quand même pour vocation de faire moisir le cerveau de nos gosses, ce qui reste un énorme problème.
Not-so-fun-fact : tu connais Blippi ? Tu savais qu’il avait eu une carrière, précédemment, comme acteur de films scatophiles ? Ne me remercie pas. Tout le plaisir est pour moi.
Réactions de la communauté
La blase. La voilà, la réaction. Et j’ai la même.
La blase, car YouTube n’a réagi que lorsqu’on lui a demandé de l’argent. De 2016 à 2019, rien n’a été fait concernant ces chaînes.
Tout le monde se renvoie la balle. YouTube a demandé aux parents de faire leur taff de parents. Et ça, oui, je suis entièrement d’accord, on ne laisse pas des enfants en solo devant un écran……..en théorie.
Je plaide coupable là-dessus. Quand tu veux enfin pouvoir faire de ta maison un endroit vivable, niveau ménage, bah il faut bien occuper l’Enfant.
Quand il t’a pété crise sur crise, lancé des jouets dans la gueule, hurlé en continu, refusé de manger, de s’habiller, de prendre son bain, ouais, quelques minutes de répit, c’est cool. Sans écran, c’est moi qui aurais pété une durite.
En revanche, j’ai toujours gardé un œil sur ce qu’il regardait et souvent examiné son historique de navigation. Ma vigilance nous a évité les vidéos de type ElsaGate alors qu’on était en plein dedans.
Mais il a vu un Nyan Cat se faire écraser, et j’ai déjà vu des vidéos de Peppa Pig pas forcément violentes mais très dérangeantes, avec le son à l’envers, les couleurs inversées, ou en vitesse x 0,5. Il a aussi consommé des vidéos animées avec le cul sur des comptines libres de droits beaucoup trop souvent.
Contenu abrutissant au possible, mais, hey, sans simulacre de viol. Ok, on prend ce qu’on peut.
On ne peut certainement pas faire confiance à YouTube pour améliorer ses pratiques. Preuve en est les dizaines de vidéo soft porn utilisant des personnages chers aux enfants sur la plateforme des plus de 13 ans.
Comment protéger les enfants ?
Éducation et sensibilisation
On en revient à l’éducation au numérique. À la confiance. À la vigilance.
Le plus important, à mon avis, est de rester informé-es des tendances de ces contenus problématiques. Malheureusement, très très peu de ressources sont disponibles en français.
En fait, je n’ai pas souvent trouvé du contenu à ce sujet dans ma langue maternelle. Je t’ai mis ça dans la partie “ressources” en fin d’article.
Quoique, en mai 2017, le YouTuber Roi des Rats a fait une vidéo sur le sujet :
Je ne peux que te conseiller de suivre le plus possible les actualités du web sur YouTube.
Feldup a notamment traité d’un sujet connexe dont on parlera peut-être ensuite : le fétichisme sur des chaînes comme Troom Troom ou 5 minutes craft :
Même si c’est chiant, même si tu t’en fous, va falloir t’y intéresser.
Vérifier l’historique de visualisation est une bonne idée, tu verras facilement si ton Précieux est tombé dans un terrier de lapin pas trop cool. Et, comme vu dans l’article précédent : tu peux toujours bloquer les chaînes accessibles sur les deux plateformes.
Des subreddits veillent aussi sur le sujet. Beaucoup d’infos sont disponibles sur r/ElsaGate ou r/youtubedrama. Ou tu peux simplement chercher “ElsaGate”, qui reste un terme qui t’apportera cauchemars et angoisses existentielles sur le long terme.
Vaut mieux toi que ton enfant.
En bref : Elsa a juste changé de forme et sévit toujours.
Rôle des plateformes
On va le dire vite : le bot qui vérifie les vidéos présentes sur YouTube Kids est à chier.
Étant donné que ces gens n’en ont strictement rien à carrer tant que les pertes financières restent modestes, vu que ces chaînes génèrent des millions de vues et donc énormément d’argent, elles restent les dernières à avertir et agir.
YouTube Kids est, cela dit, extrêmement contrôlé. J’ai galéré ma race pour y trouver des exemples de trucs moyennement dérangeants. Les commentaires sont désactivés, la recherche, que tu peux choisir de désactiver, est limitée à 20 résultats.
À mon avis, la leçon a été un peu retenue. YouTube Kids déborde de contenus complètement abrutissants, dénués de tout intérêt pédagogique, mais je n’ai pas trouvé de vidéo impliquant du sexe ou de la mutilation. Du contenu évoquant la grossesse, oui. Mais ça peut correspondre aux intérêts des enfants, pourquoi pas.
Je ne dirais pas que c’est sécurisé, mais ça l’est beaucoup plus que la version 13+ où c’est un foutoir total en permanence.
Car on peut “parodier” des personnages si on le souhaite, c’est même parfois très drôle ! Et il y est impossible d’appliquer la même modération que pour les enfants, sinon je n’aurai plus jamais ma dose de contenu horrifique, et ça, c’est pas possible.
Et maintenant ?
Et ouais. C’est à nous de jouer, encore une fois. Si YouTube Kids a l’air un peu plus sain, le YouTube classique reste extrêmement problématique. Le vrai problème étant surtout la bêtise inouïe des contenus proposés. Sans déconner, tu regardes ça 2h, tu perds des facultés cognitives sur le long terme.
Le souci, c’est que les vidéos de YouTube Kids sont chiantes comme la mort pour les plus de 8 ans. En CE2, j’ai envie de dire, le petit doigt qui se fait un café t’as bien compris que c’était ta daronne épuisée tous les matins. Tu sais à peu près comment on fait les bébés, Peppa Pig ne fait même plus partie de ta mémoire, et tu préfères les personnages horrifiques pour enfants comme Poppy ou les vidéos sur Minecraft ou Roblox.
Alors des contenus pour bébés, ça n’a aucun intérêt.
Là dessus, c’est toi qui vois.
J’ai choisi, pour ma part, de laisser mon enfant accéder au “vrai” YouTube. On a calibré ensemble ce qu’il pouvait voir, il a son propre compte pour ne pas subir mes recommandations (j’ai vraiment des trucs que même un-e adulte n’aimerait pas voir avec des vignettes abominables), il sait aussi ce qu’est l’ElsaGate.
Il a pu voir par mon intermédiaire plusieurs exemples de vignettes de vidéos problématiques en lui expliquant que certains termes étaient dangereux. Il connaît les thèmes abordés par ces vidéos mais préfère les insectes, Pokémon et Minecraft.
En fait, il est pleinement informé des dangers et sait comment les éviter. Je regarde aussi fréquemment son historique et lui signale si quelque chose est limite.
Cela fait plusieurs années qu’il n’est plus sur YouTube Kids, et nous n’avons pas croisé de contenu problématique.
Comme je suis la pire tueuse de joie possible, il sait aussi pour le contenu qui exploite les enfants (Néo et Swan) ou la crédulité des gens (MrBeast). On en discute et je le laisse décider en tout connaissance de cause.
Références
Voici une liste de chaînes ayant été bannies de YouTube, ainsi que les raisons ayant motivé l’exclusion :
https://en.wikipedia.org/wiki/YouTube_suspensions
En français :
Blog du modérateur : Étude : les usages numériques des moins de 13 ans en 2023
Vice : YouTube est une machine à exploiter les enfants