Heures de réveil : 6h37 (chats)

Allez, j’espère pouvoir aller au bout du billet, ce matin 🥳. J’ai vécu les pires jours de grippe de ma vie et j’ai jeûné quasiment 10 jours, ce qui a vraisemblablement entraîné une dénutrition suivi d’un (léger) syndrome de renutrition inappropriée. En gros, je me suis réalimentée trop vite et ça a causé des troubles franchement nazes, dont des troubles cognitifs (décalage oeil/main), des vertiges, des spasmes musculaires et un sentiment de bad trip perpétuel. On va donc dire que ça va mieux.

Ce matin, on va parler de la psychiatrisation des femmes et je vais me baser sur un texte de Jennifer L.Reimer : “Elle doit être folle. Le discours psychiatrique, les “troubles de la personnalité” et la régulation des femmes subversives”.

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On en a parlé dans des billets précédents (24 novembre 2022 [Psychiatrisation des femmes] et 22 novembre 2022 [Folie] notamment) : la psychiatrie, en plus de pourquoi pas soigner des gens, est un formidable outil de contrôle social, surtout chez les femmes. On va juste dire “hystérie” pour le moment.

Ici,  on attaque par le DSM (manuel diagnostic et statistique des troubles mentaux, la “Bible” des psychiatres) et plus particulièrement les Troubles de la Personnalité (TP).

🐦 “La caractérisation genrée [« gender typing » en anglais] est flagrante dans les TP, même sans examiner leurs critères spécifiques. Les dix troubles sont regroupés dans trois groupes, qui à première vue révèlent des stéréotypes communément répandus sur les hommes et les femmes. Le groupe A, comprenant uniquement des troubles diagnostiqués plus fréquemment chez les hommes (troubles de la personnalité paranoïaque, trouble de la personnalité schizotypique, et le trouble de la personnalité schizoïde), est défini sous la rubrique «comportement bizarre ou excentrique». Tandis que, le groupe B, comprenant le TPB et TPH, utilise une rubrique nommée «comportement dramatique, émotionnel, ou erratique», et le groupe C, qui comprend le TPD, est rangé dans les «comportements anxieux et craintifs» (AAP 1994). Le groupe uniquement constitué de troubles plus fréquemment attribués à des hommes manque de toute référence à l’émotivité, alors que les deux autres se focalisent sur les émotions, les étiquetant comme problématiques. Tandis que les schémas de la masculinité hégémonique découragent les hommes d’exprimer leurs émotions, les femmes sont associées à l’émotivité, et ici elles sont pathologisées pour en avoir trop exprimé.”

Ni trop, ni pas assez. Le manque d’émotions est péché chez les femmes, une femme détachée sera vue comme irresponsable, sans affect, froide, et si elle a un enfant, on lui prédit tous les malheurs du monde. Une maman qui manque d’affect va (selon pas mal de psy) “provoquer” l’autisme chez son enfant ou tout autre truc pas ISO 9001. Mais si t’es trop proche de ton gamin, tu en fais aussi un autiste. Fastoche. Donc faut être aimante, passionnée (qualité recherchée par les hommes) mais pas passionnelle (too much).

On a donc la tranche d’une feuille de papier calque comme latitude dans notre expression émotionnelle. Perso, je suis vue à la fois comme trop détachée et trop maternante, en fonction de la personne en face de moi. Alors que “on” pourrait juste fermer sa gueule et aller faire des mots croisés en Bretagne. M’enfin.

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On parle ici du trouble de la personnalité histrionique (TPH), du trouble de la personnalité dépendante (TPD), et du trouble de la personnalité borderline (TPB).

Le DSM nous dit :

Le trouble de la personnalité histrionique est caractérisé par un schéma généralisé d’émotivité et de recherche d’attention excessives.
Les personnes atteintes du trouble de la personnalité histrionique exigent d’être en permanence au centre de l’attention et cherchent souvent à le faire en s’habillant et en adoptant des comportements de séduction et de provocation inappropriés, et en s’exprimant de façon très théâtrale.
Le diagnostic du trouble de la personnalité histrionique repose sur des symptômes caractéristiques, y compris la gêne de ne pas être le centre de l’attention, un rapport avec les autres caractérisé par des comportements de séduction et de provocation excessifs, et un comportement et une expression émotionnelle exagérés.

Le trouble de la personnalité dépendante est caractérisé par un besoin excessif et omniprésent d’être pris en charge, ce qui induit des comportements de soumission et d’attachement. Chez les patients présentant un trouble de la personnalité dépendante, la nécessité d’être pris en charge provoque une perte d’autonomie et des intérêts. Étant extrêmement soucieux de prendre soin d’eux-mêmes, ils deviennent excessivement dépendants et soumis.
[…]Ces patients font de grands efforts pour obtenir des soins et des soutiens (p. ex., faire des tâches désagréables, se soumettre à des exigences déraisonnables, tolérer la violence physique, sexuelle ou psychologique). Lorsqu’ils sont seuls, ils se sentent extrêmement mal à l’aise ou ont peur car ils craignent de ne pas pouvoir prendre soin d’eux-mêmes.

Et last, but not least :

Le trouble de la personnalité limite (borderline) se caractérise par une tendance constante à l’instabilité et l’hypersensibilité dans les relations interpersonnelles, l’instabilité au niveau de l’image de soi, des fluctuations d’humeur extrêmes, et l’impulsivité. […] Les patients présentant un trouble de la personnalité limite (borderline) ne supportent pas la solitude; ils font des efforts désespérés pour éviter l’abandon et génèrent des crises: ils font p. ex., des tentatives de suicide pour qu’on vienne à leur secours et que l’on prenne soin d’eux.
[…]L’impulsivité menant à l’automutilation est fréquente. Ces patients peuvent s’adonner au jeu, se livrer à des rapports sexuels non protégés, présenter une frénésie alimentaire, conduire imprudemment, abuser de substances ou dépenser sans compter. Les comportements suicidaires, les gestes et les menaces et l’ auto-mutilation (p. ex., se couper, se brûler) sont très fréquents. Même si bon nombre de ces actes autodestructeurs ne sont pas destinés à mettre fin à leur vie, le risque de suicide chez ces patients est 40 fois supérieur à celui de la population générale.

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Je pense que tu visualises le problème. N’importe qui peut être n’importe quoi et il est difficile de tracer une ligne, par exemple dans le trouble de la personnalité histrionique. S’habiller de manière “provocante” c’est pas si rare, en fait. Où est la limite ? A quel moment on détermine qu’elle en fait trop ?

Le trouble de la personnalité dépendante est exactement ce que recherchent les prédateurs. Alors, on fait reposer les exigences de tout le monde sur les femmes en oubliant le reste.

Le trouble de la personnalité borderline est sans doute le plus connu et le plus flou. En fonction du sens du vent, je suis borderline ou bipolaire. Les deux troubles sont plutôt ressemblants, et ici l’émotionnel a une grande place : comment exprimes-tu tes émotions ? Est-ce que tu es linéaire dans ta vie ? Comment ça, tu es affectée par des trucs et des machins ? Et tes pilules roses ?

Je te sortirais les extraits du DSM en les présentant hors contexte, tu penserais au descriptif d’une femme “qui en fait trop” selon les standards et attentes patriarcaux.

🐦 “Conrad et Schneider définissent la médicalisation comme «la définition et le diagnostic d’un comportement déviant comme étant un problème médical, habituellement comme étant une maladie, et la désignation de la profession médicale afin de fournir une forme de traitement pour cela» (Conrad et Schneider 1980:29)”

Le mot clé, ici, c’est “déviance”. Il est très facile d’être déviante, pour une femme. Je suis un très bel exemplaire de déviance et tu me verrais à la sortie de l’école après des expérimentations make-up, tu te dirais que je suis too much et complètement pétée alors que je teste juste la nouvelle palette que j’ai reçue et que je veux entraîner mon trait d’eyeliner. Mais, de loin, tu vois une meuf aux cheveux violets avec des paillettes partout, tu te dis qu’elle est malade, pourquoi faire ça un jeudi à 16h30 ?

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Alors, on est toutes plus ou moins folles, en fonction du degré de déviance présenté. Une femme qui est gaslightée, une femme qui ne sait pas dire son agression de manière cohérente, une femme qui est sous emprise dans une relation violente, toutes à l’asile. Dans les cas qui passent au tribunal, elle est trop émotive, trop détachée, elle est “malade” ou pas suffisamment “traumatisée”. Alors que bon, ne pas savoir dire correctement une agression suite à une agression, c’est pas déconnant.

Surtout, c’est un bon moyen de dire “elle est folle” pour ne pas dire “c’est une victime”. Quand t’es folle, t’es pas victime, t’es folle. Les manifestations de mal-être sont indésirables et dans tous les cas, “il va falloir vous soigner, ma petite dame”.

C’est super utile pour faire peser la responsabilité des conséquences d’une agression sur la victime. Le préjudice s’efface quand on est échevelée. Et puis, comment croire une personne aussi irrationnelle ? Donc on va se soigner, ma petite dame, et fissa. Revenez nous voir quand vous serez calmée.

Et, de l’autre côté, les tueurs de masse (blancs) sont “fous” et ça les écarte de l’humanité qui ne peut en aucun cas générer suffisamment de haine pour qu’un connard sorte ses flingues dans une école primaire. Ici, la folie justifie la violence, circulez y’a rien à voir.

Un agresseur sexuel aura toutes les excuses de son enfance pour adoucir sa peine, une femme victime d’agressions dans son enfance ne sera pas crédible si elle dénonce. Le classique double standard des familles, ouaiche.

Les mecs ils étaient pas sûrs alors ils l’ont mis 3 fois.

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Lorsqu’on sort du cadre des attendus de la sociétay, on va se demander “en quoi suis-JE inadapté-e”, parce qu’il y a un problème, individuel, une anomalie dans la matrice, on ne correspond pas aux normes, et il faut absolument corriger le problème pour devenir conforme. On a pas le réflexe de se demander en quoi la société ne répond pas à nos attentes, en quoi notre malaise est provoqué par un des trouzmille dysfonctionnements du système. Non. C’est nous qui sommes dans l’anormalité.

Si on se rend compte que le malaise ne vient pas de nous, on gueule. C’est ce qui s’est passé pour moi au travail. On me demandait des choses totalement contradictoires, j’ai été gaslightée puis mise au placard alors que je bossais bien. J’ai longtemps pensé que j’étais incompétente, faiblarde, paresseuse, je me suis dit que je l’avais mérité. Puis la révolte, la violence et l’absence. J’ai compris très récemment que je n’étais pas défaillante mais victime d’un harcèlement organisé. Soit je suis folle, soit on est 14 à avoir été victimes. Tu choises 🤷‍♀️

Faire reposer la responsabilité sur l’individu seul-e, c’est parfaitement con et contre-productif. Pour l’individu. Ton directeur, lui, il est bien content que tu sois fragilisé-e. C’est pas lui qui déconne, c’est toi qui déraille.

Je vois aussi souvent des appels à l’aide “Qu’est-ce qui ne va pas chez moi ??!” de la part de femmes qui sont en réalité maltraitées. On va chercher le problème en nous, et c’est plutôt une bonne chose parce qu’il arrive souvent qu’on déconne, puis on veut se “faire soigner” pour éliminer un problème qui, en réalité, n’est absolument pas de notre ressort. Mais on cherche, et je ne sais pas si j’ai des statistiques sur la consommation de livres de développement personnel Toltèques quantiques ta mère en fonction du genre, mais à vue de nez…c’est pas les mecs cis qui vont chercher à s’améliorer.

🐧 “D’après une étude d’Unow, spécialiste de la formation à distance, les femmes seraient deux fois plus nombreuses à suivre une formation professionnelle que les hommes.
Cette étude menée sur l’ensemble des personnes (12 333) ayant suivi une formation Unow en 2020 indique une forte représentativité des femmes : elles sont 61% à se former, contre 39% d’hommes.[…]Le développement personnel a la cote chez les femmes, qu’il s’agisse du module “Intelligence Émotionnelle” (suivi par 18% des femmes contre 3% des hommes), “Développer sa confiance en soi” (680 femmes vs 256 hommes) ou “Gestion du stress et bien-être professionnel” (464 femmes vs 201 hommes).A contrario, la formation “Manager à distance” a la faveur des hommes (165 hommes vs 103 femmes).
(Focus RH)

Voilà.

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Il y a encore TELLEMENT à dire 😱

Je commence à fatiguer donc on continue demain, hey, je peux de nouveau utiliser un clavier sans galérer ma race !

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